Si la guerre en Ukraine semblait avoir démontré l’efficacité redoutable du canon Caesar, Nexter a pourtant accusé coup sur coup deux échecs de négociations, en Colombie et au Danemark. Bien que le système français ait été présenté comme le favori de ces deux contrats d’armements, le choix des gouvernements se porte finalement sur le concurrent israélien.
Le ministère de la Défense danois a annoncé en mars 2023 le choix du système d’artillerie porté sur camion ATMOS, conçu par l’entreprise israélienne Elbit System, afin de remplacer les canons CAESAR 8×8 acquis auprès de la France. Pour rappel, ces derniers furent envoyés en Ukraine au lieu d’être réceptionnés par Copenhague dans le cadre du soutien occidental à Kiev.
La décision du ministre de la Défense danois, Jakob Ellemann-Jensen, de se détourner de la solution française aurait été motivée par un calendrier de livraison compétitif proposé par Elbit System, par rapport à ses concurrents européens, Nexter avec le Caesar 8×8 et Bofors avec l’Archer. L’offre de Nexter étant plus avantageuse économiquement d’après les informations rendues publiques par le quotidien Altinget, un média politique danois, 89 millions pour l’offre de Nexter contre 105 pour celle d’Elbit System.
Une attribution biaisée de contrat d’armement
Cependant, un article d’Altinget, repris par meta-defense, suggère que d’autres facteurs auraient influencé cette décision. Des documents confidentiels, des e-mails et des entretiens entre le gouvernement danois et Elbit System suggèrent, en effet, que la compétition fut ouvertement biaisée en faveur du compétiteur israélien.
Il est également prouvé que des liens ont été tissés entre la société israélienne et des hauts responsables de l’armée danoise depuis un certain temps, remettant ainsi en question l’équité de la compétition. Afin d’appuyer la stratégie israélienne, le gouvernement danois aurait également exagéré l’urgence d’un remplacement des canons, ce qui aurait précipité la décision des parlementaires danois tout en empêchant les concurrents de répondre adéquatement aux attentes de l’armée danoise, notamment quant aux délais de livraison.
Enfin, l’armée danoise est déjà équipée de deux systèmes d’artillerie produits par Elbit System, le lanceur de roquettes multiples PULS et le mortier autotracté Cardom 10. Si le complexe militaro-industriel américain est souvent présenté comme le principal adversaire de la BITD française, la guerre en Ukraine aura permis de mettre en lumière la maturité et l’appétit de l’industrie de l’armement de Tel-Aviv ou encore de celle de Séoul en Pologne par exemple. Cette dernière a, en effet, passé des commandes massives de matériels aux chaebols coréens, allant du char de combat K2 aux avions de chasse légers T-50.
L’Europe se réarme : les entreprises d’armement à la manoeuvre
Le renouvellement massif des armées occidentales, prêtes à mettre le prix pour acheter du matériel de guerre de dernière génération, laisse apparaître les différentes tactiques commerciales des entreprises de l’armement. Si Israël et la Corée du Sud, deux pays produisant un effort de défense important, ont réussi à construire des industries de l’armement particulièrement compétitives pour leurs besoins nationaux, les deux pays partent désormais à la conquête de marchés étrangers.
En montant en gamme, ces pays, très proches des États-Unis, sont entrés dans le segment du marché français : des matériels performants sans débauche inutile de technologies, le tout sans demander un alignement politique. Le fait que des chancelleries européennes se laissent séduire, en interne, par des entreprises étrangères au point d’ouvertement biaiser des appels d’offres, risque de réduire les ventes de la BITD, qui ne peuvent déjà pas atteindre leurs plein potentiel suite aux projets industriels allemands et à l’atlantisme des pays de l’OTAN.
Ivan Richoilley et Martin Everard
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