L’entreprise Duralex a récemment échappé à une liquidation judiciaire grâce à son plan de reprise fondé sur le modèle de la Société coopérative de production (Scop). Au sein d’une économie de plus en plus mondialisée, les entreprises actrices du Made in France font face à une très forte concurrence qui les conduit parfois à cesser l’activité. Grâce à la solidarité collective, le modèle des Scop a permis à certaines entreprises de surmonter les difficultés et de retrouver une nouvelle dynamique.
Devenir une Scop, société coopérative de production
Les salariés d’une Société coopérative de production (Scop) sont les associés majoritaires, ils détiennent au moins 51% du capital social et 65% des droits de vote et élisent leur dirigeant. La Scop peut prendre différentes formes juridiques : société anonyme (SA), société à responsabilité limitée (SARL), ou société par actions simplifiées (SAS). Si, dans un premier temps, tous les salariés ne sont pas associés, tous ont vocation à le devenir. Le statut d’associé accorde, indépendamment de l’ancienneté et du montant investi au capital, une unique voix leur permettant de participer aux assemblées générales et de voter les décisions stratégiques, celles-ci étant prises par la majorité. Les salariés sont donc naturellement motivés par le système de répartition équitable des bénéfices, ils reçoivent des primes de participation et d’intéressement, ainsi que des dividendes en fonction du résultat de l’entreprise.
Les Scop sont définies par la loi de 1978 portant statut des sociétés coopératives de production, en s’appuyant sur la loi de 1947 sur les coopératives. Au lendemain de la publication de la loi, on dénombrait déjà 650 Scop en France en 1979, puis 1300 Scop en 1985. Elles sont 2 590 en 2023 et emploient plus de 59 700 salariés. Parmi elles, 48% sont des créations d’entreprises, 23% sont des transmissions d’entreprises saines, 19% sont des transformations d’associations, et 9% sont des reprises d’entreprises en difficulté.
Une solution qui a déjà fait ses preuves
Le cas de l’entreprise Duralex a été très suivi médiatiquement depuis plusieurs années. En effet, la crise énergétique et la montée des prix du gaz en 2022 a fortement impacté l’entreprise sur le plan financier. Elle a été sauvée une première fois en obtenant un prêt de l’Etat français de 15 millions d’euros. L’entreprise a rencontré de nouvelles difficultés durant l’exercice de 2023, qui lui ont valu un placement en redressement judiciaire. Face à deux autres offres, c’est finalement celle de la Scop qui est retenue par le Tribunal de commerce d’Orléans le 26 juillet 2024. Cette solution permet de sauver les 228 emplois, l’usine, et le savoir-faire français qu’ils détenaient. Le cas Duralex obtient un certain échos dans les médias, à l’heure où le Made in France peine à se trouver une place dans ce marché mondialisé, à l’exception des produits de luxe.
La reprise en Scop n’est pas nouvelle. La très connue marque d’horlogerie Lip en est un bel exemple. Elle est reprise en 1977 par ses employés, après plusieurs années de grèves et de fortes difficultés financières, avec le slogan « C’est possible : on fabrique, on vend, on se paie ». C’est également le cas de la Scop Grandpierre, une entreprise normande de menuiserie aluminium, qui a permis de sauver des dizaines d’emplois ; la Scop Velcorex en Alsace, spécialisée dans la création de textile et l’ennoblissement, qui a sauvé 150 emplois ; et de nombreuses autres réparties partout sur le territoire. Ces reprises en Scop sauvent des emplois et des savoir-faire français, inspirant de nombreux salariés qui croient en leur entreprise. Le modèle Scop aurait pu être une solution pour l’entreprise Poulain de Villebarou, menacée de fermeture de site d’ici la fin de l’année 2024, si aucun repreneur n’avait été trouvé. Celle-ci est finalement rachetée par Andros.
Promouvoir le savoir-faire français
L’Etat s’intéresse de plus en plus à ces entreprises du Made in France. En 2010, Yves Jégo, ancien ministre, fonde l’association Origine France Garantie. La certification Origine France Garantie est attribuée si le produit est fabriqué à 100% en France, et si au moins 50% des frais de fabrication (matières premières comprises) sont d’origine française. Des contrôles sont effectués chaque année afin de vérifier que les conditions soient toujours respectées. Aujourd’hui ce sont plus de 1600 gammes de produits qui sont labellisées, représentant plus de 500 entreprises.
En octobre dernier, la Grande Exposition du Fabriqué en France a eu lieu à l’Elysée. Initié par le président de la République en 2020, et ouvert au public, cet événement met à l’honneur les entreprises, les artisans, les producteurs, les industriels et les associations engagés dans une démarche de fabrication française. Cette année, 122 produits ont été sélectionnés parmi 2200 dossiers. 47% des lauréats sont des produits industriels, 33% artisanaux et 10% alimentaires. Ce rendez-vous incarne la diversité des savoir-faire français et la volonté de le faire valoir.
Depuis 12 ans, le Salon du Made in France (MIF Expo) est le rendez-vous annuel des professionnels et des consommateurs qui souhaitent acheter des produits fabriqués en France. Plus de 1000 exposants de tous secteurs d’activité se donnent rendez-vous sur ce salon du Made In France. Le prochain aura lieu du 08 au 11 novembre 2024 à Paris, Porte de Versailles. Enfin, en juin 2024, le club Force française de l’industrie et Crystal lance un fonds d’investissement FFI Croissance garanti à 70% par la Bpifrance. Ce fonds a pour ambition d’accompagner des PME qui produisent ou stimulent la production en France, notamment dans les secteurs où le savoir-faire français est reconnu.
Le nouveau souffle du patriotisme économique
Le patriotisme économique en France prend un nouveau souffle, renforcé par un désir croissant de souveraineté économique. En effet, depuis quelques années le Made in France s’offre un regain d’intérêt auprès des consommateurs français : 67% d’entre eux préfèrent acheter des produits locaux plutôt que des produits importés. Cette tendance s’est intensifiée avec la pandémie de Covid-19, qui a exposé les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement mondiales et les fortes dépendances engendrées. En réponse, le gouvernement a lancé plusieurs initiatives, comme le plan « France 2030 », qui vise à investir 30 milliards d’euros dans l’innovation et à renforcer les secteurs stratégiques, tels que l’industrie et l’énergie. Les nombreuses initiatives institutionnelles et associatives soulignent cette aspiration à soutenir l’économie locale et à préserver les savoir-faire nationaux.
Le modèle Scop, en sauvant des entreprises en difficulté, participe également à cette dynamique en consolidant l’indépendance économique du pays. De plus, de nombreuses entreprises investissent dans des pratiques durables et responsables, en favorisant des circuits courts et des méthodes de production respectueuses de l’environnement. De plus en plus d’entreprises françaises s’engagent à utiliser des matériaux recyclés et à produire localement, répondant ainsi à la demande croissante des consommateurs pour des produits éthiques.
Ce tournant stratégique est également soutenu par des politiques publiques visant à stimuler l’innovation et à encourager l’entrepreneuriat local. Des initiatives telles que le crédit d’impôt pour la recherche et l’innovation, et des subventions pour les projets de relocalisation montrent l’engagement du gouvernement à favoriser un tissu économique solide et durable. Ainsi, le patriotisme économique ne se limite pas à une simple tendance : il devient un véritable levier de transformation pour le paysage industriel français, conciliant compétitivité, durabilité et responsabilité sociale.
Pierre-Antonin Rousseau
Pour aller plus loin :