Face à l’Ukraine et ses soutiens américano-européens, la Russie serait capable de produire 3 fois plus d’obus à un prix 4 fois inférieur. Cette dynamique risque de poser un énorme défi pour la sécurité de l’Europe orientale dans les prochaines années.
Plus de deux ans après le début de la guerre en Ukraine, alors que les États-Unis et l’Europe espéraient contenir la puissance russe avec des sanctions, la réalité semble prendre un autre tournant. Moscou a mis en place un complexe industrialo-militaire très compétitif et semble être en mesure de faire basculer le rapport de force en sa faveur.
Les États-Unis et l’Europe distancés par l’économie de guerre russe
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, une disparité significative se manifeste dans la production d’artillerie entre la Russie et les alliés occidentaux. Selon une analyse de Bain & Company, les usines russes sont en passe de fabriquer et rénover approximativement 4,5 millions d’obus d’artillerie cette année. Face à cela, les pays européens et les États-Unis, ensemble, sont incapables de dépasser 1,3 million de munitions. Autre point inquiétant, le coût de production par obus en Russie est nettement inférieur. Alors que le prix des obus de 152mm est estimé à environ 1 000 $ côté russe, il atteint en moyenne 4 000 $ pour les obus de 155mm chez les pays membres de l’OTAN.
Cet écart de production représente un énorme défi pour l’Ukraine qui est confrontée à un rapport de force déséquilibré. Les troupes ukrainiennes indiquent que pour cinq obus tirés par les forces russes, elles n’en lancent qu’un seul. A l’heure où les Ukrainiens tentent de défendre la région de Kharkiv, leurs besoins en munitions constituent un des enjeux essentiels du conflit.
Par ailleurs, le manque de ressources se révèle également dans les déficits en formation et en équipement. Un exemple frappant de cette pénurie est la rareté des missiles antichars N-LAW, au point où, lors des formations, les recrues sont contraintes de simuler l’utilisation de ces armes, faute de disponibilité réelle. Sky News pointe également la lente progression de la production dans les installations britanniques, entravant ainsi la capacité de réponse immédiate du soutien à l’Ukraine. Cette conjoncture appelle à une réévaluation urgente de la stratégie de soutien international à l’Ukraine pour pallier ces manques critiques.
Vers un axe Russie-Chine-Iran-Corée du Nord
Alors que le conflit en Ukraine se poursuit, la Russie peut, de son côté, compter sur un soutien de la part de ses alliés internationaux. Selon le ministre sud-coréen de la Défense, la Corée du Nord aurait récemment fourni à la Russie 7 000 conteneurs de munitions. Cette livraison substantielle témoigne de la relation toujours plus étroite entre Moscou et Pyongyang dans l’effort de guerre en Ukraine.
De son côté, l’Iran a également renforcé sa coopération militaire avec la Russie en fournissant des centaines de missiles balistiques sol-sol. Ces livraisons illustrent aussi le renforcement des liens stratégiques entre Téhéran et Moscou, malgré les sanctions internationales.
Enfin, le soutien chinois à la Russie semble aussi se renforcer. Le nouveau ministre chinois de la Défense, Dong Jun, a ainsi affirmé le soutien de son pays à Moscou lors d’une vidéoconférence avec son ex-homologue russe, Sergueï Choïgou, tout en soulignant que ce soutien ne constituait pas une alliance militaire formelle. Sur le plan économique, la Chine a augmenté ses échanges commerciaux avec la Russie, devenant son premier fournisseur de pétrole et participant à une coopération technologique qui contrecarre les sanctions occidentales. Sur ce point, on peut notamment noter les domaines des composants électroniques et des matériaux stratégiques comme la nitrocellulose, utilisée dans la fabrication de munitions d’artillerie.
Une montée en puissance russe pour préparer la guerre de 2028 ?
Cette montée en puissance du complexe industrialo-militaire russe entre en résonnance avec plusieurs rapports allemand et polonais publiés fin 2023. Dans leurs scénarios, la Russie pourrait chercher à négocier un cessez-le-feu dans les prochains mois, profitant ainsi d’une pause afin d’accumuler des réserves de munitions. Cette stratégie permettrait de préparer une offensive future plus vaste visant à réaffirmer définitivement son hégémonie en Europe orientale. Ce scénario prend en compte la capacité actuelle de la Russie à produire des munitions à un rythme nettement supérieur à celui de ses adversaires occidentaux, une réalité qui renforce la pertinence de cette analyse prospective.
Dans ce contexte, l’Europe et les États-Unis se trouvent dans une position délicate, confrontés à la nécessité d’accroître très rapidement leur compétitivité industrialo-militaire pour être en mesure de dissuader la Russie. Le cas des missiles N-LAW, dont la production a pourtant été augmentée dans les installations de Thales à Belfast, illustre bien cette situation. Malgré une capacité qui doit être doublée, il reste un écart significatif à combler pour atteindre une parité avec la Russie.
Dans ce cadre, la France, en tant que leader militaire européen, est en mesure de jouer un rôle de premier plan. Elle peut non seulement continuer à renforcer sa propre production militaire, mais aussi exercer une pression accrue sur ses partenaires européens pour qu’ils investissent de manière plus significative dans ses capacités de défense afin d’accroître le potentiel industrialo-militaire sur le sol européen.
Jules Basset
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