Le 21 janvier dernier, la châtaigne d’Ardèche, déjà AOC, a bénéficié de l’appellation AOP. Au-delà du simple label, se pose surtout la question de ses enjeux. Illustration avec la noix de Grenoble.
« Ne bénéficie pas d’une appellation d’origine qui veut ». Malgré le caractère contraignant d’un cahier des charges détaillé, les enjeux tirés d’une labellisation n’en sont pas moins intéressants. Dans un contexte de guerre économique, la normalisation par les appellations apparait comme une nouvelle forme de patriotisme déguisée
Une certification permet d’abord au producteur de se placer dans une posture défensive, elle apparaît ainsi comme une arme de protection face à d’éventuels abus et attaques. Mais l’obtention d’une appellation s’inscrit ensuite et surtout dans une démarche offensive. Elle est le symbole de la reconnaissance d’un territoire et entraîne ainsi un rayonnement supplémentaire du produit.
Dans un climat de concurrence exacerbée où l’enjeu est de se départir de ses concurrents, l’appellation – gage d’authenticité et de méthodes de production singulières – permet précisément de se différencier. Elle est donc à la fois signe de traçabilité pour le consommateur, mais également garantie d’une meilleure rentabilité chez le producteur. En cela, les appellations d’origine sont dans l’esprit d’une démarche d’intelligence économique.
Si le profit qui réside dans la conquête d’un label n’est plus à démontrer, force est de constater qu’à l’inverse, son échelle a évolué. D’une portée strictement nationale, l’appellation d’origine est à présent européenne.
De l’appellation d’origine française à l’appellation d’origine européenne
Appellation d’origine contrôlée, appellation d’origine protégée, indications géographiques protégées… Sans que pour autant on puisse parler de « banalisation », le consommateur est aujourd’hui confronté à une pléthore d’appellations. Originellement destinées au secteur viticole en 1935, elles s’étendent maintenant à l’ensemble des produits agricoles.
Aujourd’hui, l’INAO définit « l’appellation d’Origine Contrôlée [comme] un signe français qui désigne un produit qui tire son authenticité et sa typicité de son origine géographique. Elle est l’expression d’un lien intime entre le produit et son terroir ».
Depuis 2007, l’Institut national d’origine et de la qualité, Etablissement Public Administratif (EPA) a la charge de l’attribution de ces appellations. Mais dans un univers « d’hyper mondialisation », l’AOC n’est plus suffisante pour garantir la notoriété nécessaire à la bonne rentabilité d’un produit. Un nouveau label a donc vu le jour : l’AOP, équivalent européen de l’AOC.
La démarche qui a conduit à l’élaboration de ce nouvel instrument normatif européen fut dictée par le désir de créer un label unique aux 28 Etats de l’Union Européenne. Chaque membre possède effectivement des appellations et des organismes de contrôle propres. Face à cette hétérogénéité, l’Union Européenne s’est voulue force d’harmonisation par l’élaboration depuis 1992 de l’appellation d’origine protégée, se « superposant » aux certifications d’origine étatique.
Cette nouvelle certification correspond également à un « fait de société » évoqué dans le Règlement n° 2081/92 du Conseil de l’Union Européenne du 14 juillet 1992 : « il a été constaté, au cours de ces dernières années, que les consommateurs ont tendance à privilégier, pour leur alimentation plutôt la qualité que la quantité ». Par conséquent, « cette recherche de produits spécifiques se traduit, entre autres, par une demande de plus en plus importante de produits agricoles ou de denrées alimentaires d’une origine géographique certaine ».
Les noix de Grenoble, illustration
Berceau historique de la noix, Grenoble et sa région s’imposent aujourd’hui comme un marché incontournable pour sa commercialisation.
Dès la fin du XIXème siècle, la noix de Grenoble apparait comme une ressource agricole majeure des vallées iséroises. Première AOC française dès 1938, elle obtient l’appellation d’origine protégée par le Règlement n°1107/96 de la commission du 12 juin 1996 .
Dans ce contexte, Coopénoix apparait comme un acteur incontournable. Première coopérative de la région regroupant plus de 450 producteurs, elle a réalisé l’année dernière plus de 22 millions d’euros de chiffre d’affaires avec une production de plus de 6000 tonnes par an. La coopérative entretient des relations étroites avec le Comité interprofessionnel de la noix de Grenoble, organisme à l’origine de l’appellation d’origine protégée.
La noix de Grenoble doit aujourd’hui composer avec plusieurs concurrents redoutables : la noix de Californie et celle du Chili. Face à cet environnement concurrentiel où « la demande s’élève au double de l’offre », Monsieur Gallin-Martel, président de Coopénoix, souligne le rôle prépondérant de l’AOP en parlant de véritable « atout ».
En effet, « 70 % de la noix de Grenoble s’exporte à l’étranger, 95 % de celle-ci s’effectue dans l’Union Européenne ». Les principaux pays importateurs sont « l’Italie suivie de l’Allemagne et de la Suisse ». Par conséquent, décrocher « l’AOP était plus que nécessaire ».
En outre, « la concurrence est telle qu’obtenir l’appellation, gage de qualité et d’un savoir-faire unique, nous permet de nous différencier ».
Ainsi, cet exemple vient un peu plus démontrer l’utilité du droit comme instrument utile à l’intelligence économique. Forte d’un patrimoine gastronomique unique, la France se doit donc de « cultiver » ces appellations. Nul doute que la liste des produits à « appeler » est encore longue…
Anaïs FERRADOU
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