Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Les forces émergentes de la RSE et de l’ESS : attentes sociétales, régulation et performance économique

Pour rester à la pointe tout en intégrant la RSE, les entreprises redéfinissent leurs modèles économiques et chaînes de valeur, réduisant les externalités négatives tout en générant des externalités positives. Lors d’une table ronde organisée à l’Ecole de Guerre Économique, ces tendances ont été décortiquées, révélant la convergence de la RSE et de l’ESS face à des attentes sociétales croissantes et des régulations en constante évolution.

Pour allier rentabilité et responsabilité sociétale et environnementale, les entreprises revoient leurs modèles économiques et leurs chaînes de valeur pour générer des externalités positives. Cette transformation, considérée comme plus significative que la révolution numérique des deux dernières décennies, varie en complexité selon les secteurs d’activité. Parallèlement, de nouveaux acteurs économiques émergent, adoptant dès leur création des modèles d’affaires responsables voire « régénératifs », posant ainsi un défi aux entreprises traditionnelles. Ces pionniers, en phase avec les attentes contemporaines et bientôt avantagés par de nouvelles réglementations, bousculent le paysage concurrentiel. Le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), jadis marginalisé, voit désormais ses principes repris et amplifiés par ces tendances lourdes.

Organisée par le club ESS-RSE de l’AEGE, la table ronde qui s’est tenue à l’EGE le 13 février dernier fut l’occasion de disséquer les chemins convergents de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de l’ESS : sommes-nous les témoins d’une transformation collaborative ou d’un choc dans le domaine des pratiques commerciales éthiques ?

L’Économie Sociale et Solidaire en France, souhaitée mais peu déployée

Une partie importante du dialogue a été consacrée à la définition des concepts fondamentaux de la RSE, de l’ESS et de l’impact, en soulignant les impératifs sociaux et environnementaux à l’origine de l’émergence et de l’adoption de plus en plus large de ces concepts. L’ESS regroupe toutes les structures qui concilient utilité sociale et performance économique mise au profit de cette utilité. Cela représente 200.000 organisations (coopératives, associations…) et 2.5 M d’emplois pour 10 % du PIB en France. Leurs caractéristiques communes incluent un mode de gouvernance participatif et démocratique, un encadrement strict des bénéfices, des activités économiques fondées sur le respect de l’homme et de l’environnement, et un ancrage territorial.  La loi Hamon de 2014 leur donne une définition. Le concept de RSE date du XVIIIe siècle. Désormais inscrite dans le code civil au travers de la loi Pacte, la RSE implique une démarche volontaire de l’entreprise de prendre en compte les enjeux environnementaux et sociaux. Pour l’entreprise, cela signifie réduire ses externalités négatives. Un exemple d’externalité négative : relâcher des déchets toxiques concentrés dans la nature ; cette pratique est inacceptable en France.

Historiquement, l’ESS est née au XVIIIe siècle pour défendre exclusivement les intérêts de ses membres, en réponse au capitalisme prédateur de la force de travail. Dans cette logique, les coopératives ont institué plusieurs mécanismes : chaque personne dispose d’une voix – ce qui marginalise le capital – ; la notion de fonds irrécupérables ; et la lucrativité limitée. L’ESS est donc fondamentalement liée à l’utilité sociale, mais n’a pas été créée pour cela : Dans les chiffres et sur le terrain, l’ESS a stagné, voire régressé selon Pierre Pageot, depuis 2014, suite notamment à une concurrence accrue au sein de l’écosystème ; cela se traduit par une régression sociale pour l’alimentation, le logement…

Des rapports de forces considérables entre acteurs économiques et sociaux

Les participants se sont accordés sur le rôle essentiel des acteurs de l’ESS en France et le besoin urgent pour les entreprises d’atténuer les externalités négatives tout en recherchant un impact positif. Les entreprises sont pressées par leurs clients et collaborateurs pour que ces notions soient prises en compte. Pour autant, le comportement des entreprises et des personnes paraît schizophrène : ainsi, il est connu de tous que Coca-Cola est à la fois le premier pollueur plastique, ce qui n’empêche pas qu’il soit le premier sponsor des JO de Paris ni qu’une proportion très significative des jeunes diplômés aimerait travailler dans ce grand groupe… Cette dissonance cognitive ne date pas d’hier, l’événement Impact2 qui existe depuis 2011 ne constate pas de changement dans les chiffres de l’emploi. Dans ce contexte, les médias ne mettent en lumière que quelques mots-clefs (ESS, ESG, CSRD, régénératif…) et les emploient dans différents contextes, parfois à contresens, ce qui brouille le sens de ces notions dans l’esprit des publics. Pire, le greenwashing entrave l’adoption de ces notions.

Les PME en prennent conscience. Ainsi, les entreprises qui se créent embarquent de plus en plus souvent la notion d’impact positif dans leur raison d’être. En fait, cette tendance indique plus une convergence qu’un rapport de forces antagonistes. Schématiquement, les acteurs de l’ESS et les entreprises traditionnelles n’ont pas les mêmes objectifs : servir une cause ou servir un objectif économique. La convergence est impulsée à la fois par les contraintes réglementaires et par la volonté, débattue et partagée au sein des entreprises, d’améliorer le partage de la valeur.

La coopération entre les entreprises de l’ESS et les entreprises traditionnelles peut se traduire par des Joint Ventures Sociales (JVS) : par exemple une alliance à périmètre défini dont la mission est focalisée sur l’insertion professionnelle. Ce type de coopération existe depuis longtemps mais tend à se développer et est sous-tendu par une certaine sincérité. On peut suspecter une instrumentalisation : que l’entreprise améliore exagérément sa réputation, et donne une place disproportionnée à cette action sociale dans sa communication par rapport aux informations concernant son activité économique.  En pratique, l’instrumentalisation peut aussi fonctionner dans l’autre sens. Ce sont les risques de dérives potentielles que le cadre des JVS permet de limiter.

Parfois, les acteurs « purs » de l’ESS sont simplement rejetés par les entreprises « traditionnelles », qui se concentrent sur leur but lucratif et ne sont pas intéressées par un autre objectif.  Parfois, des acteurs de l’ESS essaient d’inciter ces entreprises « traditionnelles », en argumentant que l’actionnaire souhaite un dividende durable, à investir dans des modèles vertueux et/ou éthiquement louables. Cependant, les faits montrent que cet argument n’est pas très efficace et que les capitaux restent fluides, en effet les fonds sont investis prioritairement selon des critères de rentabilité. En pratique, les entreprises changent surtout quand elles y sont contraintes par la réglementation.

Les acteurs économiques face à la réglementation

La réforme sur les statuts (types d’entreprises), dite « loi Pacte », n’a introduit en pratique aucune obligation pour les entreprises de se soucier de l’environnement. Le constat qu’il manque une structure d’entreprise adaptée a déçu, hormis concernant les Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC), dont le cadre représente un vrai progrès. Il est établi que si une action n’est pas mesurée, alors son impact est beaucoup moins crédible. Il est donc nécessaire d’établir un reporting extra-financier, couplé aux actions volontaires. Or, de leur côté, les entreprises de l’ESS, ainsi que les ONG, n’ont pas systématiquement la culture du résultat, même si leurs actions sont tournées vers l’intérêt général ; apparaît le besoin d’un audit indépendant.

Le bilan environnemental et sociétal concerne surtout les grandes entreprises, alors que le souci de l’impact local est porté par les PME. L’engagement citoyen représente une lueur d’optimisme pour faire évoluer favorablement les réglementations ; pour le moment il n’a pas eu de répercussion tangible. Un autre problème de ces bilans est qu’ils peuvent esquiver l’obligation de dire la vérité. Les lois et réglementations actuelles demeurent complexes ; elles nécessitent des explications pour rendre digeste le reporting et sa mise en œuvre. De plus, il est très facile de changer les bases de comparaison pour faire dire ce qu’on veut aux indicateurs, cette faculté de contournement doit être empêchée.  La complexité des organisations entrave considérablement la lisibilité des rapports et donc appauvrit les moyens de contrôle des législateurs. Un point positif réside néanmoins dans la multiplicité des indicateurs, qui rend de plus en plus difficile de camoufler tous les problèmes : il devient difficile d’éluder ou d’orienter tous les indicateurs.

ESS et RSE, terrains d’innovation procurant un avantage compétitif ?

La réponse à cette question est oui, à condition de ne pas se contenter du minimum. La qualité, comme pour tout produit ou service, est un moyen de protection. L’excellence nécessaire pour atteindre le niveau de qualité correspondant s’acquiert par des pratiques managériales humanistes. Les sociétés à mission peuvent (doivent ?) devenir des modèles entrepreneuriaux mais nécessitent un cadre plus exigeant en matière d’impact. Dans le domaine de l’ESS, les boucles de rétroaction positives sont bien connues, par exemple, des banques investissent dans les collectivités qui financent des associations dont les actions d’aide aux démunis (insertion) finissent par limiter les besoins en aide alimentaire ; ces banques investissent parce que ces collectivités vont économiser de l’argent en en dépensant moins pour subvenir directement aux plus nécessiteux.

Les Joint Ventures Sociales (JVS) offrent un cadre juridique et de gouvernance propice à des collaborations entre l’ESS et la RSE qui sécurise toutes les parties prenantes. Dans le même esprit, les SCIC se développent dans les territoires favorisant les collaborations intégrant plusieurs collèges d’acteurs, il s’agit d’une tendance intéressante à suivre de près.

François Christiaens et Mickaël Réault pour le club ESS-RSE de l’AEGE

Pour aller plus loin :