Dans un précédent article du Portail, on a pu constater que le droit américain s’extraterritorialise dans le monde afin de toucher désormais les entreprises françaises. Au même moment, les États-Unis s’attaquent aux paradis fiscaux dont la Suisse, alors que les États-Unis en comptent de nombreux sur son territoire. Alors qu’éclate le scandale du “Panama Papers”, qu’en est-il aux États-Unis ?
Le Dakota du Sud, le Nevada, mais surtout le Delaware — autant de petits états américains —, mais qui sont les nouvelles Îles Vierges ou la Suisse, remarque Bloomberg.
Or, les États-Unis refusent de se plier aux nouveaux standards d’échanges d’informations en matières fiscales alors qu’ils sont à l’origine de ces normes. Comme le précise l’OCDE, « La coopération entre les administrations fiscales est essentielle dans la lutte contre la fraude fiscale et pour protéger l’intégrité des systèmes fiscaux. Un aspect fondamental de cette coopération est l’échange de renseignements ». Or, les États-Unis ne sont pas signataires de cet accord d’échanges d’informations financières, alors que 80 autres pays le sont dont la Suisse, Jersey et de nombreuses petites îles présentant des taux avantageux…
« Les États-Unis qui blâmaient si éperdument les banques suisses sont devenus eux-mêmes un rempart du secret bancaire », affirme le juriste suisse Peter Cotorceanu, de la société Anaford. Ainsi, l’établissement Rothschild & Co serait même au coeur de ce processus de transfert de fonds, elle dispose désormais d’une filiale dans la ville de Reno au Nevada, un petit Las Vegas. La banque s’occuperait de rapatrier les liquidités présentes dans les « anciens » paradis fiscaux.
Le Dakota du Sud offre un taux d’imposition très faible, ainsi que le secret bancaire. Selon Bloomberg, Trident Trust co, une entreprise très active dans le milieu des services offshore, de nombreux grands comptes ont été transférés depuis la Suisse et d’autres paradis fiscaux vers le Dakota du Sud. Alice Rokahr, présidente de Trident affirme elle même être « surprise de voir arriver tant de personnes qui avaient autrefois des comptes en Suisse, mais qui souhaitent retirer leurs fonds de Suisse ».
Les banques suisses détiendraient toujours près 1900 milliards de dollars sur des comptes cachés selon Gabriel Zucman, professeur à l’Université de Berkeley. Cela correspond à autant de fonds susceptibles d’être présents sur le sol américain.
Le cas du Delaware : un paradis sur terre…
Cash investigation en parlait hier soir. Le Delaware est bien devenu un paradis (fiscal) sur terre. Selon le classement de 2009 de Tax Justice Network, une ONG basée à Londres, l’État du Delaware est plus intéressant que les îles Bermudes ou les Caïmans, ces derniers étant signataires des récentes normes internationales de transparence fiscale.
L’Union européenne a présenté une liste noire des paradis fiscaux, mais aucun état américain n’est étrangement présent sur la liste… Or, le Delaware est tout à fait transparent sur le sujet et présente un document « Pourquoi les sociétés choisissent le Delaware ». En 2014, l’État compte 935 600 habitants pour 950 000 entreprises. Les 500 plus grandes entreprises américaines présentent en Bourse se trouvent dans l’État du Delaware. La majeure partie du temps, une simple boite aux lettres est présente. Le fameux North Orange Street de Wilmington 1209 (photo plus haut) regroupe les sociétés américaines les plus connues du monde.
« On a installé au Delaware un système capable d’être détourné légalement. C’est un endroit dont tout le monde a la connaissance, mais que l’on laisse vivre. C’est cette dérive du visage américain qui pousse l’OCDE à classer le pays parmi les États qui fournissent des informations contre la fraude fiscale, mais avec encore des efforts à faire sur son territoire » résume Pascal Saint Amans en poste à l’OCDE.
Au Delaware, l’entreprise ne paye aucun impôt local et est uniquement assujettie à l’impôt fédéral. Le coût pour une société souhaitant s’installer dans ce petit État est de seulement 400 dollars par an. En effet, ces frais comprennent l’installation d’une adresse postale dans l’état, où un individu doit s’occuper de traiter le courrier (250 dollars), ainsi que diverses tâches administratives (150 dollars).
Par conséquent, 30 % du budget de l’État fédéré provient de toutes ses entreprises domiciliées. John Kowalko, un élu démocrate local, expliquait récemment qu’il « fallait plus de documents pour s’inscrire à la bibliothèque que pour monter une société ». Une situation qui doit faire rêver les entrepreneurs français.
Dans le Delaware, c’est un véritable havre de paix pour les entreprises. Il n’est pas nécessaire pour une société d’indiquer le nom du propriétaire. De nombreuses sociétés-écrans sont présentes et ne disposent pas de nom dans l’organigramme de l’organisation. En effet, une entreprise se crée ici en une heure avec un nombre minimum de papiers et surtout sans la nécessité d’être physiquement présent. Pascal Saint Amans de l’OCDE précise qu’il est « très difficile de juger l’ampleur de l’argent gagné illégalement ».
Des états comme la Pennsylvanie ont abandonné ces pratiques de secrets bancaires, le résultat est que les entreprises exploitant le gaz de schiste s’enregistrent dorénavant dans le Delaware, même si elles sont présentes dans l’État voisin.
Tax Justice Network précise à nouveau que « Le G20 n’a aucune crédibilité ni aucune cohérence, si sur la liste dite “noire” des paradis fiscaux, il n’y a pas le Delaware, il n’y a pas le Wyoming, il n’y a pas le Nevada ». Les îles Caïmans se plaignent également d’avoir face à eux un concurrent beaucoup plus opaque.
Pour les autres pays, le Congrès a adopté le Foreign Account Tax Compliance Act (FCTPA) qui oblige les établissements financiers étrangers de transmettre au fisc américain les informations sur les contribuables américains si les USA le souhaitent.
Même le médiatique candidat à la présidentielle démocrate Bernie Sanders — qui ne cesse de préciser que son adversaire est Wall Street — affirme en 2013 qu’il « se concentrait (uniquement) sur l’évasion fiscale à l’étranger ». « Nos résultats montrent que l’État du Delaware est évidemment un paradis fiscal intérieur (…) qui offre un niveau similaire d’évitement fiscal à celui des Caïmans », affirment trois professeurs américains.
Comme le précise la précédente ONG « Pourquoi aller dans les Caïmans quand vous pouvez aller en bas de la rue ? ». Elle affirme également que l’État du Delaware « est la principale source de sociétés anonymes dans le monde ».
« Les compagnies choisissent notre État et nous en sommes fiers. Nous passons beaucoup de temps à voyager à l’étranger pour faire savoir que le Delaware est un endroit génial pour faire des affaires » précise le parti démocrate du Delaware. En effet, les élus démocrates montrent le chemin à suivre aux personnes les moins fréquentables en termes de scandale financier. Le célèbre lobbyiste Jack Abramoff, le « marchand de morts » russe, Viktor Bout disposaient de sociétés-écrans dans le Delaware.
En 2015, le sénateur démocrate Carl Levin affirme que « Les États-Unis sont actuellement un des pays au monde qui viole le plus les règles dans le domaine de la création d’entreprises anonymes ». Les élus démocrates les plus contestataires demandent juste la mise en place d’un registre national des entreprises afin de mettre un nom sur les entités commerciales. Il est à noter que Joe Biden, Vice-président des États unis a ses habitudes de vacances dans le Delaware.
On peut voir que quelques rapports ou personnalités politiques s’attaquent timidement au paradis fiscal du Delaware, mais celui est globalement méconnu du grand public, alors que tout le monde sait que la Suisse ou les îles Caïman en sont. Au même moment, les États-Unis sanctionnent à travers leurs armes juridiques les entreprises étrangères soupçonnées de corruptions, ou encore font la chasse au secret bancaire en Suisse. Quoi de mieux que d’offrir un secret bancaire à 150 kilomètres de Washington au sein de la première puissance économique et militaire mondiale ? À côté de l’extraterritorialité du droit américain, le transfert de liquidités des anciens paradis fiscaux vers certains fédérés des États-Unis doit être à suivre. Le droit américain est surement l’arme américaine la plus puissante du XXIe siècle pour maintenir sa puissance.
Il y a quelques jours (le 31 mars), le Président Barack Obama affirme vouloir modifier le régime fiscal du Delaware. Le Secrétaire adjoint au Trésor américain, Robert Stack précise qu’ “il n’est pas acceptable qu’une entité soit créée sur notre territoire sans qu’on n’ait la possibilité de savoir qui est son actionnaire et pour quoi cette société est utilisée. Il est important aussi de protéger le fisc américain“. Cette prise de conscience intervient quelques jours avant l’éclatlement de l’affaire du Panama Papers et il reste à savoir si Barack Obama aura le temps de faire passer cette réforme avant la fin de son mandat.
Alexandre Moustafa