Entre civil et militaire, quelle stratégie de développement pour Thalès ?

Jeudi 15 janvier 2015, le comité « défense économique » de l’association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (ANAJ-IHEDN) organisait une conférence sur le thème de l’évolution de la stratégie de l’entreprise française THALES à l’heure de la mondialisation et de la nécessaire recherche de nouveaux marchés pour pérenniser son avenir.

A l’occasion de cette conférence, M. Hervé MULTON, directeur-général adjoint de Thalès, directeur de la stratégie, de la recherche et la technologie était invité.

THALES, « champion national » de la gestion de l’information critique

Dans un premier temps, M. MULTON a tenu à préciser les secteurs de compétence de l’entreprise soulignant ainsi que sa structure répond à une logique d’entreprise et non à la saisie d’opportunités de développement.

En raison de son pôle d’expertise, THALES est une entreprise qui touche à la souveraineté de la France. En effet, THALES n’est absolument pas spécialisé dans une activité de transformation de la matière. Son domaine d’expertise, et d’excellence, est la gestion de l’information critique : détection, captation et stockage de bruits, sons, signaux ; transformation en données numériques (avec comme implication le développement de softwares) ; stockage ; mise en forme ; analyse ; transformation en données intelligibles (avec comme implication la mise au point de hardwares) ; et traitement de ces données.

Thales développe la totalité du spectre de ces activités tant dans le domaine civil (45%) que militaire (55%). Elle est également extrêmement internationalisée, que ce soit par ses zones d’implantation, la nationalité de ses clients ou celle de ses employés.

L’ADN de l’entreprise repose sur sa capacité d’innovation et une forte maîtrise technologique. Elle est également spécialisée dans la résilience, la sureté de fonctionnement et la sécurité des installations détenants des données sensibles. Dans le cas d’attaques massives provoquant une destruction importante d’un système informatique, l’entreprise équipée par Thalès continuera de fonctionner. Enfin, elle est présente sur toute la chaîne de valeur.

Celle-ci s’articule autour de cinq marchés verticaux, globalement homogènes. La défense représente 50% de l’activité du groupe, l’aéronautique 20%, la sécurité 10%, le spatial 10% et le transport terrestre 10%. Ces marchés sont homogènes car les acteurs y sont toujours les même : gouvernements, grandes institutions internationales, grands maitres d’œuvres, et opérateurs d’infrastructure.

L’ambition stratégique du groupe : transformer les savoir-faire à très haute valeur ajoutée de l’entreprise en business.

En 2012, la direction du groupe a diagnostiqué un décalage entre les capacités technologiques démontrées, qui placent THALES en position de leader mondial ou continental sur près des trois quarts de ses métiers, et ses résultats commerciaux et économiques dégradés.

La stratégie du groupe a reposé sur une logique d’intégration verticale, qui a notamment guidé les mouvements de restructuration intervenus depuis 1990. Internationalisation, avec l’acquisition de business units qui complètent le contrôle de la chaîne de valeur : Philips Defence, Dassault electronics, Alcatel. Création de Joint-ventures avec Samsung, Roy Kean, acquisition d’activité de signalisation ferroviaire, et enfin cession de participation dans DCNS.

Bien que cohérente d’un point de vue organisationnelle, cette stratégie ne permettait plus de se développer. THALES a donc recentré sa stratégie sur la conquête de nouveaux marchés. Pour cela, le groupe a tout d’abord travaillé à renforcer une véritable idée d’entreprise puis a analysé et caractérisé les secteurs de développement possibles, tant sectoriellement que géographiquement. Cela s’est traduit par un triple axe d’effort : Croissance, Compétitivité, Salariés (Growth, Competitivness, People) et s’est traduit par un slogan « together safer everywhere ».

L’orientation stratégique pour le futur n’est  donc pas axée sur une refonte des activités mais sur un ciblage géographique et une mise en valeur commerciale des savoir-faire techniques:

–          Priorité absolue sur les pays émergents. Ceux-ci pourraient croitre de 10% par pendant au moins deux décennies tandis que l’économie de l’Allemagne et la France stagneraient. Ainsi, en 2030, la Chine devrait représenter 36% du PIB mondial contre 18% aux USA, 16% à l’Union européenne et 15% à l’Amérique du Sud.

–          Capturer la croissance des activités civiles : avionique, big data, etc.

–          Résister à la contraction des dépenses publiques

–          Gagner plus de grands contrats

–          Accroitre la part des services dans les offres et les marchés chassés.

Et l’IE dans Tout Cela ?

L’IE a toute sa place dans la stratégie de développement de Thalès.

En effet, tout d’abord, la recherche de conquête de nouveaux marchés est basée sur une mise en avant commerciale des offres de Thalès, préférentiellement à une promotion de la compétence technique et technologique de l’entreprise qui va amener celle-ci sur le terrain de la concurrence informationnelle. C’est dans ce cadre que les équipes IE de l’entreprise prennent tout leur sens.

Par ailleurs, la priorité absolue accordée au développement sur les marchés des pays émergents en raison des promesses de croissance affichées expose naturellement les entreprises qui tentent de pénétrer ces marchés à divers types de risques graves : pillages de données, corruption, atteinte à la réputation, mais aussi pratique systématisée de l’OFFSET. Pour l’heure, Thalès assure seul la propre sécurité de ses réseaux de transport de données au moyen de procédures et matériels de cyber-défense développés par le groupe. En ce qui concerne l’environnement d’affaires dans les pays émergents, il y a de larges espaces d’applications des métiers de l’IE : due-diligence, compliance, benchmarking, veille concurrentielle et technologique. Pour l’heure, Thalès adopte une attitude très prudente consistant d’une part à découper le partage de l’activité et ne pas apporter dans les conditions d’accès à un contrat ou dans un joint-venture les activités à plus forte valeur ajoutée et d’autre part à sélectionner très soigneusement ses partenaires.

THALES est donc indéniablement un fleuron industriel français, 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 65000 salariés, qui semble avoir réussi le virage de la mondialisation dans un secteur pourtant soumis à forte concurrence et aux aléas des politiques publiques. Pour continuer à se développer dans un environnement toujours plus concurrentiel, Thalès Group mise sur une expansion dans les pays émergents et sur une stratégie de valorisation commerciale de ses savoir-faire techniques reconnus, pour les transformer en business. En son sein, la pratique de l’intelligence économique a toute sa place.

Eric Barbosa