Le brevet, mis en avant comme protection légitime du droit des inventeurs et des investissements en R&D, est aujourd’hui utilisé comme une arme économique par de nombreux acteurs, des états ou bien des entreprises. Patent troll, incitation à l’innovation, stratégies adoptées par les différents acteurs ou durée optimale des brevets, Denis LE GUEN, associé du cabinet MAILLET LE GUEN a accepté de répondre aux question du Portail de l’IE.
Portail de l’IE: Bonjour, pourriez vous, dans un premier temps, nous définir l’utilité première du système des brevets?
Denis LE GUEN: Bonjour. Breveter a pour utilité de s’assurer un monopole sur un marché, un produit et donc de valoriser sa société, tant par le monopole acquis que par la l’élargissement du portefeuille de brevets. Il s’agit là de protéger l’innovation effectuée et donc d’assurer le retour sur l’investissement fait en R&D. L’enjeu du brevet porte aujourd’hui sur l’articulation entre la publication et la protection des intérêts de ceux qui y ont consacré du temps et de l’argent, la procédure de dépôt, en plus de la R&D étant elle aussi un investissement, tant en termes de temps que d’argent.
Portail de l’IE: Certaines critiques commencent à apparaitre à différents niveaux, taxant le système des brevets et sa législation de protectionniste ou bien de frein à l’innovation. Qu’en est il vraiment ?
Denis LE GUEN: Le brevet ne devrait pas être considéré comme un frein à l’innovation, au contraire. Le brevet est certes une arme économique, mais il doit être considéré comme un stimulant de l’innovation. C’est une arme dissuasive envers la concurrence, pour l’empêcher de copier un savoir faire, et donc d’apparaître en tant que concurrent sur un marché donné. Ce faisant, seules deux possibilités légales sont offertes au concurrent pour s’insérer sur le marché.
Premièrement, l’achat de licences, pour utiliser légalement une technologie préexistante et développer par la suite de nouvelles applications. On peut par exemple citer le cas de Yenista Optics (http://yenista.com/). Cette société de fibre optique a choisi l’achat de licences japonaises pour ses débuts, un investissement en R&D n’étant pas réalisable au vu des montants à injecter. La société a par la suite racheté le département R&D et brevets d’une société en difficulté pour développer de nouvelles applications sur la base des licences précédemment acquises. Ce faisant, Yenista Optic a été à même de rapidement déposer ses propres brevets et de produire ses propres produits, engendrant une augmentation significative de son chiffre d’affaire avec l’ouverture de nouveaux marchés. Pour résumer, le secret de leur réussite a consisté en une bonne veille technologique ainsi qu’en un bon état des règles de l’art existant, le tout couplé à une bonne stratégie d’entreprise. Ce faisant, une start-up créant de l’innovation attirerai plus facilement des investisseurs pour peu que son créneau soit porteur, de plus, cela montre aussi le potentiel de valorisation d’un portefeuille de brevets si ce dernier est bien exploité et surtout évalué à sa juste valeur.
Deuxièmement, l’innovation pure, comme c’est le cas aujourd’hui dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. En revanche, cette option nécessite une forte capacité d’investissement ainsi que des moyens techniques et humains préexistants. Les batailles que se livrent actuellement les nombreux fabriquant le montre bien, la meilleure façon pour eux de minimiser au maximum le risque de procès est d’innover au maximum.
Portail de l’IE: On a vu ces dernières années l’apparition de nouveaux comportements, que ce soit de la part d’entreprises ou de fond d’investissements, n’utilisant pas le brevet pour protéger l’innovation mais purement et simplement pour gagner de l’argent. Qu’en est il vraiment de la situation?
Denis LE GUEN: Il s’agit une nouvelle fois de l’utilisation du brevet comme arme économique, mais l’utilisation de la nature même du brevet est ici détournée a des fins purement lucratives. On notera que les fonds d’investissements anglo-saxons sont très coutumiers du fait, même si certaines entreprises françaises ne sont pas étrangères à cette pratique, comme a put le faire Thomson, via sa filliale Technicolor. (http://www.usinenouvelle.com/article/l-art-de-la-guerre-des-brevets.N159301). Les montants demandés par le patent troll sont souvent exorbitants et l’attaque peut avoir diverses conséquences. Tout d’abord, l’attaquant peut être débouté par la justice si cette dernière ne la juge aucunement fondée. En suite, l’entreprise attaquée peut aussi acheter des licences au prix fort à l’attaquant. Enfin, l’entreprise peut aller jusqu’au bout du procès si la justice trouve l’attaque légitime avec, en résultat, des montants parfois négligeables, mais bien réels, par rapport au montant demandé, et parfois des montants de l’ordre du milliard d’euro. Quelque soit le montant obtenu par le patent troll, il repart avec un gain, ce qui était l’effet final recherché.
Portail de l’IE: Les différents systèmes législatifs, tant dans leurs législations brevets que dans leurs décisions de justices, sont ils tous égaux les uns par rapports aux autres? Peut il exister une forme de protectionnisme de la part de certains états?
Denis LE GUEN: Il existe un certain nombre de disparités. Chaque région géographique possède ses propres spécificités. En Europe, il n’y a pas lieu, pour l’heure, de parler de protectionnisme. On notera d’ailleurs que les tribunaux allemands et néerlandais sont très compétant en la matière. C’est aussi une des raisons pour laquelle la bataille européenne Apple/Samsung a lieux dans ces pays là, et non en France, où, en revanche, les décisions sont de moindre qualité pour la simple raison que le système ne repose que sur les juristes qui ne sont pas, par définition, des expert en électronique et technologies de la communication. En revanche, en Allemagne et aux Pays-Bas, le champ de compétences utilisées par le système législatif est bien plus vaste et complet, donnant ainsi des décisions de meilleure qualité.
Au Etats-Unis, en revanche, il y a une forme de protectionnisme déguisé. En effet, une procédure en justice pour une question de brevet y coutera à minima environ 300 000 € là où une procédure similaire couterait dans les 15 à 20 000 € en France. Ce faisant, il est impossible pour une PME de défendre ses intérêts sur ce territoire sans une force de frappe financière notable.
Pour ce qui est de la Corée et du Japon, le protectionnisme était plutôt de mise par le passé, mais la situation tend à s’améliorer, notamment ces derniers temps, avec des décisions de justice allant à l’encontre des entreprises nationales.
La Chine, terre protectionniste par excellence et de plus spécialiste de la contrefaçon (de 6 à 8 cas sur dix de contre façon traités par le cabinet MAILLET – LE GUEN ont pour objet des entreprises chinoises). Il est pour ainsi dire impossible pour une entreprise étrangère d’attaquer en justice une entreprise chinoise sur son territoire et de gagner. Cela risquerai d’ailleurs plus pour elle d’être a double tranchant.
Reste la Russie. La situation est ici différente du fait que les russes possèdent peu de technologie et qu’il n’y a par essence que peu de règles en Russie. On notera malgré tout que cela débute dans le domaine des biotechnologies avec des dépôts de brevets de la part d’entreprises russes.
Portail de l’IE: Peut on remarquer des stratégies spécifiques adoptées par certaines nations en matières de brevets?
Denis LE GUEN: Deux tactiques ressortent particulièrement. Tout d’abord celle adoptée par la Chine ces dernières années, avec des dépôts de brevets internationaux en masse sous le système PCT.
Il ne s’agirait là en réalité uniquement d’un tigre de papier, et ce pour plusieurs raisons. En effet, seul approximativement 2% de ces tentatives aboutissent réellement à des dépôts de brevets, le reste portant essentiellement sur des technologies simplement dépassées. Mais la procédure de validation nécessitant près de 30 mois, l’effet recherché est obtenue, à savoir donner l’illusion d’une capacité d’innovation. Ce faisant, la presse s’empare du nombre de demande de dépôt et tire la sonnette d’alarme, faisant ainsi craindre les décideurs politiques étrangers et donnant l’illusion aux consommateurs que la chine est une puissance innovatrice, alors que tout cela n’est en réalité qu’un feu de paille.
L’autre tactique notable est celle de l’écran de fumée, adoptée par le Japon. Il s’agit là de déposer le maximum de brevets possibles, même si ces derniers ne portent pas sur de réelles recherches. Si l’on ajoute à cela la barrière de la langue, il est extrêmement difficile pour la concurrence étrangère de connaître la situation réelle, la portée d’un brevet tenant déjà à des notions extrêmement ténues, à une virgule près. Ajouter la quantité aux problèmes de traduction leur permet ainsi de flouer la capacité de veille de leurs adversaires.