Emmanuel Chiva : Osons passer à l’offensive, osons une vision pragmatique de l’influence par l’intelligence économique [Colloque de l’IE]

Trente ans après le rapport Martre et vingt ans après le rapport Carayon, le Colloque de l’Intelligence économique fait le bilan des avancées de la discipline aujourd’hui forte d’un nouvel élan étatique. Les fondateurs et experts de l’IE des quatre tables rondes sont revenus sur les difficultés majeures rencontrées ces dernières années autour de la gestion de l’information stratégique entre les acteurs économiques. Repoussant la logique de sécurité et de protection à la promotion des intérêts français, les réflexions et débats du 8 avril 2024 ont brossé une vision pragmatique du monde de compétition contestation affrontement actuel, proposant des stratégies concrètes pour une politique nationale d’intelligence économique propice à la compétitivité et la souveraineté de la France.

Pour la clôture du colloque de l’Intelligence Économique organisée par le Portail de l’IE le 8 avril 2024, le délégué général pour l’armement Emmanuel Chiva fait un état des lieux de ce secteur du côté de l’industrie de l’armement. Le contexte géopolitique a changé : le monde est passé du triptyque paix, crise et guerre au triptyque compétition, contestation et affrontement. Cela signifie que les Etats et les différents acteurs économiques sont dans un état de guerre ou de confrontation permanent.

L’industrie de l’armement française : stratégique, attractive, et ciblée par les concurrents 

Il est admis que « l’industrie de Défense est hautement stratégique. La France doit pouvoir se reposer sur un socle technique, technologique et industriel ». Il semble impératif de protéger les actifs nationaux stratégiques pour préserver les intérêts français. De nos jours, les menaces sont protéiformes et hybrides, s’inscrivant simultanément dans les champs matériels et immatériels (menaces cyber, désinformation, menaces juridiques, etc.)

Du fait de son excellence technologique et technique, la France possède de nombreux actifs stratégiques à protéger. Ainsi, en tant que deuxièmes exportateurs mondiaux d’armement, la France est un pays extrêmement attractif et donc particulièrement exposé aux menaces extérieures. De fait, peu de pays sont capables de concevoir entièrement un sous-marin nucléaire. Il n’y a qu’à se rappeler de la crise des sous-marins entre la France et les membres de l’organisation de coopération militaire AUKUS, ou bien plus récemment de la désinformation russe quant au rafale français, concurrent du SU-35 sur certains segments.

L’anticipation au cœur d’une protection efficace de la BITD

Il est essentiel de structurer des stratégies claires pour répondre aux enjeux industriels. Par la nature même de son activité, l’industrie de défense est un enjeu pour l’industrie française. À elle seule, la BITD représente des enjeux technologiques, techniques et industriels de premier ordre.

Il est urgent de se doter de capacités pour anticiper les avancées technologiques avant qu’elles ne viennent perturber l’industrie française comme l’arrivée du quantique, des drones ou encore de l’impression 3D. Cette anticipation permettrait de préserver les avantages stratégiques français. De plus, il est essentiel de préserver les compétences techniques, humaines, technologiques, mais aussi les marchés français en défendant les entreprises.

Si la protection de la souveraineté nationale semble être un sujet qui revient, il semble important de rappeler que « tous les investissements étrangers dans les entreprises françaises ne sont pas des menaces ».

Dans l’optique d’une protection renforcée des entreprises duales stratégiques, l’Etat français s’est doté d’un Fonds Innovation Défense s’élevant à 200 millions d’euros (avec pour objectif d’atteindre les 300 millions d’euros) ayant vocation à éviter les rachats d’actifs stratégiques par des sociétés étrangères. Emmanuel Chiva rappelle que le « secteur de la Défense est historiquement un terrain de jeu pour les professionnels de l’IE », notamment du fait du nombre important d’actifs stratégiques.

Penser plus loin que la protection des intérêts français en les promouvant

Le délégué général pour l’armement constate que « la France a été longtemps trop timorée dans le domaine de l’intelligence économique. Osons passer à l’offensive, osons une vision pragmatique de l’influence par l’intelligence économique ». Il insiste sur la nécessité d’actionner des leviers d’intelligence économique pour offrir à la France une autonomie stratégique et préserver sa souveraineté. Pour ce faire, il faut « assumer l’approche pragmatique de l’influence par l’intelligence économique » à travers un système de renseignement en source ouverte. Emmanuel Chiva invite à adopter une approche plus offensive et assumée et de rendre coup pour coup, dans une stratégie de défense globale en matière de guerre économique.

« Dans un contexte d’hybridité des guerres qui nous attendent, l’intelligence économique est un champ stratégique qu’il va falloir investir pour la réussite de notre Défense ». La DGA met en œuvre divers outils pour encourager cette discipline :

  • La création d’un campus Open Source Intelligence à Angoulême qui sera le centre de référence industriel en recherche en source ouverte de la DGA ;
  • Le lancement du réseau Heder pour favoriser l’échange entre les services et les régions, et la démarche proactive dans la formation en intelligence économique ;
  • La mise en place de la réserve industrielle, qui ambitionne de mobiliser 3 000 personnes au sein-même des industries de la défense. Couplée à la réserve opérationnelle de la DGA, ces réserves constitueront de véritables relais d’influence au sein de la société civile.

Si la tendance au sein des ministères et des services est de compartimenter l’information dans les cabinets, Emmanuel Chiva salue les mobilisations collectives comme ce colloque qui sont l’avenir de collaborations solides.

Grégoire Loux et Tiphaine de Rauglaudre

L’enregistrement complet de cette intervention est disponible sur la chaîne Youtube du Portail de l’IE

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