Marché de l’armement et distorsion de concurrence

Secteur singulier s’il en est car touchant directement aux attributions régaliennes des États, Le marché de l’armement n’est pas à l’abri de mesures de distorsion de concurrence dans les affaires économiques. Ces procédés sont parfois camouflés sous des prétextes géopolitiques ou diplomatiques, alors bien utiles, mais qui ne résistent pas à l’étude approfondie de leur véritable raison d’être.

Soulevant cette problématique, Bertrand Slaski, analyste des questions de Défense, nous autorise à reprendre sa tribune publiée le 19 juillet 2011 sur Les Échos. Nous l'en remercions.

Il est intéressant d'observer que pendant que la presse anglo-saxonne revient largement – un peu trop peut être ? – sur les critiques de certains partis politiques allemands s’opposant à une vente de chars Leopard 2 à l’Arabie saoudite, la notification de la DSCA (Defense Security Cooperation Agency) auprès du Congrès concernant la vente éventuelle de quelques 125 chars M1A1 Abrams à Égypte passe quant à elle quasiment inaperçue…

Pourtant, la situation dans ce pays majeur de l’Afrique du Nord, qui vient de connaitre une révolution dont on attend d’ailleurs toujours la fin, n’a rien à envier à celle de l’Arabie saoudite, bien au contraire.

Le Royaume saoudien s’est en effet distingué jusqu’ici par sa capacité à préserver son équilibre intérieur. Il s’engage également activement dans la région pour maintenir, tant que faire se peut, sa stabilité, la situation au Bahreïn et surtout au Yémen étant clairement préoccupante, sans parler de celle de l’Irak « pacifié » depuis le départ des troupes américaines.

En Égypte, malgré la présence de l’armée, amenant à croire en une certaine forme de continuité dans la conduite de la politique du pays depuis le départ du raïs, force est de constater que la situation reste encore très confuse et à l’issue politique incertaine.

Israël s’en est inquiété à plusieurs reprises, notamment lorsque les pipelines lui acheminant du gaz à partir de Égypte ont commencé à être attaqués ou que des doutes ont pesé sur la réalité du contrôle exercé à la frontière de Égypte avec la Bande de Gaza. Plus grave, Tel-Aviv s’est même inquiété d’une éventuelle remise en cause par le Caire de l’accord de paix israélo-égyptien.

Si cela devait advenir – après tout qui avait prévu les révolutions arabes ? – on peut légitiment se poser la question de l’emploi qui pourrait être fait des chars fournis par les États-Unis à Égypte, sans parler des avions et des navires made in USA lui ayant déjà été livrés.

Quoiqu’il en soit, la simultanéité de ces projets de ventes d’armes et la différence de traitement dont elles font aujourd’hui l’objet dans les médias étonne. Comparaison n’est pas raison, mais ce phénomène est à rapprocher de celui concernant l’accord entre la France et la Russie pour la vente de bâtiments de projection et de commandement de type Mistral au profit de la marine russe.

À cette occasion, certaines voix américaines – citons celles de l’expert des questions de défense Richard Weitz (Hudson Institute) ou encore de la responsable politique Ileana Ros-Lehtinen (présidente du Comité des affaires extérieures de la Chambre des représentants)– ont ainsi envisagé que la France n’avait pas mesuré les conséquences capacitaires et géopolitiques que sa décision allait entrainer.

C’est un peu vite oublier que Paris, tout comme Berlin, mène une politique internationale aussi responsable que souveraine, et ce depuis bien avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans une certaine mesure, cela témoigne également du faible degré de confiance que Washington accorde à la Russie, même après sa période soviétique, mais aussi à l’Arabie saoudite, pourtant jusqu’alors son allié et son plus gros client dans le domaine des ventes d’armes.

Enfin, l’objet n’est pas ici de se faire le chevalier blanc des ventes d’armes européennes ou encore de défendre leurs bienfaits supposés face à celles de la concurrence américaine. Non, il s’agit simplement de rappeler qu’en cette période de crise économie et financière durable, quelques réussites à l’export seraient les bienvenues, non seulement pour l’emploi dans l’industrie mais aussi pour l’innovation technologique.

De son côté, Washington, qui se prépare à réduire la voilure de ses abyssales dépenses de défense, l’a parfaitement compris. Et pendant que les médias anglo-saxons invitent les Européens à débattre des justifications à apporter à leurs éventuels contrats d’armements, les VRP de l’industrie de défense américaine eux voyagent…