Framatome, leader mondial de l’énergie nucléaire, entrait de plain-pied dans la compétition spatiale avec la création de Framatome Space en octobre dernier. Soutenue par une expertise reconnue, cette initiative place l’entreprise comme acteur prometteur, renforçant son rôle dans la convergence entre énergie nucléaire et exploration spatiale au travers de partenariats internationaux et de projets innovants.
Un nouvel acteur incontournable dans la compétition spatiale
La compétition mondiale pour la conquête spatiale est à un point de bascule. Alors que des acteurs de premier plan comme les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde et l’Europe rivalisent pour la colonisation de la Lune et l’exploration de Mars, le groupe français a pris toute la mesure des enjeux soulevés par l’exploration spatiale. Pour consolider sa position outre-Atlantique et influencer le paysage spatial européen en faveur du nucléaire, le groupe français Framatome crée la division Framatome Space le 19 octobre 2023, marquant ainsi le début d’une nouvelle ère dans l’exploration spatiale.
Ce positionnement stratégique bénéficie non seulement à l’entreprise mais également au niveau national et contribue finalement à orienter l’exploration spatiale européenne vers l’utilisation de l’énergie nucléaire. Framatome Space vise ainsi à renforcer la compétitivité des programmes spatiaux européens grâce à une énergie plus efficiente et une capacité d’exploitation énergétique optimisée.
Framatome Space de plus en plus concurrencé
Le passé spatial de Framatome, notamment marqué par la mission Transit IV-A en 1961, et le déploiement d’un générateur nucléaire sur la Lune en 1969, soulignent l’implication précoce de l’entreprise dans l’exploration spatiale.
Alors que Framatome Space se positionne en tant que pionnier dans le domaine de la technologie spatiale nucléaire, il est confronté à une concurrence croissante de la part de sociétés telles que Tractebel et X-energy, qui cherchent à s’imposer dans ce secteur innovant.
Tractebel, une société d’ingénierie basée en Belgique, collabore étroitement avec Orano et SKC-CEN pour explorer la production de Pu-238 en Europe. Le Pu-238 est un isotope vital pour les générateurs thermoélectriques à radioisotope (RTG), utilisés pour fournir de l’énergie aux missions spatiales lointaines. Cette initiative pourrait transformer l’approvisionnement en énergie nucléaire spatiale, offrant une alternative européenne aux sources d’énergie importées. En outre, l’engagement de Tractebel dans des projets d’envergure tels que l’European Large Logistic Lander (EL3), un projet ambitieux pour la mission lunaire, renforce sa position en tant que concurrent sérieux dans l’industrie spatiale.
D’autre part, X-energy, une entreprise américaine spécialisée dans la technologie nucléaire, concentre ses efforts sur le développement de systèmes de propulsion thermique nucléaire pour des missions spatiales au-delà de l’orbite terrestre basse. Un de leurs projets phares est le programme DRACO, en collaboration avec la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), visant à développer une propulsion nucléaire pour les voyages spatiaux. Ayant acquis une expérience significative depuis 2017 et des contrats actifs avec des entités telles que le département de l’Énergie et la NASA, X-energy se profile comme un concurrent direct et influent dans le domaine.
Les technologies spatiales nucléaires, défi de demain
Les avantages de la propulsion nucléaire pour les missions spatiales sont multiples. L’un des avantages les plus importants est que les systèmes de propulsion nucléaire rapides pourraient réduire considérablement le temps de trajet vers des destinations comme Mars. Un voyage plus rapide rendrait non seulement les missions plus réalisables sur le plan logistique, mais réduirait également l’exposition des astronautes aux rayonnements spatiaux nocifs. De plus, l’énergie nucléaire peut offrir un approvisionnement électrique constant, facilitant le développement d’environnements propices à l’habitation humaine à long terme, comme sur la Lune.
La rivalité entre Framatome Space, Tractebel et X-energy s’articule autour de leur capacité à innover dans le développement de technologies spatiales nucléaires. Le succès de ces entreprises dépendra non seulement de leurs avancées technologiques, mais aussi de leur capacité à respecter les échéances et à naviguer dans le complexe environnement réglementaire international. L’utilisation de la technologie nucléaire dans l’espace est régie par des traités tels que le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967. Ce texte promeut l’utilisation pacifique de l’espace, sans fournir de directive spécifique sur l’emploi de l’énergie nucléaire. En plus de ces accords internationaux, chaque pays participant à des activités spatiales a ses propres réglementations nationales, ce qui crée un cadre complexe pour le développement standardisé du nucléaire spatial.
Cependant cette compétition stimule l’innovation et pourrait conduire à des avancées significatives dans l’utilisation de l’énergie nucléaire pour l’exploration spatiale, offrant ainsi de nouvelles possibilités pour les futures missions spatiales.
Expertise et innovation : les atouts de Framatome Space
La clé de cette initiative réside dans l’identification par Framatome de l’importance cruciale de l’énergie nucléaire pour alimenter le développement spatial. En effet les missions spatiales nécessitent une source d’énergie stable, continue et fiable, que l’énergie nucléaire peut fournir efficacement. Grégoire Lambert, vice-président de la stratégie chez Framatome et Framatome Space, met en avant l’expertise de l’entreprise : Framatome Space entend proposer une gamme complète de services, allant des solutions de propulsion à la production d’énergie et à l’ingénierie des matériaux. Cela, dans le but de répondre à l’évolution des demandes du secteur spatial.
Le groupe n’a pas cessé de s’impliquer dans le secteur spatial depuis 1969, ce qui fait de la création de la branche Framatome Space une concrétisation de leur volonté de rejoindre les acteurs majeurs de la course à l’espace. L’entreprise fournit déjà à l’industrie spatiale des dômes pour les réservoirs des lanceurs et du hafnium pour les alliages durcis des engins spatiaux. En 2020, les rovers déployés sur Mars fonctionnaient dejà grâce à des systèmes électriques à radio-isotopes. Les systèmes électriques à radioisotopes (RPS) ont été utilisés dans les missions spatiales depuis les années 1960, et ils suscitent un intérêt croissant dans le cadre de la création de la branche Framatome Space. Cette technologie présente des avantages significatifs, notamment des densités de puissance élevées, une alimentation continue, fiable, sans entretien, et une durabilité à long terme, indépendamment de la distance par rapport au Soleil et de l’environnement radiatif.
Framatome, engagée dans l’avenir de la production d’énergie nucléaire, concentre ses efforts sur les réacteurs avancés. Au cœur de ces systèmes se trouve le générateur thermique à radioisotope, largement reconnu pour sa fiabilité dans la fourniture d’énergie pour plusieurs missions spatiales. Cependant, l’évolution vers des missions spatiales futures nécessite la considération de plusieurs systèmes à radioisotopes capables d’atteindre des rendements plus élevés que les générateurs thermoélectriques actuels. L’objectif principal de développer des systèmes à haute efficacité est de réduire la quantité déjà limitée de Pu-239, tout en adressant les préoccupations liées à la taille, au coût et à la sécurité des missions spatiales à venir. Cette évolution pourrait transformer le paysage spatial, offrant une source d’énergie indépendante du soleil et des énergies fossiles.
Framatome Space se concentrera principalement sur la conception, la fabrication et la mise en œuvre de systèmes RPS avancés pour les futures missions spatiales. Cela implique la recherche potentielle de sources radioactives adaptées à une utilisation spatiale, le développement de systèmes de puissance nucléaire spatiale (SNP) avec des composants critiques optimisés, ainsi que l’établissement de normes de sécurité et de réglementations strictes conformes aux exigences spécifiques de la puissance nucléaire spatiale. Si Framatome Space parvient à surpasser ses concurrents, cela pourrait jouer un rôle crucial dans l’avancement de ces technologies et le positionner en tant qu’acteur principal dans le domaine des énergies nucléaires dans l’espace.
Partenariats stratégiques : la clé du leadership spatial selon Framatome Space
Framatome Space a établi des relations avec l’industrie spatiale et diverses agences du milieu, montrant ainsi son engagement et son implication dans les enjeux spatiaux mondiaux. Des partenariats avec des start-ups et des programmes émergents soulignent une approche proactive pour rester en phase avec les développements technologiques. Cette approche agile permet à Framatome Space de demeurer à l’avant-garde de l’innovation dans le domaine de l’énergie spatiale.
En contribuant aux progrès technologiques, le groupe participe activement à façonner l’avenir de l’exploration spatiale, consolidant ainsi sa position en tant que référence incontournable en matière de normes nucléaires et de technologies avancées pour les futures missions spatiales. Ces démarches stratégiques ne se traduisent pas seulement par des avantages concurrentiels directs, mais également par un renforcement substantiel de l’influence de Framatome dans l’industrie spatiale mondiale. Elle a un rôle de chantre du savoir-faire français. Cette influence accrue favorise également des collaborations approfondies avec des agences spatiales internationales et d’autres parties prenantes de premier plan.
Le récent regain d’intérêt pour l’exploration spatiale offre un terrain fertile pour l’application des technologies nucléaires et Framatome cherche à déployer ses capacités pour servir cette nouvelle frontière qui est l’espace. Framatome Space consacre des efforts et des investissements importants aux partenariats avec des start-ups et des entreprises établies, tant aux États-Unis qu’ en Europe. Par exemple, le groupe a initié des collaborations aux États-Unis pour des projets tels que Fission Surface Power et DRACO. Mais la coopération est aussi présente en Europe avec le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) et ArianeGroup, dans le cadre du développement d’un moteur à propulsion thermonucléaire révolutionnaire. De plus, Framatome s’est associé à Qosmosys pour explorer l’intégration d’Unités de Chauffage à Radioisotope (RHU) et de Générateurs Thermoélectriques à Radioisotope (RTG) dans la technologie spatiale. Cette collaboration se concentre sur l’amélioration des performances du vaisseau spatial ZeusX de Qosmosys avec ces sources d’énergie innovantes.
À la croisée des rapports de force économiques et énergétiques, Framatome Space occupe une place stratégique dans un milieu où l’énergie nucléaire et l’exploration spatiale sont intrinsèquement liées. Son engagement stratégique, ses collaborations et son analyse attentive des tendances spatiales en font un compétiteur sérieux, conférant à la France un atout pour se positionner en tant qu’acteur de premier plan dans l’industrie spatiale mondiale.
Paola Pierrettori
Pour aller plus loin :