Depuis l’arrivée au pouvoir de Faustin-Archange Touadéra le 14 février 2016 et l’arrivée progressive de mercenaires russes en 2018, la République centrafricaine voit ses relations avec la France, les États-Unis et l’ONU se dégrader progressivement conduisant le pays vers un isolement diplomatique.
L’isolement de la République centrafricaine profite aux Russes qui bénéficient ainsi des droits d’exploitation afin d’extraire de l’or, des diamants ou encore de couper du bois rouge. Il assure également au président son pouvoir face aux rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) voulant s’emparer de la capitale. L’exploitation des ressources minières représente pour Wagner des dizaines de millions d’euros de revenu annuel. Ce changement s’effectue progressivement en essayant de séduire et influencer les mœurs.
Radio Lengo Songo, un son de cloche russe
Accompagnée d’un site web publiant des articles, la Radio Lengo Songo signifiant « Nouons la solidarité », créée en 2018, est à l’initiative de la Russie pour convertir les cœurs avec une ligne pro-gouvernement et pro-russe. La radio émet en français et en sango avec une portée de 100 km autour de Bangui et est maintenant une des cinq radios les plus écoutées de la capitale.
Cette radio illustre la stratégie d’influence que les Russes opèrent afin de faire progressivement monter un sentiment anti-français dans le pays. Elle a notamment couvert avec assiduité les manifestations pro-russes et anti-françaises à Bangui.
Derrière cette opération d’influence se trouve Dimitri Sytyi, cadre de Wagner dans le pays. Ayant travaillé à l’Internet Research Agency et fait un an d’étude en France, ce polyglotte est spécialisé en désinformation et manipulation de l’opinion. Il dirige la branche locale de la Maison russe, considérée comme le bras de la propagande du ministère russe des Affaires étrangères à Bangui.
Il est également actionnaire de la société centrafricaine Lobaye Invest SARL affiliée au groupe Prigojine et qui finance Radio Lengo Songo et d’autres médias pour appuyer les campagnes anti-occidentales comme le journal Le Monde en Vrai.
La Maison russe ne promeut pas seulement les intérêts de Moscou mais également directement les intérêts de Prigojine par la diffusion de ses films, et même des dessins animés afin de toucher un public plus large. Dans une de ces fables par exemple, l’Éléphant, attaqué par des Hyènes, sollicite l’aide du Lion, puis de l’Ours de Russie pour rétablir la paix. La vidéo, publiée en 2019, semble être un dessin animé inoffensif, mais elle est en réalité liée à l’influence russe en Centrafrique. Produite par Lobaye Invest, une société minière contrôlée par l’homme d’affaires russe Evgueni Prigojine, elle a été projetée dans des cinémas gratuits pour enfants à Bangui.
Des trolls afin de relayer sur les réseaux les narratifs de la Russie
L’ensemble de ces médias sont appuyés par des comptes sur les différents réseaux sociaux commentant, republiant ou critiquant les articles allant à l’encontre des actions russes dans le pays ou à l’encontre du président. Cette stratégie permet de créer un brouillard médiatique par le biais des informations et rumeurs en masse rendant plus difficile de discerner le vrai du faux.
Wagner, la SMP comme solution miracle pour les États africains : une illusion ?
D’une main la plume, de l’autre le fusil. Wagner est présent en Centrafrique afin de combattre les rebelles CPC mais également pour assurer la garde présidentielle de Touadéra.
À la tête des activités militaires et conseiller à la sécurité auprès du président se trouve un ancien légionnaire de 39 ans, Vitalii Perfilev, accompagné de Alexander Ivanov le porte-parole de Wagner sur place. Avec des rebelles évitant l’affrontement, les mercenaires russes se focalisent sur les principaux axes et les sites miniers.
Alexander Ivanov vise à décrédibiliser les Occidentaux et justifie l’intervention des mercenaires, par des communiqués publiques et des publications : « les spécialistes russes font un excellent travail dans le monde entier » dit-il. Sewa Security Services (SSS), société de droit centrafricain est considérée comme une filiale de Wagner fondée en 2017 à Bangui.
Wagner : des crimes de guerre mal dissimulés
Wagner emploie des instructeurs et des conseillers militaires afin de former les Forces Armées de Centrafrique (FACA) à la demande du gouvernement centrafricain. Cependant ces mercenaires se retrouvent accusés de crimes contre l’humanité avec des exécutions de civiles, de la torture et des détentions arbitraires.
Malgré les médias pro-russes cherchant à noyer les exactions, l’ONU envoie un groupe de travail et des journalistes enquêtent. En plus des crimes contre l’humanité, les experts de l’ONU ont recensé 66 incidents visant des humanitaires pour le mois de janvier 2021. Le tout conduit à des sanctions de la part de l’Union européenne sur les militaires concernés mais également sur les entreprises en liens avec les activités de Prigojine, telles Radio Lengo Songo pour ses opérations d’influence ou encore Lobaye Invest pour financer les médias de Wagner ainsi que son représentant Dimitri Sytyi.
Les sociétés Diamville et Meroe Gold pour l’extraction de diamant et d’or liées à Wagner dans le pays et au Soudan sont également visées par les sanctions européennes. Ces deux entreprises sont des sociétés écrans permettant à Wagner le commerce illégal de bois rouge, de diamants ou encore d’or, étroitement lié avec Dimitri Sytii et Prigojine. L’ensemble des entreprises appartenant à Prigojine ou faisant affaire avec lui ainsi que leurs membres dirigeants sont sous sanctions financières.
L’Union africaine condamne également le recours aux mercenaires afin de respecter la Convention africaine sur le mercenariat entré en vigueur en 1985, même si les employés de Wagner sont seulement des « instructeurs » et des « conseillers » en Centrafrique, cependant les répercussions sont pratiquement nulles.
Des sanctions loin d’intimider Prigojine
Ces sanctions et remarques sont loin d’intimider les collaborateurs de Prigojine ou le président de la République Touadéra. Les médias pro-russes et des personnalités n’hésitent pas critiquer et décrédibiliser directement la France et les États-Unis ainsi que la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique) au nom de la souveraineté de la RCA. Sur Twitter par exemple, des comptes critiquent les actions de l’ONU en précisant que les « instructeurs russes » auraient pu agir plus rapidement et mieux protéger la population.
Les FACA (Forces armées de Centrafrique) accusent l’ONU de surveiller et d’espionner leur armée. En réalité, difficile de savoir à qui appartiennent réellement les drones. Toutefois, les hommes de Wagner, en arrière plan, cherchent à avoir le plus de discrétion sur leur activité et exaction. En ayant donc plus de surveillance des FACA par drone, ce sont les hommes de Wagner qui gagnent en discrétion.
Les États-Unis sanctionnent également l’organisation Wagner et ses partisans en proposant en retour une offre d’aide pour former l’armée et protéger le président en mettant en avant les bénéfices économiques qu’il y a en acceptant. En contrepartie, se séparer des paramilitaires du groupe Wagner avec une réponse à donner en 2024. Cependant, cette information est réfutée par l’ambassade américaine et le gouvernement centrafricain qui nie avoir reçu une telle offre. Mais la rumeur reste relayée par plusieurs médias pro-américains au moment où les États-Unis renforcent leurs sanctions envers le groupe paramilitaire russe.
Les Russes sont parvenus à s’intégrer progressivement au paysage centrafricain avec le temps et sont devenus indispensables pour le président. Cependant la présence russe sans Touadéra reste plus difficile à envisager et c’est pour cette raison que les Russes ainsi que le président sont favorables à une modification de la constitution permettant au président de rester avec un troisième mandat. Néanmoins elle n’est pas compromise si le président est amené à changer, les concessions minières russes leur assurent une affaire très lucrative difficile à déloger.
Cellule d’investigation de l’AEGE
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