2014 : Ce qui a changé pour le renseignement

Le portail était présent à l’Institut des Amériques ce lundi 9 février 2015 pour la conférence des lundi de l’IHEDN, celle-ci étant consacrée au renseignement. Jean-Jacques Urvoas est ainsi revenu sur les apports de l’année 2014 dans la sphère du renseignement français.

Jean-Jacques Urvoas

Député du Finistère, Président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, membre de la délégation parlementaire au renseignement.

Selon Jean-Jacques Urvoas, l’année 2014 constitue un tournant et aura vu dans le monde du renseignement français les changements les plus importants depuis 1945 de par la conjonction de trois éléments : la reconnaissance par l’opinion de l’intérêt des services de renseignement, une mutation juridique et capacitaire des renseignements a été engagée, le parlement et le Sénat s’investissent dans le contrôle des services de renseignements.

L’opinion publique reconnait la nécessité des services de renseignement

L’opinion publique connaissait le renseignement mais elle a véritablement découvert la nécessité de ces services. S’ils sont présents dans tous les pays, ils sont vus de manières très différentes.

Les services de renseignement sont généralement assimilés aux affaires de trahison, de surveillances policières depuis la police secrète de l’abbé Fouquet jusqu’à l’affaire du Rainbow Warrior. Selon Jean-Jacques Urvoas, « notre pays n’a pas la culture du renseignement ». Cela est dû à notre histoire et à la valorisation de la droiture, de la chevalerie (héroïsme) et le rejet du mensonge. Jean-Jacques Urvoas déclare : « nous voulons la victoire et la beauté du geste », peu importe que l’on perde si le geste est beau. Selon lui, notre situation géographique fait que nous n’avons pas eu besoin d’aller ailleurs pour faire du commerce et que nous avons plutôt cherché l’unité au-delà de l’expansion.

En conséquence, pour Jean-Jacques Urvoas la connaissance est valorisée, mais le renseignement est mal perçu. L’opinion publique associe ainsi le renseignement à des affaires comme l’affaire Dreyfus, Ben Barka ou celle du Canard Enchainé et en a une idée préconçue. Jean-Jacques Urvoas souligne que les dirigeants eux-mêmes connaissent assez mal les capacités des services de renseignement. Ils leur prêtent ainsi beaucoup de pouvoir, les services peuvent tout faire et ont toutes les informations rapidement. Il rappelle ainsi que le général De Gaulle ne connaissait pas bien les services et n’en attendait rien, que le président Mitterrand souhaitait dissoudre le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (ex-DGSE). Pour lui, aucun président de la Vème République ne s’est vraiment intéressé à ces services jusqu’au président Nicolas Sarkozy. Jean-Jacques Urvoas cite le président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy qui aurait déclaré en 1961 dans le hall de la Central Intelligence Agency :”vos succès ne seront pas rendus publics, vos échecs seront annoncés à la trompette“. Mais la situation évolue : le 11 septembre 2001 a entrainé une rupture en hissant le terrorisme comme principal risque pour la sécurité internationale avec une menace d’un genre nouveau, qui ne vient pas des Etats, qui n’a pas de hiérarchie et qui est capable de frapper n’importe où. Avec le terrorisme, les activités des services ont changé, rendant leur travail plus compliqué, la menace est diffuse, plus intérieure et entraine des problèmes de visibilité. La première mission des services est ainsi d’identifier les menaces et les signaux faibles qui sont plus difficiles à trouver car protégés par la révolution numérique. Le défi majeur des services de renseignement, n’est pas la recherche, mais bien le tri de l’information et la capacité d’analyse. L’opinion publique a compris l’utilité des services car elle est consciente du risque et des difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Le pouvoir exécutif a engagé une mutation capacitaire et juridique des services de renseignements

En 2014, le cadre juridique et capacitaire a commencé à évoluer et les moyens humains ont été renforcés. Le livre blanc de la défense et de la sécurité nationale de 2008 a instauré la création de la communauté du renseignement et a aussi imposé des nouvelles fonctions stratégiques aux armées : la connaissance et l’anticipation. Le renseignement devient une fonction stratégique à part entière. La communauté du renseignement rassemble six services rattachés à trois ministères : DGSE, DPSD et DRM pour le ministère de la défense, la DGSI pour le ministère de l’intérieur et la DNRED et TRACFIN pour le Ministère de l’économie.

En 2014, avec la prégnance de la menace, la communauté a été restructurée essentiellement au niveau des services intérieurs. La DCRI devient la DGSI pour mieux intégrer les problèmes d’anticipation, notamment suite aux failles révélées par l’affaire Merah. Cette restructuration permet aussi de réadapter son maillage territorial. Pour Jean-Jacques Urvoas, ces services ont besoin de se redéployer, de se dynamiser et d’avoir plus de souplesse. Pour lui, cette restructuration a remis au jour la nécessité du renseignement de proximité, du suivi des mouvements sociaux et du travail décisif de détection en amont, notamment dans les quartiers “difficiles”. Ce travail d’anticipation est aussi pris en compte par la gendarmerie avec la création en 2014 de la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (Sdao) réaffirmant pour Jean-Jacques Urvoas la place décisive de la gendarmerie dans le monde du renseignement. Il souligne en revanche, les faibles moyens alloués à la cellule MS3 du bureau de renseignement de l’administration pénitentiaire.

Après ces évolutions capacitaires, Jean-Jacques Urvoas rappelle l’importance des mutations juridiques qui viennent combler un manque important : la France est la seule démocratie n’ayant pas de lois encadrant les activités de renseignements. Seule la loi Rocard du 10 juillet 1991 a permis d’encadrer les interceptions de sécurité (les écoutes téléphoniques). Or, la France pourrait être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour le non-respect de la protection des libertés individuelles, de même les personnels des services sont eux-aussi exposés aux condamnations. Jean-Jacques Urvoas annonce qu’un texte de loi établit en 2014 devrait être présenté le mois prochain (en mars). Ce texte, regroupera trois grands éléments: il consacrera les libertés individuelles, il accordera des droits de recourt (principe du contradictoire) et encadrera les services afin de mieux protéger ses agents.

Le parlement et le Sénat participent pour la première fois, par le biais de la délégation au renseignement, au contrôle des services de renseignements.

Le parlement et le Sénat se sont aussi intéressés aux services de renseignement, et en 2007 a été créé une délégation parlementaire au renseignement, commune aux deux chambres. Cette délégation comprend quatre députés et quatre sénateurs, son rôle est de suivre les activités des services, mais elle ne dispose pas de pouvoir de contrôle. Jean-Jacques Urvoas, qui est membre de cette délégation, souligne qu’à la suite de la loi de programmation militaire de fin 2013 celle-ci pourra désormais contrôler les activités des services de renseignement. Elle ne contrôlera pas le mode opératoire, mais vérifiera qu’ils servent bien leurs missions, qu’ils ne sont pas dévoyés. Ce sera un contrôle de responsabilité avec une seule réserve : l’interdiction du Conseil constitutionnel de 2001 de s’intéresser aux opérations en cours sans toutefois en avoir en défini la nature. Jean-Jacques Urvoas insiste néanmoins sur le fait que la délégation et les services de renseignement ont compris leur utilité mutuelle.

Le pays a compris l’intérêt du renseignement qui n’est pas une pratique douteuse, mais bien un outil au service de l’Etat et des citoyens. Les attentats de Charlie Hebdo ont confirmé l’utilité de l’écriture d’un texte de loi, mais ils ont aussi mis en évidence la modestie des moyens des services de renseignement notamment face à la révolution numérique. En conséquence, Jean-Jacques Urvoas insiste sur la nécessité de contraindre par la loi l’accès à des services numériques (Skype, Facebook…) qui sont protégé par la juridiction de leur pays d’origine.

Jean-Jacques Urvoas conclut en insistant sur l’intérêt de développer les moyens humains et capacitaires des services de renseignement qu’il faudra contrôler. Il évoque ainsi l’idée de la création d’une structure ayant les mêmes moyens que la CNIL, mais dédiée au renseignement.

Lors de la séance de questions réponses, M. Urvoas est revenu sur le retrait de l’amendement du secret des affaires de la loi Macron. Il a rappelé que les principaux prédateurs des entreprises françaises sont ses alliés les plus proches. Il souligne que cet amendement a sans doute été mal présenté, notamment aux journalistes et que l’intérêt porté par les entreprises n’a pas été compris. Selon lui, le renseignement économique est aujourd’hui délaissé alors que le renseignement devrait être au service de la compétitivité des entreprises françaises. Il déclare que “nous sommes d’une naïveté confondante” à ce sujet, et rappelle que c’est un domaine bien développé à l’étranger dans lequel il nous reste beaucoup de marge.

Catherine Saumet