Le FAMAS, fin d’un Made in France

L’histoire du Famas, ou plutôt sa fin, a l’allure encore une fois d’une tragédie industrielle à la française. L’indépendance stratégique sacrifiée ou réel choix stratégique ?

En 2014, la Direction générale de l’armement (DGA) lance un appel d’offre afin de remplacer le FAMAS par l’Arme Individuelle du Futur (AIF). Sur les cinq candidats retenus, selon des critères exigeants excluant d’entrée de jeu toute entreprise française, le HK416 allemand sort logiquement du lot. Rien de surprenant étant donné que ce fusil d’assaut est techniquement excellent et répond le mieux aux impératifs fixés dans l’appel d’offre. L’abandon du « Clairon » (surnom dû à sa forme), s’il devenait inévitable, a suscité des réactions de part et d’autre de l’échiquier politique, et fut abondamment commenté dans les médias. Des responsables de droite et de gauche ont fustigé la perte d’indépendance industrielle, et le manque de vision stratégique suite à cette décision. Leurs arguments sont légitimes, mais il serait abscons de porter ce jugement sur le gouvernement actuel en tant qu’unique responsable de ce choix stratégique. Il faut remonter aux années 1970, voire encore plus tôt, pour analyser les raisons de cette passation de pouvoir industriel.

 

L’inévitable remplacement

Le FAMAS, fleuron technologique de notre armée à la fin du 20ème siècle, tendait depuis quelques années à se ringardiser, et ce malgré les différentes versions pour le maintenir à niveau. Unique en son genre, la France n’a jamais réussi à l’exporter convenablement, à quelques exceptions près  (Corée du Sud, EAU, Gabon, Sénégal, Liban, etc.). Aussi, malgré un service de maintenance limité suite à la fermeture de la Manufacture de Saint-Etienne, ce dernier n’est pas entièrement conforme à la norme OTAN – en matière de taille de munition – et voit ses capacités limitées suite au lancement du programme FELIN (Fantassin à Equipements et Liaisons Intégrés), lancé en 2010. La mort du Famas remonte à sa naissance. Manque d’infrastructures durables, manque d’ingénieurs et d’ouvriers qualifiés, manque de vision stratégique, tous les ingrédients étaient réunis pour mettre fin à l’excellence française de l’après-guerre. En 2017, pour la première fois depuis plusieurs siècles, les militaires français ne s’équiperont plus d’un fusil d’assaut français. Face à cette situation, l’ancien ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, a tenté en son temps d’alerter le ministre de la Défense pour choisir une entreprise française. Des parlementaires de tous bords ont soutenu cette initiative. Mais ces lanceurs d’alerte se sont retrouvés face à une évidence : la France n’a plus les moyens de produire son propre fusil d’assaut.

 

Les politiques publiques en ligne de mire

Dans son communiqué de presse donnant le résultat de l’appel d’offre, la DGA justifie cette acquisition de la manière suivante : « ce marché contribue à renforcer les solides liens entre l’Allemagne et la France dans la Défense et dans l’industrie de l’armement en particulier ». Notre GIPN est en effet déjà équipé du HKG36 allemand depuis peu. Autre signe de cette perte d’autonomie industrielle, le rôle de l’Union européenne et de l’Agence européenne de Défense. Cette agence œuvre afin de favoriser la création d’un marché européen des équipements de défense. Dans un rapport du Parlement européen du 30 octobre 2013, il est souligné que : « plus aucune industrie de la défense dans les Etats membres ne peut être viable sur une base strictement nationale ». Et le cas du FAMAS n’est pas une exception : en janvier 2016 la DGA a attribué à la société RWM Italia (filiale de l’allemand Rheinmetall AG) le marché portant sur la livraison de bombes MK82, pour un contrat avoisinant les 230 millions d’euros. Si pour le FAMAS, la DGA était confronté à une pénurie de candidats français, pour les bombes MK82, elle aurait pu se tourner vers la SAMP (Société des Ateliers Mécaniques De Pont Sur Ambre). Les réactions ont été vives, reprochant la disparation d’un savoir-faire français. Nicolas Bays (député SRC) et Nicolas Dhuicq (député LR) déplorèrent, dans le cadre d’une mission d’information sur la filière des munitions en France en décembre 2015 : « Comme dans le cas des munitions de petit calibre, une perte de savoir-faire est à craindre et nous considérons que toute perte de savoir-faire affecte la souveraineté et l’indépendance de notre pays ». En somme, la Direction générale à l’armement s’aligne sur l’Agence européenne de Défense.

In fine, deux conceptions s’affrontent : ceux qui regrettent une abdication de souveraineté, et ceux qui justifient un véritable choix stratégique. En effet, la France a délaissé la production de petits calibres au profit de l’armement de haute technologie, qui excelle à l’exportation. Face à ces deux conceptions, demeure une réalité soulevée par une analyse du think-tank IFRAP : « Nos approvisionnements en munitions dépendent ainsi désormais complètement de l’étranger, ce qui est un vrai problème dans le cas où une montée en puissance rapide de nos armées serait nécessaire ».

 

La France a changé son fusil d’épaule  

Le choix résolument assumé d’abandonner cette filière industrielle au profit d’une autre répond à des exigences économiques, que l’on peut qualifier de « court-termiste ».         En effet, dans dix ou vingt ans, la DGA devra à nouveau réfléchir à la succession du HK416, ou le prolonger. Si l’on peut regretter qu’aucun inventaire digne de ce nom n’ai été réalisé par l’Etat suite aux fermetures des dernières manufactures de ce secteur, rien n’empêche d’anticiper ou de faire émerger une stratégie qui consisterait à commencer à se réarmer par le Made in France plutôt que la Deutsche Qualität, affaiblie par la récente histoire du HKG36. Selon la radio RTL, pour relancer cette fabrication – qui serait selon leurs termes une « gageure financière et technologique » –, elle nécessiterait un investissement de 100 millions d’euros, et trois à cinq ans de mise au point, sans compter la formation d’ingénieurs qualifiés. C’est un gage de souveraineté à long terme, nonobstant un marché rude, et un gage d’emplois à la clé. En définitive, la France par l’intermédiaire de ses pouvoirs publics, fait le choix de l’Europe de la Défense, enterrant définitivement l’idée d’une industrie militaire souveraine. Il n’en demeure pas moins qu’une tension inhérente entre les tenants d’un patriotisme économique, et les pro-européens en la matière, pourrait sérieusement éclater si d’autres appels d’offre de cette nature serait réalisés. Comme l’alerte le mouvement SIEL (Souveraineté, Identité Et Libertés) par un communiqué : « le soldat français porte des brodequins fabriqués en Allemagne ou Croatie, un casque américain, utilise un lance-roquette suédois, des missiles anti chars américains, roule en Land Rover Defender britannique ou Ford Ranger américaine, tire avec des mitrailleuses belges, et va prochainement s’équiper d’un fusil allemand ». L’abandon du « Clairon » sonne le glas d’un savoir-faire français, occultant le symbole de puissance que ce fusil d’assaut représentait il fut un temps.


Sources journalistiques :

  • Le Figaro : « L’armée française abandonne le FAMAS pour un fusil allemand » – 26/09/2016
  • Marianne : « Après l’affaire du FAMAS, le véritable scandale de l’armement made in France » – 29/09/2016, par Bruno Rieth
  • RTL : Edito « Pourquoi l’armée française abandonne-t-elle le FAMAS » ? – 27/09/2016
  • ’Express : « Scandale : l’armée allemande a un fusil qui tire de travers » – 23/04/15

Sources d'opinions :

  • Think tank IFRAP : Remplacement du FAMAS, les enjeux de l’arme individuelle du futur – 19/10/2016, par Nicolas Maldera
  • Communiqué de presse du SIEL : « Remplacement du FAMAS, l’arbre qui cache la forêt » – 17/09/16, par Cyril Giraud
  • Forum air-defense : « Remplacement du FAMAS fortement envisagé, étonnant que personne n’en parle ici » – mai 2009
  • Sputniknews blog : « L’armée française abandonne le FAMAS » – 05/08/16

Sources institutionnelles :

  • Communiqué de presse du MinDef : « La DGA attribue le marché de l’arme individuelle du futur (AIF) » – 23/09/2016
  • Rapport BITD du Parlement européen, 30 octobre 2013
  • Rapport d’information sur les filières munitions, par Nicolas BAYS et Nicolas DHUICQ, décembre 2015