Le 23 janvier 2012, l’Assemblée nationale votait une proposition de loi qui sanctionne la violation du secret des affaires comme un délit.
Ce texte, porté par l’ancien député UMP du Tarn, Bernard Carayon, fut l’objet de nombreuses années de négociations. Inspiré du « Cohen Act » américain, il vise à doter les entreprises françaises de règles empêchant leurs concurrents d’entrer en possession d’informations sensibles par des moyens illégaux et de nuire ainsi à leurs intérêts. Il s’agit d’estampiller de « secret des affaires » (de la même manière que « secret défense »), certaines informations jugées cruciales pour une entreprise. Cette action révèle pourtant plusieurs lacunes. La définition même de secret des affaires demeure floue. En effet, ce concept est quasi inexistant en droit français. Il regroupe d’autres concepts tels le secret professionnel, le savoir-faire, le secret de fabrication ou encore les informations à caractère confidentiel. Après plusieurs efforts juridiques de la part des avocats comme des juges, avec notamment l’affaire Valéo en date du 18 décembre 2007 ou l’affaire Michelin de 2010, les lacunes sont encore nombreuses. Il y aurait « des trous dans la raquette » selon l’expression de M. Carayon. Sa proposition de loi prévoit l’ajout d’un article 325-3 au code pénal créant un délit de « violation du secret des affaires ». La sanction envisagée est de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Malgré un certain flou, cette proposition de loi traduit une prise de conscience étatique. L’Etat peut ainsi informer les responsables d’entreprises, quelles que soient leurs tailles, qu’il est nécessaire et urgent de mettre en place, voire de renforcer, des actions d’intelligence économique. Pourtant, le changement de gouvernement et le renouvellement de l’Assemblée ont failli faire tomber le projet aux oubliettes. En effet, lorsque le projet de loi fut voté en janvier 2012, les députés de gauche s’étaient abstenus. Le nouveau gouvernement soucieux du « redressement productif » donne pourtant une seconde chance au projet, suite aux pressions exercées par les différents professionnels du milieu de l’intelligence économique.
Quels problèmes suscite ce projet de loi ?
Un patron d’entreprise, en choisissant quelles sont les informations pouvant être estampillées de « confidentiel », définit indirectement le champ de la sanction pénale. Or, cela ne relève pas de sa compétence. Qui d’autre que lui est pourtant mieux placé pour connaître le degré de confidentialité et/ou sensibilité des informations de son entreprise ? Le deuxième proiblème est celui de savoir comment gérer le risque d’atteinte à la liberté de la presse. Le député PS Jean-Jacques Urvoas s’interroge ainsi : « Une affaire comme le Mediator pourrait-elle sortir si les journalistes sont désormais poursuivis pour divulgation de secrets d’entreprise ? ». Les journalistes sont donc soucieux de l’ampleur des données concernées par le texte voté à l’Assemblée nationale. Selon l’article 1 de la proposition de loi Carayon, «constituent des informations protégées relevant du secret des affaires d’une entreprise, quel que soit leur support, les procédés, objets, documents, données ou fichiers de nature commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique ne présentant pas un caractère public dont la divulgation non autorisée serait de nature à compromettre gravement les intérêts de cette entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique ou technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle et qui ont, en conséquence, fait l’objet de mesures de protection spécifiques destinées à informer de leur caractère confidentiel et à garantir celui-ci». Malgré les arguments de M. Carayon dans le « bulletin du droit des secrets d’affaires » (BSA), les journalistes y voient une espèce de censure de la presse. Pour eux, cette mesure est disproportionnée et impactera nécessairement leur métier, et une tentative de découragement de publication de toute information qui n’aurait pas obtenue l’aval du service de communication de toute entreprise.
Des modifications à venir ?
L’avocat Olivier de Maison Rouge, spécialiste en intelligence juridique et en droit des secrets d’affaires, exprime clairement les nouveaux enjeux dans l’éditorial du « bulletin du droit des secrets d’affaires » (BSA) de novembre 2012. La première voie envisagée par le gouvernement précédent, à savoir celle de créer une nouvelle infraction, fut très sévèrement rejetée par le Conseil d’Etat. « Le sujet ne suscite pas de clivage entre droite et gauche, mais il est juridiquement complexe. C’est facile de se prendre les pieds dans le tapis » souligne-t-il. Le but recherché est donc d’intérêt général et pour éviter l’inflation législative, cet avocat propose de rattacher la violation des secrets d’affaires à un texte pénal général déjà existant. Un autre avocat spécialiste du droit de l’intelligence économique, Maître Thibault du Manoir de Juaye, énonce le besoin de compléments à ce texte. En effet, les juridictions déjà débordées par leurs tâches respectives, se donnent beaucoup de mal pour régler les différends avec l’arsenal juridique déjà existant. Ce nouvel outil doit donc être clair et efficace pour ne pas tomber aux oubliettes. Enfin, dans un entretien accordé au magazine l’Expansion, Olivier Buquen, membre de la délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE), assure de nouveau un projet de loi sur ces questions. Celui-ci sera présenté au Parlement au premier trimestre 2013 et instituera un nouveau délit : la violation du secret des affaires. Le D2IE travaillant en étroite collaboration avec l’ancien député Bernard Carayon, le projet de loi devrait connaître des avancées importantes en 2013. Il doit cependant répondre aux attentes de divers professionnels et les experts doivent encore se prononcer à son sujet.
Margot Spiess