[Conversation] Interview de Hervé Séveno CEO d’i2F (Partie 1/2)

Le Portail de l’IE a eu la chance de s’entretenir avec Monsieur Séveno, CEO du cabinet de conseil en intelligence économique i2F, ancien officier de la Brigade Financière et de la Division Nationale Anti-Terroriste.
Il décrypte pour nous l’environnement de l’IE et ses évolutions depuis 20 ans.

Portail de l’Intelligence économique (PIE) : Quelques mots sur vous pour commencer, pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?

Hervé Séveno (HS) : Après des études de Droit, j’ai intégré la fonction publique et plus particulièrement le ministère de l’Intérieur. Je n’ai jamais changé de ministère d’attache, mais au sein de celui-ci j’ai eu l’opportunité de passer de la Division Nationale Anti-Terroriste à la Brigade Financière. J’ai quitté la fonction publique de ma propre initiative en 2000 pour créer mon cabinet d’intelligence économique et de stratégie opérationnelle, i2F.

Déjà à cette époque, les entreprises avaient un besoin très prégnant d’aide et de soutien stratégique par l’intelligence économique, même s’il faut convenir que la discipline académique telle qu’on la connaît aujourd’hui n’était que balbutiante.

En 2005, à la demande du Haut Responsable à l’Intelligence économique auprès du Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDSN) j’ai participé aux travaux de la Fédération des Professionnels de l’Intelligence économique (FéPIE). D’abord Secrétaire général de la Fédération, j’en ai pris la présidence en mai 2009, sollicité et élu par mes pairs. Nous avons aidé à la construction du projet de Loi d’Orientation pour la Programmation et la Performance de la Sécurité Intérieure (la LOPPSI du 14 mars 2011). Défenseur d’une visibilité réelle du secteur de l’IE en France, j’ai fondé le SYNFIE, syndicat professionnel – Loi Waldeck-Rousseau 1884 – pour les professionnels et praticiens dont l’intelligence économique est le cœur de métier, fort de la légitimité acquise par la FéPIE.

Je me suis mis en retrait de sa gestion en 2011 pour continuer à développer et diversifier les activités d’i2F, et ce jusqu’à ce jour. Nous fêtons d’ailleurs cette année les vingt ans du cabinet et nous sommes heureux d’être l’un des plus anciens de la place parisienne.  

Notre ambition est de développer de nouvelles activités et d’aller vers de nouveaux sujets, avec comme constante de continuer à offrir des prestations sur mesure et de rester de tout temps proches de nos clients. Dans un marché qui se concentre, notre indépendance et notre valeur stratégique me paraissent indispensables.

Je tiens à ajouter à ce sujet que nous conservons une totale indépendance et que les capitaux du cabinet sont 100% français – ce qui n’est plus forcément la norme.

PIE : Entre la création d’i2F en 2000 et aujourd’hui l’environnement a beaucoup changé, quels sont pour vous ces principaux changements et comment voyez-vous la suite ?

HS : Il est vrai que les choses bougent de plus en plus vite : de nouvelles pratiques se sont rendues indispensables et, par conséquent, de nouveaux acteurs sont venus se greffer aux « pure players » de l’IE. Aujourd’hui, les risques pour les entreprises sont multiples, notre réponse se doit d’être plurielle : on pense au cyber, à la réputation, au risque juridique et la compliance, ou encore aux risques politiques. L’IE d’aujourd’hui c’est avant tout une réponse globale aux problèmes posés, avec une utilisation intelligente des savoirs et des outils à disposition.

À mon sens, ce qui a le plus évolué en 20 ans c’est l’agressivité d’un environnement économique ultra concurrentiel, mondialisé et multipolaire. À titre d’exemple, nous sommes davantage sollicités sur des questions de risques politiques, conséquence d’une émergence de puissances intermédiaires régionales et nous sommes de plus en plus mandatés pour étudier des acteurs économiques issus de ces pays.

Dans ce contexte je crois beaucoup au rôle d’« éclaireur » qu’endosse l’expert en intelligence économique. Il permet aux entreprises d’anticiper, ce qui est une valeur ajoutée indéniable au vu de la complexité du marché.

Nous allons aussi vers des politiques prônant plus de protectionnisme juridique. On parle du droit américain, mais pas assez du droit chinois ou allemand qui tendent à développer des mesures agressives et extraterritoriales comparables. De fait, il faut que les entreprises s’arment juridiquement ; la déclinaison juridique que je porte au sein d’i2F répond à ce besoin et nous nous attachons à travailler beaucoup sur ce sujet, une procédure civile, administrative ou pénale est un véritable Cheval de Troie.

Conséquence de ces renforcements législatifs, il me semble que les entreprises de taille intermédiaire type ETI et PME vont être obligées de systématiser des démarches d’intelligence économique pour assurer leur développement, cela pour plusieurs raisons.

La première est qu’elles sont impactées de fait par la cascade des responsabilités et de compliance que font de plus en plus peser sur elles certains grands groupes très exposés.

La seconde est qu’il est évident aujourd’hui que s’allouer les services d’une structure d’accompagnement à l’international sans appliquer les méthodes d’intelligence économique n’a plus de sens, les règles ont trop changé. J’ai d’ailleurs écrit un livre en 2013 à ce sujet, « Le diplomate et le marchand ».

PIE : Comment qualifieriez-vous l’écosystème de l’intelligence économique du secteur privé français ?

HS : Nous sommes de plus en plus structurés. Mais aussi très concentrés comme le montre l’actualité récente. C’est une bonne chose, car un marché comme le nôtre doit atteindre sa taille critique pour pouvoir contrer la concurrence internationale, notamment anglo-saxonne. N’oublions pas que celle-ci est très présente et il est évident que cela représente des risques, pour les acteurs français du marché, mais aussi pour les entreprises françaises qui font appel à ces sociétés ; confier des sujets stratégiques à des entreprises étrangères de conseil en intelligence économique est un risque indéniable.

Il faut aussi noter que la diversité de l’offre sur un marché est une chose importante pour que la clientèle s’y retrouve, notamment et surtout pour éviter les conflits d’intérêts. Les cabinets de taille intermédiaire, comme i2F et les nouveaux entrants technologiques permettent cela.

À ce sujet je dirais que le marché français de l’IE voit arriver un certain nombre d’acteurs nouveaux avec des profils très divers, logiciels de veille et d’analyse, e-réputation, cabinets d’avocats, juristes… Avec l’augmentation de la médiatisation autour de nos sujets et une actualité qui illustre l’importance d’une certaine souveraineté économique, je crois que le marché bénéficie d’une visibilité nouvelle.

 

Suite et fin le 12 octobre 14h