L’efficacité de la traçabilité des armes

La question de la traçabilité des armes concerne, dans le cas présent, essentiellement celle des ALPC, c’est-à-dire les armes légères et petit calibre. En effet, ce sont celles pour lesquelles la mise en place d’une quelconque règlementation demeure la plus difficile ou du moins, compliquée.

Le débat quant à l’inclusion des munitions au sein des ALPC est toujours de mise. Selon ses défenseurs, elles seraient les seuls traceurs possibles des armes se trouvant déjà sur des marchés illicites et permettraient par conséquent un meilleur suivi des armes. Le traçage permet le suivi systématique du parcours des armes et des munitions dans toute la chaîne de production, du fabricant jusqu’à l’utilisateur final. Il vise avant tout à lutter contre la prolifération des armes, et le Groupe de recherche et d’information pour la paix (GRIP) rappelle qu’il existe deux conditions pour un traçage efficace : le marquage des inscriptions permettant ainsi l’identification d’une arme ou des munitions et l’enregistrement des chaînes de transfert dans des registres adéquats aux niveaux nationaux ou régionaux. Le cas du Comité du Conseil de sécurité pour la RDC, avec l’impossibilité pour lui de tracer les armes découvertes dans le pays, est l’illustration des difficultés de traçage, mais aussi de sa nécessité.

Etat des lieux

Afin de reconstituer le chemin parcouru par une arme, les Etats doivent coopérer en échangeant les informations dont ils disposent sur la dite arme dans leurs registres nationaux. Pour ce faire, le législateur français a mis en place divers outils. Il s’est inspiré des outils internationaux, qui mixent traçabilité des armes et lutte contre le commerce illicite de celles-ci. Ces outils sont notamment le Protocole de Vienne, le Programme d’action de l’ONU, la convention sur le marquage des explosifs plastiques, les règlementations sur le transport des matières dangereuses, la convention de l’OEA, le protocole de la SADC et un document de l’OSCE.

Cependant, l’outil fondamental demeure l’International tracing instrument (ITI) mis en place il y’a de cela six ans. Celui-ci est construit autour de trois piliers : marquage, enregistrement et coopération au traçage. Tous les deux ans par exemple, chaque Etat doit rendre compte de l’évolution de son corpus législatif et règlementaire pour la mise en place de cet outil. En 2012, la France a rendu son rapport accessible sur internet. Il apparaît que certes le pays s’est doté d’un important arsenal de contrôle de la circulation des armes, mais manque encore de certaines caractéristiques pour prétendre être irréprochable. Dans le questionnaire auquel la France a répondu, il apparaît que le pays n’échange pas assez avec d’autres Etats concernant la radiation de courtiers ou la révocation de leur immatriculation par exemple. 

La France appartient donc à ces pays qui se sont activement mobilisés, depuis une dizaine d’années, à travers diverses initiatives pour se munir d’instruments de contrôle des transferts d’armes, de marquage des armes, de sécurisation des stocks et de destruction des surplus. La dernière initiative en date de la France était sa très forte mobilisation et influence pour la négociation et la mise en place d’un traité sur le commerce des armes durant l’été 2012.

Au-delà de l’adhésion et de la ratification de ces divers outils, notamment internationaux, la France s’est doté du système AGRIPPA avec l’application de gestion du répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes. Ce fichier informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes fut officialisé au sein du ministère de l’intérieur, dans un texte publié le 16 novembre 2007 au journal officiel.

Les armes sont classées en huit catégories, et qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, les informations enregistrées sont les caractéristiques de l’arme, la date de délivrance de l’autorisation, sa date d’expiration, le cas échéant la date de refus d’autorisation et les dates de recours déposés.

Quelles perspectives ? Quels désaccords ? Quelles déceptions ? quel avenir ? 

En France, malgré diverses lois déjà existantes, une nouvelle loi est en cours d’élaboration. Elle prendra forme dans un contexte de législation européenne et les décrets d’application ne seront pas appliqués avant septembre 2013. Pour le moment, si cette loi n’a aucun effet, les changements à venir sont divers. Le premier et le plus important repose sur le nombre de catégories avec le passage de huit à quatre catégories. Les règlementations européennes et nationales sont donc implantées, mais diverses failles existent encore dans les systèmes de traçabilité.

D’autre part, une réunion composée d’experts gouvernementaux à composition non limitée s’est tenue à New York en mai 2011. Elle a permis de représenter les problèmes concrets de mise en œuvre des trois piliers de l’ITI avec le marquage, l’enregistrement et la coopération. Concernant le marquage, les Etats n’ont pas vraiment partagé d’informations quant à leurs pratiques. En revanche, ils ont avancé leurs difficultés qui sont liées aux évolutions récentes dans la fabrication des armes. Deux évolutions furent particulièrement discutées : l’usage de nouveaux matériaux dans la fabrication, avec la présence de plastique rend le marquage plus difficile que sur du métal, et la tendance à la modularité avec l’interchangeabilité ordinaire des principaux éléments d’une arme, et donc problème de marquage sur une pièce « essentielle » ou « structurelle » de l’arme. Le marquage lors de la fabrication est un principe acquis. En revanche, le marquage à l’importation demeure problématique et contesté. Il reste un enjeu sensible étant donné les risques d’abimer l’arme et donc de diminuer sa performance. Ses défenseurs indiquent le gain de temps et de travail évident comme principaux arguments pour mener une réflexion de fond sur la nécessité d’un tel marquage.

L’autre difficulté majeure, soulevée lors de cette réunion tenue à New York, est celle de l’enregistrement et de la conservation des données. Les pays critiquent souvent des registres incomplets ou inexacts, et le passage à des registres électroniques fut pour beaucoup un réel problème du fait d’un manque de moyens, de logiciels adéquats et de personnels formés à ces tâches. Les avantages d’une telle conversion sont pourtant indéniables : centralisation des données, réduction des coûts et conservation de longue durée. Le débat fut notamment axé sur la nécessité ou non de l’utilité de garder les données sur une arme après sa destruction. Pour les défenseurs, il s’agit de garder toute information utile afin d’éviter tout détournement de traçage et donc de participer à un commerce illicite des armes. A l’opposé, les détracteurs opposent des arguments davantage économiques. Comment justifier aux contribuables les coût financier et administratif de maintien d’une base de données sur des armes pourtant détruites ? Les débats ont aussi mis en évidence, suite à l’exemple du Brésil en la matière, une nécessaire réflexion sur l’inclusion des munitions dans ce système de l’ITI.

La coopération au traçage au sein des débats a permis de mettre en évidence de nombreuses raisons pour lesquelles les demandes de traçage n’aboutissent pas : des requêtes de traçage incomplètes, d’importants retards, abandon de requêtes en cours de route… Selon Interpol par exemple, 70% des requêtes de traçage échouent à cause d’informations inexactes et, aux Etats-Unis, 40% des requêtes échouent car les agents de maintien de l’ordre ont mal enregistré les données, voire ne les ont pas enregistré du tout. Ainsi, le nombre d’éléments à fournir pour pouvoir retrouver une arme varie d’un système à l’autre. Pour certains Etats, quatre informations suffisent (type, marque, calibre et n° de série), quand pour d’autres cinq éléments au minimum sont nécessaires. Les acteurs ont donc mis en évidence une nécessaire coopération entre eux de prime abord, avec le secteur privé ensuite, et une réflexion quant à l’uniformisation de certains critères. La nécessaire traçabilité des armes semble donc accorder tout le monde, mais diverses modalités de mise en œuvre sont encore débattues.

Margot Spiess