Ivory Trade Compliance Act Initiative : vers un FCPA de la lutte contre le commerce illégal de l’ivoire ?

En septembre 2015, le Royal United Services Institute for Defence and Security Services (RUSI) publiait un rapport, rédigé par Tom Maguire et Cathy Haenlein, intitulé : An Illusion of Complicity Terrorism and the Illegal Ivory Trade in East Africa. Le commerce illégal de l’ivoire africain n’est plus simplement une question environnementale. N’y a-t-il pas urgence à franchir un cap en matière de lutte contre le phénomène ?

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), qui date de 1977, est une loi fédérale américaine extraterritoriale, qui vise la transparence comptable en vertu de la Securities Exchange Act de 1934 et la corruption d’agents publics étrangers. La loi a été modifiée en 1988 et en 1998. Il s’agit aujourd’hui de la plus redoutable réglementation en matière de compliance. Le Department of Justice (DOJ) fonde sa compétence à poursuivre des actes de corruptions commis à l’étranger sur la base de nombreux critères tels que l’utilisation du dollar ou encore l’utilisation d’un service de messagerie américain (Gmail, Facebook etc.).

Une troisième modification de cette loi pour y intégrer la compliance en matière de commerce de l’ivoire semble être la seule véritable réponse possible contre cette criminalité qui menace réellement la paix en Afrique et l’avenir de la planète.

 

État des lieux

Le commerce illégal de l’ivoire représente la principale menace à la survie des éléphants d’Afrique. Environ 30.000 individus sont abattus par année, ce qui a réduit leur population à environ 470.000, tandis qu’ils étaient un million dans les années 1970.

Le braconnage, qui est le mode opératoire à l’origine de ce fléau, est sans cesse en croissance et en mutation aussi bien dans les armements mis en œuvre, les acteurs que les stratégies.

La pratique traditionnelle, qui se caractérise par un circuit court, des acteurs restreints et un trafic localisé, a laissé place au grand braconnage matérialisé par des circuits longs, des acteurs multiples mais surtout par l’existence d’un marché international dynamique.

En effet, il s’agit dorénavant de commandos rompus à la jungle qui manient des armes automatiques de type Kalachnikov AK47 ainsi que des tronçonneuses pour le prélèvement des défenses. Nous voyons apparaître dès lors des enjeux sécuritaires majeurs avec de véritables risques sur la stabilité des États africains.

Ce trafic ne peut ainsi prospérer et s’intensifier que parce qu’il existe un véritable marché cible avec une demande soutenue qui a entraîné une très forte augmentation des prix. À titre d’exemple, le cours de la corne de rhinocéros a dépassé les 60.000 dollars le kilogramme, soit le double de celui de l’or ou de la cocaïne Le continent asiatique est la destination de prédilection de l’ivoire criminellement prélevé en Afrique.

Face à des risques très élevés sur le plan environnemental, sécuritaire, économique et social, de nombreuses initiatives existent. Nous pouvons toutefois nous interroger quant à leur efficacité.

 

Absence d’unanimité

L’état initial est caractérisé par une certaine cacophonie. En effet, bien que le trafic d’ivoire soit globalement réprimandé par des législations nationales mais aussi par l’Organisation des Nations Unies à travers la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), il n’en demeure pas moins que de nombreuses disparités voire dissensions existent. Les solutions portées par chacun des acteurs portent en général sur des segments précis du phénomène et non pas sur toute la chaîne.

Le Botswana est présenté comme le pays africain qui abrite la plus grande population d’éléphants. De nombreuses informations officielles font pourtant état de son intention de légiférer en vue de légaliser la chasse aux animaux sauvages Ce qui suscite naturellement l’indignation des défenseurs des animaux. Ce fait précis vient nous rappeler à quel point la lutte internationale contre le commerce illégal de l’ivoire n’est pas un long fleuve tranquille avec une tendance irréversible à la baisse.

Les collectionneurs, l’industrie de la musique sont autant de lobbies qui militent pour davantage de légalisation de ce marché.

La Chine est probablement le plus important consommateur d’ivoire au monde. Il s’agit de la principale destination de l’ivoire illégalement prélevé en Afrique (Annexe). Depuis le 31 décembre 2018, la loi chinoise prévoit l'interdiction définitive du commerce légal intérieur d'ivoire. Tous les établissements de sculpture et de vente d'ivoire sous licence gouvernementale vont être fermés, en accord avec l'annonce faite en 2015 par le président chinois Xi Jinping et l'ancien président des États-Unis Barack Obama. Cette décision du gouvernement chinois est un signal extrêmement fort qui pourrait impacter de manière significative le braconnage en Afrique. Il se pose toutefois la question de l’effectivité d’une telle mesure. En effet, les autorités chinoises disposent-elles du dispositif répressif suffisant pour sanctionner les contrevenants ? Cette interdiction légale est-elle suffisante dans un pays où l’ivoire est culturellement ancré comme signe de statut social ?

Les États-Unis d’Amérique ont depuis le mois de juin 2016 acté cette mesure d’interdiction d’achat et de vente de l’ivoire. Hélas, cette décision prise sous le président Barack Obama est depuis lors remise en cause. En effet, l’US Fish & Wildlife Service (USFWS) a, à la surprise générale, réautorisé les chasseurs américains à importer des trophées d'éléphants tués au Zimbabwe et en Zambie. Les quantités en jeu ne sont certes pas les plus importantes de ce commerce, mais les effets néfastes d’un tel signal ne sont pas négligeables. Cette lutte ne peut efficacement pas être menée sans les USA, qui contrôlent les principales plateformes de commerce en ligne qui sont des acteurs pleinement impliqués. 

 

Une réponse radicale : l’Ivory Trade Compliance Act (ITCA)

L’idée que nous défendons consiste à rendre le trafic de l’ivoire éligible dans le champ de compétence du FCPA. Cela passe par un amendement de cette loi en y introduisant un volet baptisé ITCA.

Nous concevons la question de ce commerce sous des angles purement économique et sécuritaire. Il s’agit donc, avant tout, d’une question de compliance et non d’une question environnementale. Le phénomène est ainsi à concevoir uniquement sous l’angle des effets économiques et sécuritaires produits tout au long de la chaine de valeur. Ceci nous permet également de ne plus être simplement dépendants des schémas conventionnels : accroissement des moyens de surveillance en amont de la mort des animaux, émergence des produits de substitution, aménagement d’aires protégées, campagnes de sensibilisation et autres. L’extraordinaire travail fait par les Organisations Non Gouvernementales, les États (notamment africains), les institutions régionales et internationales représente l’enclume. L’ITCA sera le marteau qui viendra boucler ce dispositif en vue de l’éradication du phénomène.

Il s’agit d’agir de manière prohibitive sur les exportateurs, les intermédiaires et les marchés finaux dans le but de réduire drastiquement la demande qui entretient ce marché dorénavant structuré par le crime organisé. Nous nous insérons ainsi dans un objectif de répression totale qui prend en compte le financier, le pénal ainsi que la réputation.

Nous disons qu’il s’agit purement et simplement d’une question de :

  • Blanchiment d’argent issu d’une activité illicite (braconnage, transport, stockage).
  • Blanchiment de corruption (forces de l’ordre, agents des douanes, fonctionnaires).
  • Financement du terrorisme.
  • Prolifération d’armes de guerre en Afrique.
  • Atteinte à la bonne gouvernance.
  • Incitation des ONG et institutions à aider la justice à sévir pour être récompensées comme cela est le cas pour les lanceurs d’alerte en pourcentage des amendes infligées.

Le commerce illégal de l’ivoire est la principale menace sur la survie des éléphants et rhinocéros d’Afrique. Les diverses initiatives qui visent à combattre le phénomène s’avèrent insuffisantes. La prise en compte de cette criminalité par le FCPA est le pas de plus à franchir pour une éradication de ce fléau aux effets désastreux.  L’initiative que nous portons est parfaitement résumée dans les propos de madame Carola SCHOUTEN, ministre néerlandais de l’agriculture, de la nature et de la qualité alimentaire : "If you want elephants and rhinos not to be exterminated, you will also have to do something about the market". 

Annexes

Afrique-Asie – Élephants : trafic d’ivoire

27 février 2017 " Afrique, Asie, économie, éléphants, environnement, ivoire, protection, trafic d'ivoire Source : https://www.populationdata.net/wp-content/uploads/2016/11/afrique-elephants-trafic-ivoire.jpg

 

Voir aussi : Maguire, Tom et Haenlein, Cathy, An Illusion of Complicity: Terrorism and the Illegal Ivory Trade in East Africa, Royal United Services Institute for Defense and Security Studies, septembre 2015