Il y a bientôt 70 ans, le premier gisement pétrolier du lac de Biscarrosse était découvert dans les Landes. Plus largement, cela signait les débuts de l’extraction pétrolière en France, porteuse d’une potentielle autonomie stratégique pour les armées françaises.
Le 21 janvier 2023, Fabien Lainé – député de la circonscription des Landes – interrogeait le ministre des Armées à ce sujet en commission de défense. Pour le Portail de l’IE, il a accepté de parler de son projet.
Portail de l’Intelligence Économique : Monsieur le député, le 21 janvier 2023, lors de l’audition du ministre des Armées par la commission de défense, vous suggériez la redirection de l’extraction de pétrole landais au service des forces armées. Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour ce sujet ?
Fabien Lainé : J’ai été sensibilisé à cette question dès mon élection en 2017. En effet, les Landes font partie des rares départements à partir desquels est extrait du pétrole en France. C’est un département peu industrialisé, hormis la présence d’usines de constructeurs aéronautiques et l’industrie du bois, donc l’extraction pétrolière constitue un maillon important de son tissu industriel. L’entreprise Vermilion étant en charge de cette opération dans les champs pétroliers d’Arcachon et des grands lacs, elle contribue pour beaucoup au paysage économique des communes alentour. Dès mon arrivée en 2017, c’est donc naturellement que j’ai entamé un dialogue de confiance avec eux
À l’occasion de la visite du président Emmanuel Macron dans ma circonscription, j’ai saisi l’occasion pour lui suggérer l’idée de rediriger cette extraction pétrolière française au profit de nos forces armées. Elle s’inscrivait, à mon sens, entièrement dans la stratégie de souveraineté énergétique que mène le gouvernement français.
Par ailleurs, Vermilion s’est massivement engagée depuis quelques années dans une dynamique de recherche et développement en hydrogène qu’elle finance par les profits dégagés de l’extraction pétrolière. La France, qui ambitionne de devenir la première puissance européenne en production d’énergie à base d’hydrogène, collabore déjà avec l’un des acteurs qui contribuera à réaliser cette ambition nationale. J’ai donc profité de la venue du président de la République sur la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan pour lui en faire part : il a été tout de suite très réceptif. Il a été convenu que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, serait immédiatement informé du projet, de sorte qu’il puisse déployer les moyens adéquats. Ainsi, quand le ministre a été entendu à l’Assemblée Nationale par la commission de défense, il a pû expliquer que le dossier était traité par les plus hautes sphères de l’État, à savoir que le SGDSN s’en était saisi. En somme, aborder ce sujet a eu un effet accélérateur.
Portail de l’Intelligence Économique : Un ministre a donc la possibilité d’accélérer les démarches au niveau de l’administration ?
Fabien Lainé : Je savais qu’en parlant de l’idée au président de la République, cela allait le toucher. Il lui tient à cœur que la France renoue avec une dynamique de production et revienne sur la scène internationale en matière d’économie. Dans son ADN politique, il rejette catégoriquement les rigidités de l’administration française, il apprécie la rapidité. Mais le tissu économique est long à reconstruire. Malgré des premiers chiffres encourageants, nous sommes encore loin du compte.
Portail de l’Intelligence Économique : Le pétrole qui est actuellement exploité dans les Landes, reste-t-il en France ou est-il exporté à l’étranger ? Comment pourrait s’articuler une redistribution au profit de l’Armée ?
Fabien Lainé : Il suit un circuit précis, notamment par des raffineries, mais il reste sur le territoire français. De mémoire, les sites d’Arcachon et des grands lacs réunissent environ 60 % de la production française de pétrole. Les 40 % restants proviennent principalement du sud de l’Île-de-France. Le volume est tout sauf marginal, même si les sites de forage sont plus dispersés dans cette région. Vermilion est leader dans la production du pétrole en France, dans un marché très éclaté où se réunissent une multitude de petits producteurs. Tous confondus centralisent 1 % de la production nationale.
Cependant, l’interrogation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est en effet de déterminer la manœuvre par rapport au marché public, pour le redistribuer au Service de l’énergie opérationnelle (SEO) du ministère des Armées. Il faut que l’administration travaille pour savoir dans quel type de marché cadre on pourrait organiser cette redistribution, sachant que le pétrole passe par une raffinerie qui n’est pas française…
Portail de l’Intelligence Économique : Compte tenu du fait que vous êtes en dialogue régulier avec Vermilion, est-ce une proposition avec laquelle ils seraient d’accord ? Quel intérêt auraient-ils à travailler directement avec le ministère des Armées plutôt qu’avec d’autres industriels ?
Fabien Lainé : Ce qui rend cette proposition si originale et si adaptée, c’est qu’on l’a construite ensemble. Au fil de nos discussions, nous avons naturellement abouti à la conclusion suivante : si Vermilion veut produire du pétrole en France après 2040, ce ne pourra être que du pétrole étatique. Si ce n’est pas le cas, Vermilion entamera un processus de rapatriement de ses investissements à partir de 2030. La France serait-elle prête à se priver d’une entreprise, à la fois intégrée dans le milieu associatif et communal des Landes et qui subventionne de nombreux projets de recherche et de développement, notamment dans l’hydrogène ? Le projet consiste à faire en sorte que le pétrole, extrait par Vermilion, contribue à financer la R&D en matière d’hydrogène et s’inscrive dans la stratégie française visant à faire de la France la première nation d’hydrogène en Europe. Une cause peut toujours en servir une autre, dans une dimension stratégique. Probablement faudra-t-il passer par un cadre moins libéral, à savoir une nationalisation de la production d’hydrocarbures, pour que le service des mines attribue ensuite des concessions à « X » pour exploiter. Mais c’est à l’administration d’en décider et de nous donner des solutions.
Portail de l’Intelligence Économique : Comment est perçue l’extraction du pétrole en France ?
Fabien Lainé : Elle est formidablement bien perçue, et ce, depuis le début. Quand l’annonce a été faite localement, les entrepreneurs et collectivités locales nous ont largement exprimé leur approbation. Ils savent, tout aussi bien que nous, que la société Vermilion est très responsable et engagée en matière de RSE. Récemment, dans le cadre d’une enquête sur leur responsabilité sociale, j’ai été interviewé ainsi que le maire de la commune pour plus de détails sur la manière dont leurs activités étaient perçues en externe. Ils sont très soucieux de l’écosystème local, institutionnel et associatif. Ils font d’ailleurs régulièrement visiter leurs usines à la population : c’est une vraie intégration dans la vie locale qu’ils effectuent. Vermilion participe également à des projets locaux de cogénération, principalement deux, dans lesquels elle chauffe un écoquartier à La Teste – le dernier écoquartier qui vient d’être construit -, ainsi que les grandes serres de Parentis – évitant l’utilisation de produits phytosanitaires pour la culture des fameuses tomates des paysans de Rougeline.
Pour les locaux, les actions de Vermilion sont concrètement bienfaitrices. En plus de servir son bassin d’emploi, elle permet également une certaine rentrée d’argent à la commune. Cela contribue à affermir sa réputation à l’échelle locale. Tout le monde souhaite que cette entreprise reste chez eux, les salariés étant devenus – au fil du temps – les meilleurs ambassadeurs de Vermilion. Les militaires, relativement sensibles aux enjeux de souveraineté, ont également manifesté leur intérêt au projet.
Pour l’instant, nous n’avons eu aucun retour qui s’opposait à notre proposition, que ce soit au niveau des mouvements écologistes ou autre. Pourtant, le sujet a bien été médiatisé.
Vermilion est très fière de la manière dont elle extrait son pétrole : elle communique beaucoup sur ce sujet. À l’inverse des puits sous les étangs de Cazaux et Sanguinet – qui sont obliques -, celui sur le lac de Parentis Biscarrosse est vertical, car à l’origine c’était le moins touristique. Il est visible de tous, les vacanciers font du bateau dessus et se baignent autour, cela fait partie du paysage. S’il y avait de la pollution, ça se verrait, nous aurions des plaintes, mais ce n’est pas le cas. C’est notamment pour cette raison qu’il a gagné son surnom de « Texas français ».
Portail de l’Intelligence Économique : Vos responsabilités passées à la commission du développement durable de l’Assemblée Nationale ont-elles contribué à vous sensibiliser aux enjeux des problématiques énergétiques ?
Fabien Lainé : Cette affaire concerne effectivement autant les problématiques de la commission de défense que celle du développement durable. Avec un peu de recul, on constate qu’il est complètement fou de se dire qu’après 2040, la loi Hulot interdira de produire du pétrole alors même que l’on continuera d’importer un pétrole trois fois plus carboné pour couvrir nos besoins, car ils sont incompressibles, rappelons-le, même avec les évolutions technologiques. Nous ignorons de quoi l’avenir sera fait ; pourtant, nous pouvons affirmer avec certitude que nos armées utiliseront encore des chars et des Rafales : 2040, c’est presque demain. Une fois ces enjeux intégrés, nous avons la volonté de les défendre.
Donc il s’agit de produire un pétrole – certes – carboné, mais bien moins que celui importé. Sans compter l’on aggrave systématiquement notre balance commerciale, qui est déjà très dégradée. En France, on a fortement tendance à se tirer des balles dans le pied, notamment avec cette loi Hulot, et j’en prends moi-même une responsabilité partagée puisque je l’ai votée. Toutefois, nous sommes aujourd’hui en mesure de l’amender, de telle façon qu’il devienne possible de récupérer ce pétrole pour soutenir les intérêts français, en l’occurrence pour l’usage de nos armées. Cette dynamique souveraine, en complément de l’extraction d’un pétrole moins carboné, participerait directement au financement de la R&D du groupe Vermilion et maintiendrait son implantation sur le territoire français ; d’où l’idée de suggérer cette nouvelle dynamique au président de la République, qui a été réceptif.
Portail de l’Intelligence Économique : Pour continuer à extraire du pétrole en France après 2040, serait-il possible d’envisager un assouplissement de la loi Hulot ? Que nécessiterait cette proposition pour être mené à bien ?
Fabien Lainé : À ce stade, nous sommes encore en attente du retour de nos fonctionnaires, des ministères des armées et de la transition écologique pour avoir plus de détails sur les solutions possibles. Je suis prêt à faire un vote de proposition de loi sur la question, si cela peut accélérer le processus. Toutefois, les bonnes questions s’imposent : y a-t-il seulement à modifier le code des marchés publics pour que ce pétrole puisse bénéficier à nos armées ? À quelles échéances ?
Il nous est primordial de trouver une solution qui ne déstabilisera pas ces entreprises, c’est dans l’intérêt de nos collectivités locales. Il se pourrait, par ailleurs, que l’on en vienne à les décréter « opérateurs d’importance vital ». Cela permettrait de faciliter une forme de nationalisation de ces concessions, qui attribuerait leur exploitation à des entreprises privées comme Vermilion et ses homologues. Actuellement, rien n’est encore certain, c’est une affaire à suivre de près.
Portail de l’Intelligence Économique : On a souvent tendance à dire qu’une production sur le territoire national coûte plus cher, notamment dû aux coûts d’emploi, est-ce si vrai que ça ?
Fabien Lainé : C’est complètement faux dans la mesure où eux [Vermilion, ndlr] gagnent de l’argent. Pensez-vous qu’une entreprise canadienne vienne investir en France et y reste aussi longtemps si ses activités n’étaient pas rentables ?
Il est vrai que le ministre Lecornu avait reconnu qu’il pourrait être politiquement difficile de soutenir ce projet de loi. Pour le moment, notre démarche n’a pas encore rencontré de levées de boucliers. Seuls des articles bienveillants ont été écrits à ce sujet par des revues spécialisées et des acteurs de l’industrie pétrolière.
Propos recueillis par Sixtine de Faletans et Luc de Petiville
La seconde partie de cette interview sera publiée mardi 6 juin. Le député axera davantage sa vision quant à la réticence de l’opinion publique sur les sujets de pétrole, et sur les besoins futurs que rencontreront les armées.
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