Il y a bientôt 70 ans, le premier gisement pétrolier du lac de Biscarrosse était découvert dans les Landes. Plus largement, cela signait les débuts de l’extraction pétrolière en France, porteuse d’une potentielle autonomie stratégique pour les armées françaises.
Le 21 janvier 2023, Fabien Lainé – député de la circonscription des Landes – interrogeait le ministre des Armées à ce sujet en commission de défense. Pour le Portail de l’IE, il a accepté de parler de son projet.
Portail de l’Intelligence Économique : Au vu des enjeux sociétaux qu’il pourrait représenter, croyez-vous que ce projet de loi puisse aussi être l’occasion pour le gouvernement de réinvestir le terrain de l’information, en s’assurant une maîtrise du contenu des sujets à débat ?
Fabien Lainé : Cela s’inscrit dans une dynamique globale. Le projet que je porte est surtout l’occasion de réaffirmer la vision stratégique française. Dans la défense, il convient d’analyser les sujets dans leur ensemble. Or, soyons honnête, nous avons bien conscience que le politique ne le fait pas très bien. À force de travailler à la petite semaine, la stratégie de l’État perd toute cohérence. Au contraire, c’est l’occasion de se rappeler que cette opération bénéficierait à nos armées, à notre balance extérieure, et toucherait directement l’écosystème local dans le très long terme.
Il nous faut être plus pragmatiques, et surtout beaucoup plus stratèges. Ce dont le pays a manqué ces dernières années, c’est d’une gestion à long terme. En France, nous devons assumer d’avoir des ambitions, dans le domaine de l’énergie surtout, et de faire des choix qui permettent de soutenir, petit à petit, la réindustrialisation du pays. Celle de notre territoire prendra des dizaines d’années, mais elle commence par des projets comme celui-ci. Le vrai problème de la France n’est pas tellement qu’elle s’appauvrit par des importations trop excessives, mais qu’elle s’appauvrit en ne s’offrant pas les moyens d’exporter assez. Le gouvernement se doit de soutenir chacun de ses projets, non pas par de la communication qui ne convainc jamais les masses, mais par une réelle démarche d’influence, élaborant des arguments rhétoriques objectifs et scientifiquement attestés. C’est seulement de cette manière qu’il sera enfin possible de se donner les moyens de nos ambitions.
Portail de l’Intelligence Économique : Comment faire pour renouer avec l’État stratège, quand un sujet de niche comme celui-ci vient difficilement à la connaissance des dirigeants ? Il en existe pourtant une multitude d’autres qui passent à l’as.
Fabien Lainé : Tout d’abord, je fais partie de ceux qui considèrent qu’il est essentiel que le président de la République se déplace régulièrement en France pour assurer un dialogue avec les élus locaux. La transition énergétique dans laquelle nous nous trouvons invite à des initiatives de R&D très originales : qu’il s’agisse de la méthanisation, d’hydrogène, de nouvelles techniques pour extraire les terres rares, ou de nouvelles batteries plus résilientes… Trop souvent, les acteurs locaux sont contraints de lutter contre une administration qui n’est pas nécessairement bienveillante, et parfois trop conservatrice, même au niveau technologique.
Pour nos pépites d’innovation, il faut pouvoir bénéficier d’une agilité normative, pour que les écosystèmes puissent être favorables à la R&D sur le long terme. Il faut conscientiser les politiques dessus et arrêter d’être fataliste en se retranchant derrière l’administration.
Portail de l’Intelligence Économique : Vous évoquiez précédemment l’implication du SGDSN, quel est son rôle dans la conduite du projet de loi ?
Fabien Lainé : Le SGDSN est censé instruire le dossier. Il peut donner des recommandations et surtout des solutions. À mon sens, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a également son mot à dire. Mon rôle consiste à me rapprocher de ces différents acteurs : l’administration, ceux du pétrole français – que je ne connais pas encore – et les élus du secteur afin de travailler conjointement – en meute si je puis dire. Pour nous offrir une meilleure chance que cette proposition de loi passe sans encombres, il est essentiel d’intégrer, en amont, tous les acteurs à son élaboration. Dans le jeu démocratique, seule la NUPES serait en mesure de voter massivement contre.
Portail de l’Intelligence Économique : Malgré votre argument pour un pétrole trois fois moins carboné que celui que l’on importe ?
Fabien Lainé : Face au dogmatisme écologique, on ne pourra pas les convaincre. Les quelques socialistes de bonne volonté, oui.
Portail de l’Intelligence Économique : Avec la résurgence des notions d’autonomie stratégique et de souveraineté, avez-vous l’impression que la sphère dirigeante politique et économique soit plus réceptive à des sujets comme celui-ci ?
Fabien Lainé : Du sommet jusqu’à la base, il y a une prise en compte de la nécessité d’être plus souverain. Il faut juste déterminer la méthode grâce à laquelle on va y arriver et arbitrer un équilibre entre une société capitaliste libérale et une dans laquelle l’État à une implication interventionniste.
Certains types d’activité sont susceptibles d’être localisés en France, quand d’autres le seraient plutôt dans d’autres pays européens où le coût du travail est un peu moins élevé. On ne peut pas tout réinstaller en France, il nous faut faire des compromis.
La France est avant tout un État stratège. Se voulant être une économie libérale – qui est bien plus profitable aux entreprises en matière d’innovation -, il faut arriver à trouver par la loi la manière d’accompagner le développement des écosystèmes de nos filières, sans pour autant tomber dans le biais de l’économie dirigée, souvent caractérisée par une obésité normative ou un protectionnisme exacerbé.
Je pense qu’en France, plutôt que la recherche de l’équité permanente, il nous serait plus profitable de renouer avec un esprit de conquête de marché et d’innovation : le fait d’entreprendre de grands chantiers nationaux qui nous dépassent. Cela pourrait se caractériser, par exemple, en devenant la première nation industrielle en matière d’hydrogène dans les batteries. C’est ce goût de d’entreprendre, de réussir que l’on doit retrouver… Mais nous restons très sensibles à l’échec entrepreneurial, comme si c’était une honte. Pour y remédier, cela nécessiterait de faire preuve de résilience.
Portail de l’Intelligence Économique : La guerre en Ukraine semble avoir redonné des lettres de noblesse à la commission de défense. Le constatez-vous ? Serait-ce aussi l’occasion de remettre de nouveaux sujets sur la table ?
Fabien Lainé : Notre proposition de loi s’inscrit tout à fait dans cette dynamique. Dans un contexte géopolitique complexe comme celui-ci, nous devons nous soucier de notre souveraineté, notamment pour se prémunir de certains liens d’interdépendance.
Par ailleurs, la commission dispose d’un nouveau président à sa tête qui, en plus de posséder une grande culture militaire et géopolitique, a été officier de réserve. Ses travaux ont deux volets qui concernent les affaires françaises et internationales.
Nationalement, nous débattons en permanence du format de nos armées. Il nous faut évaluer le dimensionnement des moyens militaires dans les trois armées : que fait-on ? À quel prix ? À quel moment ? Est-il pertinent de renouveler notre standard de Rafale ? Notre rôle consiste donc à faire les arbitrages qu’il faut. Il nous arrive parfois d’apporter notre expertise sur des sujets plus locaux, comme la stratégie immobilières des militaires. Il est, en effet, nécessaire d’être attentif aux conditions de vie de nos militaires, principalement pour les fidéliser et leur permettre de préserver au mieux leur condition physique et psychique.
Néanmoins, la commission est confrontée à son incapacité à pouvoir contrôler les dispositions qu’elle a recommandé. On devrait être en mesure de faire un peu plus de contrôle parlementaire, quitte à être habilité à avoir des éléments sur le renseignement, la dissuasion nucléaire, afin d’assurer un suivi dans le temps.
Internationalement, la commission maintient un dialogue avec d’autres pays de l’Europe, notamment ceux des pays baltes, qui entretiennent un certain ressentiment envers la Russie et qui se montrent surpris que la France conserve encore des liens diplomatiques avec le pays..
Et pour cause, la France demeure toujours la première puissance militaire d’Europe, étant accessoirement la seule dotée de deux composantes de dissuasion nucléaire. Nous avons tout intérêt à soigner notre relation avec la Russie pour éviter qu’un non-dit nous amène à une éventuelle escalade aux conséquences tragiques. Une puissance dotée en nucléaire a une responsabilité vis-à-vis des autres nations, davantage quand elle siège au conseil de sécurité de l’ONU. C’est pourquoi, la France continuera – si nécessaire – à entretenir un lien diplomatique avec la Russie dans l’intérêt de la sécurité du monde, bien que cela ne plaise pas à certains de nos alliés. Ce qui n’empêche en aucun cas le soutien sans faille de la France à l’Ukraine jusqu’à sa victoire, faisant en sorte qu’elle l’ait selon ses conditions.
Pouvoir aborder ces sujets et rassurer nos alliés est vital, d’où le fait que la commission ait un engagement fort au sein de l’OTAN, particulièrement par la mise en place de l’opération Enhanced Air Policing, qui assure la protection du ciel lituanien par un détachement d’avions de chasse de la base de Mont-de-Marsan.
Tout ceci participe au rayonnement de la commission de la défense.
Portail de l’Intelligence Économique : Que pensez-vous de la proposition de loi du sénateur Jérôme Bascher, tendant à créer une délégation au renseignement économique ?
Fabien Lainé : Les Anglais et les Américains le font, pourquoi pas nous ? Concernant les agents de renseignement, ce serait une protection d’avoir plus de contrôle parlementaire. Cela nécessiterait que les députés, les administrateurs et les collaborateurs parlementaires ayant à traiter de ces dossiers aient une accréditation et une responsabilité pénale. Il m’était arrivé de proposer cela au directeur de cabinet de Florence Parly par le passé. Toutefois, j’ai moins d’accointance avec le renseignement, mais je reste persuadé que sur ces sujets-ci, dans l’intérêt des politiques publiques, de l’argent du contribuable, de leur efficience et de la protection des agents qui y travaillent, une meilleure transparence est indispensable. Prenons exemple sur le modèle des pays qui nous entourent. Avec la primauté de l’exécutif français, il y a aujourd’hui un début de contrôle a posteriori du renseignement par le Parlement, mais ce n’est pas assez pertinent. Les parlementaires n’ont ni le détail des opérations, ni la possibilité d’interroger les agents de renseignement sans l’aval de leur hiérarchie.. Honnêtement, je pense que l’on gagnerait vraiment à approfondir cela. Une démocratie, ne l’oublions pas, fait le jeu d’un pouvoir et d’un contre-pouvoir, y compris dans ce monde très fermé qu’est le renseignement. La maturité d’une démocratie pourrait justement se mesurer à cet équilibre.
Portail de l’Intelligence Économique : Vous suivez en parallèle des cours à l’IHEDN, quelles ont été vos motivations pour intégrer cet institut ? Est-ce par ce biais que vous avez développé un intérêt pour les questions de souveraineté ?
Fabien Lainé : En effet, ma curiosité m’a poussé à intégrer la session nationale proposée par l’IHEDN. Pour ma part, je consacre mon intérêt pour l’une des cinq majeures qui constituent le socle de cette session : les enjeux et stratégies maritimes, dans laquelle nous sommes cinq députés. Je tire de cette expérience une prise de vue systémique des enjeux de la défense, et une meilleure compréhension de l’articulation des différents organes étatiques et militaires qui composent notre défense nationale. Par le passé, mon centre d’intérêt, en tant que député, se portait plus spécifiquement pour les travaux de l’armée de l’Air et de l’Espace, n’oublions pas l’importance de la base aérienne de Mont-de-Marsan pour le paysage landais. Néanmoins, étant originaire d’un département maritime, quand bien même ma circonscription ne dispose pas de port, il me paraissait essentiel d’appréhender les sujets stratégiques de la mer, et notamment celui des ZEE, dans lequel j’ai le sentiment que l’on manque encore d’une vision à long terme. Très naturellement, l’IHEDN amène ses auditeurs à posture favorable à la souveraineté nationale, quand bien même il y a un certain tropisme en ce sens parmi eux. Cette expérience m’a également permis de rencontrer des personnalités d’univers très différents ; autant du privé (cadres, armateurs, assureurs, banquiers, journalistes…) que du public (préfet, militaire).
Propos recueillis par Sixtine de Faletans et Luc de Petiville
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