Depuis sa création, la sellerie de luxe parisienne connaît une évolution exceptionnelle marquée par des anticipations visionnaires, des ruptures technologiques, des crises, et la création d’icônes intemporelles. Mettant en avant la stratégie d’innovation et de préservation de l’artisanat d’exception, Hermès fait face aux défis avec résilience que ce soit dans la lutte contre l’ingérence financière ou dans la réponse exemplaire apportée à la pandémie de 2020. Une entreprise familiale où sobriété, qualité et engagement envers la société forgent la puissance de cette marque emblématique du luxe français depuis maintenant plus d’un siècle.
Une sellerie de luxe
En 1837, Thierry Hermès fonde une entreprise de sellerie de haute qualité à Paris. Lors de l’Exposition d’art et d’industrie en 1867 dans la capitale, le fondateur reçoit un prix pour ses harnais de chevaux. Cette récompense témoigne du travail sur la finesse du design combiné à la robustesse des sangles. Dès lors, la maison attire une clientèle aisée et élitiste qui permet à la maison d’entrer dans le luxe.
Charles-Émile Hermès, deuxième génération, succède à son père en 1880. Il ouvre une boutique au 24 Faubourg Saint-Honoré, adresse désormais mythique de la marque, où il propose des harnais et des selles confectionnés sur mesure. Dès la fin du XIXe siècle, la maison élargit son marché à la maroquinerie équestre en proposant des sacs, des pochettes et des sacoches en cuir pour les cavaliers. À cette époque, la renommée d’Hermès repose déjà sur le savoir-faire artisanal et la rareté des produits fabriqués à la main par les artisans français.
Les visionnaires de la marque
Émile-Maurice Hermès, fils de Charles-Émile, voyage en Europe de l’Est durant les années 1898 et 1899. Visionnaire et aventureux, il offre une nouvelle vision à la maison et induit un élargissement des activités de l’entreprise. Passionné d’automobile, il suit attentivement avec son frère Adolphe l’évolution de ce nouveau marché qui ne cesse de croître pendant la Première Guerre mondiale. Cette rupture technologique marque progressivement la fin des voitures hippomobiles. Elle risque d’impacter directement l’entreprise qui verrait sa demande en harnais et en selle diminuer.
Émile-Maurice entreprend un voyage aux États-Unis et au Canada où il découvre l’importance des automobiles et comprend la nécessité de s’ouvrir à un nouveau marché pour pérenniser ses activités. Hermès exploite son savoir-faire en maroquinerie et en cuir pour développer une bagagerie luxueuse. Au cours de ce voyage, le gérant découvre la fermeture éclair, dont il obtient l’exclusivité d’utilisation en France, qui orne de nombreux bagages et sacs à main.
Soucieux de conserver l’image de marque fondée sur la sellerie, Hermès imprime cet esprit dans toutes ses créations en créant le point sellier, aujourd’hui signe distinctif de la marque, renforçant la robustesse de la maroquinerie des produits de l’entreprise.
Le krach boursier de 1929 entraînant la Grande Dépression économique en Occident , oblige l’entreprise à diversifier une nouvelle fois son activité. Durant cette période, les sacs à main Kelly (dessinés par Robert Dumas, quatrième génération) feront leur apparition au cours des années 1935, suivis de l’iconique carré de soie, ainsi que d’autres accessoires tels que l’agenda en cuir ou le bracelet Chaîne d’Ancre.
En 1978, Jean-Louis Dumas, cinquième génération, donne une nouvelle impulsion à la marque et l’ouvre au marché international. Hermès raconte qu’au cours d’un vol Paris-Londres, le gérant rencontre Jane Birkin. De leur échange, naîtra le célèbre sac à main éponyme de l’actrice. Pendant les années 1990, l’entreprise est en forte en croissance avec désormais 2 500 employés contre seulement 41 en 1914.
Les produits phares : le carré de soie et le sac Kelly
À la mort d’Émile-Maurice, son gendre, Robert Dumas devient gérant de l’entreprise familiale. En 1937, il engage une équipe d’artistes pour réaliser le premier carré de soie illustré Jeu des omnibus et dames blanches. Plus accessible que la plupart des produits d’Hermès, le carré de soie contribue à une grande partie du chiffre d’affaires de la marque. Sa popularité est sans précédent et attire l’attention du cinéma comme dans le Diable s’habille en Prada .
En 1935, Hermès sort le « Sac à Dépêches » qui connaît le succès qu’en 1956 grâce à une photographie de Grace Kelly portant ce sac avec son fiancé le prince Rainier. L’entreprise renomme le sac Kelly en hommage à l’actrice qui a su le populariser.
Quand on l’attaque, Hermès contre-attaque
Le capital d’Hermès attire les grandes fortunes comme celle du milliardaire français Bernard Arnault qui organisa pendant une dizaine d’années une montée discrète de LVMH au capital du groupe. En octobre 2010, le groupe possède 17,1 % du capital. Désormais, il possède 22,28 % des actions et 16 % des droits de vote.
Cette entrée au capital est jugée menaçante par l’entreprise familiale. Afin de contrecarrer cette stratégie, de nombreuses plaintes seront portées par Hermès pour contraindre Bernard Arnault d’annuler sa participation dans le capital, mais cette stratégie est un échec. Malgré ce revers, Hermès décide de contre-attaquer en créant une holding familiale regroupant la majorité du capital en décembre 2010, soit deux mois après l’annonce du président de LVMH. La holding 51 est un regroupement des 52 actionnaires de la famille et représente 62,85 % du capital. Elle permet d’assurer l’indépendance de la maison, bien que Bernard Arnault n’ait pas affiché de volonté non-hégémonique.
L’élégance à la française : toute une stratégie
Valoriser l’artisanat
En 2008, la maison inaugure la Fondation d’entreprise Hermès qui a pour mission de valoriser les métiers de l’artisanat et les mettre en lumière. L’identité de la marque repose sur le « fait main » et toute la stratégie de l’entreprise se fonde sur la valorisation du temps de formation des artisans pour que le consommateur prenne conscience que son produit est le fruit d’un savoir-faire durement acquis. Former un artisan Hermès peut prendre jusqu’à six ans pour les peaux les plus précieuses. La Fondation d’entreprise Hermès permet au client de prendre conscience du travail des artisans à travers des expositions, comme Hermès hors des murs où le spectateur comprend comment sont réalisés les carrés, les sacs, les bijoux ou encore les cravates. Les ateliers Manufacto, quant à eux, sensibilisent les élèves au travail minutieux des artisans et élargissent leurs perspectives d’orientation.
« Nous sommes une maison de transmission »
Alexandre Dumas
Former des maroquiniers compétents est le nerf de l’entreprise pour garantir l’excellence de la production. Depuis 2021, Hermès est un centre de formation grâce à l’École Hermès. Désormais l’entreprise offre des cursus de formations courtes aux métiers de coupeur et piqueur, ainsi qu’un CAP maroquinier en alternance sur l’un des 19 ateliers de maroquinerie et sellerie. Tous les ans, 250 étudiants et professionnels en reconversion sont formés dans la maison.
La création de cette école témoigne de la volonté de l’entreprise d’être au plus proche de ses employés dans une démarche de RSE, où la valeur humaine est un pilier. L’intérêt de cette école ne se limite pas à la passation des compétences ; elle permet de dynamiser des villes en étant une source d’emploi.
Si l’entreprise compte une douzaine de manufacture à l’étranger, la France métropolitaine reste une priorité. En investissant sur les territoires français, Hermès renforce leurs attractivités.
La maison continue de défendre, à son échelle, une forme de souveraineté française en choisissant de conserver ses ateliers et de former en France. Dans un contexte de réindustrialisation incité par l’État, Hermès continue d’être un exemple d’entreprise qui contribue à une certaine cohésion nationale.
La France rayonne depuis des années sur la scène internationale grâce à la puissance de son industrie du luxe. Hermès, dans la lignée d’autres grandes maisons, renforce la réputation de la France dans ce secteur. Tout au long de son histoire, les gérants de la maison ont su trouver l’équilibre entre la créativité et la continuité de l’expertise des artisans. Ces deux piliers permettent à l’entreprise d’être un symbole de l’excellence à la française reconnu sur la scène internationale.
Hermès est une entreprise attachée à son héritage historique et tournée vers le futur. Elle sait mettre en avant et utiliser le talent de chacun sans hésiter à confier ses collections à de grands artistes comme Jean-Paul Gaultier entre 2004 à 2011.
Sobriété, qualité et souci du détail
Les produits de la maison Hermès sont associés au principe de rareté, est une stratégie qui trouve ses origines dès le début de sa fondation. « Qualité avant quantité » pourrait être une devise de la marque qui se refuse d’augmenter sa production pour avoir les plus belles pièces afin de ne pas baisser en gamme. La clientèle cherche des produits inédits et produits en faible quantité. Hermès apporte au secteur du luxe une démarche plus responsable en proposant des biens qui durent au travers des générations tant par leur qualité que par leur design qui ne s’effritent pas avec le temps.
Sans totalement changer les collections, l’entreprise innove dans ses produits, tout en conservant les marqueurs phares de la marque tels que l’iconique H sur les bijoux, le point sellier, les carrés de soie en constante évolution… Le souci du détail est la clé de la réussite pour Hermès, qui a réussi à se démarquer en présentant la simplicité comme une vertu et un signe de raffinement.
Acheter un produit n’est pas uniquement gage de l’image de la marque, mais d’une qualité « made in France ». La politique d’Hermès se concentre sur la qualité du produit de sorte qu’une création se suffise à elle-même pour susciter le désir.
Difficultés et anticipation
Au-delà de la contrefaçon, les faux clients représentent une menace pour la marque. Ils achètent pour revendre les produits Hermès. L’entreprise fait alors face à une demande croissante en article et se retrouve rapidement en rupture de stocks : les collections sont limitées et concevoir un sac demande un long travail sur le cuir – minimum 15 heures de travail sont nécessaires pour créer un sac Kelly qui est réalisé de bout en bout par le même artisan.
Les jeunes générations sont de plus en plus préoccupées par le bien-être animal. L’utilisation du cuir et des fourrures dans les articles peut être contestée. Hermès pourrait être, comme de nombreuses grandes maisons de luxe, confrontée à des manifestations contre le cuir.Son chiffre d’affaires pourrait alors en subir des répercussions si la marque n’anticipe pas un éventuel lynchage sur les réseaux sociaux.
Une entreprise exemplaire
Pendant le Grand Confinement en 2020, l’entreprise a refusé l’aide de l’État : au lieu d’être au chômage partiel, les 15 500 employés, collaborateurs en France et dans le monde ont touché leur salaire de base. Cette opération est possible grâce à la solidité du modèle économique de l’entreprise familiale. Suivant l’exemple de la Maison Chanel, les gérants et actionnaires ont décidé de renoncer à leurs rémunérations fixes et variables pour faire un don de 20 millions d’euros aux Hôpitaux de Paris.
La pandémie du Covid 19 a engendré une hausse des prix des biens et services. Même si Hermès n’échappe pas à la règle, la maison a choisi de ne pas réaliser de marge supplémentaire malgré l’inflation de 7 % de ses matières premières afin de respecter ses engagements : vendre au juste prix.
Forte de son succès et de sa qualité, l’entreprise a connu un chiffre d’affaires record : 11,6 milliards d’euros en 2022, malgré un contexte de crise économique. Pour cette occasion, chaque salarié a reçu une prime exceptionnelle de 4 000 euros. Au-delà de la récompense pour le travail des artisans, cette prime est aussi une stratégie pour fidéliser les employés et leur savoir-faire, tout en continuant d’attirer les nouvelles générations vers le secteur de l’artisanat.
Résilience, exigence et créativité sont les justes mots pour décrire cette maison d’excellence à la française qui étonne par son dynamisme économique, et ce depuis plus d’un siècle.
Une Success StorIE de Tiphaine de Rauglaudre
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