Le droit des marques est aujourd’hui source des combats les plus âpres. Pour mieux en discerner les contours et saisir ses enjeux, retour sur la bataille judiciaire Lindt / Haribo.
La bataille judiciaire Haribo VS Lindt
La chose est « presque » passée inaperçue en France. Pourtant, elle a fait l’effet d’une bombe en Suisse et en Allemagne.
Le 11 avril dernier, un Tribunal de Cologne a rejeté, en appel, les prétentions de Haribo, dans la lutte qui l’oppose depuis plus de deux ans à Lindt. Elle vient ainsi infirmer la décision rendue en première instance.
La violation de la marque verbale, objet de cristallisation du litige
Le géant allemand de la confiserie reprochait en effet au chocolatier suisse, en commercialisant son ours en chocolat, d’avoir violé la marque verbale "GOLDBÄREN », marque qui désigne les petits bonbons de gélatine Haribo. Ces bonbons sont officiellement inscrits comme marque à l’Office Allemand des brevets en 1967.
Alors qu’en France les fraises Tagada semblent davantage désigner Haribo, en Allemagne, les « GOLDBÄREN » ou petits ours d’or en français, sont quasiment une « Institution ». Selon une enquête diligentée par Haribo dans le cadre de la procédure judiciaire, plus de 90% des sondés allemands connaissent la marque d'ours d'or de Haribo.
C’est précisément du fait de cette notoriété que le consommateur aurait pu être induit en erreur en associant le Nounours Lindt à la marque GOLDBÄREN. Rappelons que Lindt commercialise depuis 2010 et sous le nom « Lindt Teddy », un petit ours en chocolat entouré de papier doré.
Il s’agit bien ici d’une violation d’une marque verbale qui est en jeu car, si les produits commercialisés par Lindt et Haribo sont tous deux des ours, toute autre ressemblance est à proscrire. L’un est en pâte gélifiée tandis que l’autre est en chocolat ; leurs dimensions sont également différentes.
Lindt, grand gagnant de la décision en appel
Ainsi, bien que le risque de « confusion verbale » existe, le Tribunal a estimé qu’il ne voyait pas de ressemblance suffisante entre les marques "ours d'or" de Haribo et "Lindt Teddy" de Lindt. Pourtant, en première instance et par un arrêt du 18 décembre 2012, un Tribunal allemand avait jugé que le Nounours Lindt violait la marque verbale "GOLDBÄREN". La Cour avait donc donné raison à Haribo et interdit la commercialisation des ours Lindt. Cette première décision semble critiquable puisqu'elle aurait empêché toute production d'un concurrent dès lors que celle-ci ait été assimilable à la marque verbale "ours en or", à l'image de l'ourson Lindt. Or, si Guy Degrenne, Ikea ou Mercredes consituent assurément des marques verbales, « GOLDBÄREN » apparaît davantage relever d'une expression générique.
L’affaire « ourson d’or » ou l’illustration de l’importance du droit des marques
Bien loin de s’arrêter à cette seconde décision de justice qui lui est, cette fois-ci, défavorable, Haribo a décidé de porter le contentieux devant la Cour Constitutionnelle Allemande. L’aboutissement de ces péripéties judiciaires ne devrait pas avoir lieu avant 2015.
Le conflit opposant ces deux multinationales est symptomatique de l’importance que revêt aujourd’hui le droit des marques. Une marque constitue, indéniablement, l’émanation de l’entité, publique ou privé, qui la dépose. La « marque au chevron », la « marque au losange » sont des exemples parmi tant d’autres.
La valorisation économique issue d’une marque
Mais, au-delà de la seule « usurpation d’identité », c’est bien la valorisation économique de la marque qui est en jeu. La contrefaçon représente un manque à gagner considérable pour les entreprises qui en sont victimes.
TPE, PME ou multinationales, plus aucune entreprise ne prend à la légère l’impact économique qui résulte d’une marque ou plutôt de sa violation.
Haribo produit quotidiennement plus de 100 millions d’unités de ces petits « oursons d’or ». Par ses différents recours judiciaires, le groupe montre qu’il est conscient des potentiels dommages qui pourraient résulter d’une confusion de la part du consommateur.
La déconvenue de Lindt par le refus de la marque communautaire « lapin Or »
Lindt n’échappe pas à la règle. En 2008, l’entreprise suisse avait tenté de déposer la marque communautaire « Lapin Or » devant l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), sans succès.
Il faut préciser que la démarche de Lindt se justifiait par l’existence d’un concurrent Allemand, la société Riegelein, qui commercialisait également un lapin enveloppé d'une feuille dorée.
Dans un arrêt du 24 mai 2012, La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) confirme la décision de l’OHMI en estimant que la forme d'un lapin en chocolat avec un ruban rouge ne peut être enregistrée en tant que marque communautaire car cette forme est dépourvue de caractère distinctif. Or, le dépôt d’une marque est conditionnée par le caractère distinctif du produit.
Un droit des marques « Tridimensionnel »
Aujourd’hui, les entreprises peuvent faire le choix de déposer une marque à l’échelle nationale, européenne ou internationale. Leurs choix est discrétionnaire et répond essentiellement aux parts de marchés qu’ils réalisent, selon qu’elles sont plutôt nationales ou davantage européennes voire internationales.
La règlementation française d’une marque est gouvernée par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI). Le principal écueil réside dans le fait que la marque enregistrée n’est protégée que dans les limites du territoire national. Néanmoins, les différentes législations nationales ont fait l’objet d’une harmonisation par la Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil.
La règlementation européenne par le biais de la « marque communautaire » créée en 1994, offre l’avantage d’une protection dans l’intégralité des pays européens. Elle est assurée par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur. Elle est codifiée par le Règlement (CE) n° 207/2009. La Commission a par ailleurs proposé une réforme en 2013 dont les mesures préconisées viseraient à rendre les systèmes d’enregistrement des marques moins chers, plus rapides, plus fiables et plus prévisibles dans l’ensemble de l’Union européenne.
Enfin, la règlementation internationale est sous le joug de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) basée à Genève.
Tout acteur aspirant à la protection de son produit par l’intermédiaire d’une marque ne manque donc pas de recours juridiques. En outre, il est seul juge de l’échelle, nationale ou supranationale, de sa protection. Bien plus qu’une simple querelle de « petits oursons » ou de « petits lapins », ce dernier doit être conscient du coût économique éventuel de sa décision ou plutôt d’une absence de décision. Le meilleur moyen de se défendre est d’attaquer. Mais c’est également celui d’anticiper.
Anais FERRADOU