Les NFTs, un défi juridique inédit pour la France

L’année 2021 a vu la popularisation d’une technologie disruptive pour l’écosystème de l’art. De la même manière que les crypto-monnaies ont perturbé les marchés financiers, le marché des « Non-Fungible Token » (NFT) connaît actuellement un essor, marqué par des transactions aux montants vertigineux.

Ces « tokens » peuvent être définis comme des unités de données, ou « jetons », inscrites sur une blockchain (un portefeuille de crypto-monnaies) certifiant qu’un actif virtuel est unique et non interchangeable donc non-fongible. Grâce aux garanties de fiabilité offertes par la blockchain, l’acquéreur du NFT détient un certificat d’authenticité établissant le caractère unique de l’actif qui y est attaché. Ces jetons peuvent être utilisés pour représenter des contenus numériques variés comme des photos, des vidéos, des audios ou tout autre type de fichier numérique. La consécration des NFTs fut certainement la vente de l’œuvre Everydays : the First 5 000 Days de l’artiste Beeple (un collage de 5 000 croquis réalisés sur 5 000 jours). Cette œuvre s’est vendue pour la somme de 69,3 millions de dollars. On s’interroge tout de même sur les raisons qui font qu’une œuvre d’art numérique puisse avoir autant de valeur, et quels sont les statuts juridiques dont disposent ces tokens non fongibles en France.

 

Le rôle primordial de la loi Pacte

La loi Pacte du 22 mai 2019 a introduit au sein du code monétaire et financier une notion définissant l’actif numérique défini à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier.  Il s’agit de « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ». Cette définition vise à régir l’usage des crypto-monnaies, mais ne saurait s’appliquer aux NFTs, faute de répondre au critère de non-fongibilité qui caractérise ceux-ci. 

Le lien, aujourd’hui étroit, entre les NFTs et le monde de l’art conduit à s’interroger sur leur qualification d’œuvres de l’esprit, au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle. Qualifier les NFTs d’œuvre de l’esprit aurait pour mérite de pouvoir les rattacher à la notion d’actif incorporel. Si l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, il convient néanmoins de rappeler un des principes fondamentaux du droit d’auteur posé par l’article L. 111-3 du code de la propriété intellectuelle. La propriété incorporelle est « indépendante de la propriété de l’objet matériel » : il s’agit ici de la distinction entre la propriété de l’œuvre et la propriété de son support. La cession d’une toile par un artiste n’emporte donc nullement cession des droits d’auteur que celui-ci détient sur l’œuvre elle-même. Suivant toute logique, la cession d’un NFT portant sur une œuvre de l’esprit devrait alors suivre ici le même principe.

Qualifier toutefois le NFT de simple support conduirait à nier la complexité de cette innovation. La fonction du NFT étant au premier chef d’authentifier de manière intelligible l’actif concerné au sein de la blockchain. Par analogie avec le monde de l’art, le NFT pourrait être assimilé au certificat d’authenticité de l’œuvre plutôt qu’à son support. Le transfert d’un NFT étant matérialisé par un smart contract, rien n’interdit d’imaginer que l’auteur de l’œuvre décide également d’y inscrire une cession de ses droits patrimoniaux sur son œuvre, à même de répondre au formalisme imposé par le code de la propriété intellectuelle. Le NFT s’apprécierait alors davantage pour l’auteur, comme un acte de cession des droits patrimoniaux, et pour l’acquéreur, comme un titre de propriété.

Si le NFT n’est donc ni une œuvre ni un support, il apparaît délicat de le qualifier d’actif incorporel.

 

La qualification juridique du NFT

La qualification juridique complexe du NFT a nécessairement une incidence sur son traitement fiscal et l’on doit constater qu’il demeure aujourd’hui incertain en France. La fiscalité des actifs numériques s’est faite progressivement, mais c’est finalement par la loi de finances 2019 que le législateur est venu définir un cadre pour l’imposition des actifs numériques. Désormais, « les plus-values réalisées par les personnes physiques domiciliées fiscalement en France, directement ou indirectement par personne interposée, lors d’une cession à titre onéreux d’actifs numériques, sont passibles de l’impôt sur le revenu » sous la forme d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 %.

Le législateur fiscal s’est ainsi adossé à la définition de l’actif numérique introduit par la loi Pacte. Cette définition semble toutefois d’ores et déjà dépassée. Si le gouvernement venait à confirmer que les NFT relèvent bien de la définition de la loi Pacte, les gains de cessions qui y afférents devraient alors être assujettis au PFU, lorsque les NFT sont cédés à titre onéreux par un résident fiscal français. Toute opération d’échange sans contrepartie entre actifs numériques (un NFT contre un autre NFT ou des crypto-monnaies) ne ferait pas l’objet d’une imposition, celle-ci n’intervenant qu’à l’occasion de la conversion de ces actifs numériques en monnaie réelle. 

La question suivante se pose : si le législateur français n’aurait pas intérêt à créer un statut fiscal plus avantageux que celui conféré par le statut d’actif numérique de la loi Pacte 2019, pour faire de la France une place centrale des marchés de l’art non-conventionnels et dématérialisés.

 

Un nouveau régime fiscal

Monsieur Pierre Person a justement défendu cette idée. Sa fonction de député LREM lui a permis de proposer un amendement allant en ce sens. Ainsi, le récent projet de loi de finance 2022 accordera de l’importance aux jetons non-fongibles. En l’espèce, la cession d’un NFT serait désormais imposée selon le régime fiscal applicable à son actif sous-jacent, que ce soit une œuvre d’art, une chanson, une carte à collectionner ou un GIF. Ce nouveau régime fiscal permettrait de faire la distinction entre un actif numérique « classique » et un actif numérique non-fongible, représentant une nouvelle illustration d’un titre de propriété privée. Il est d’ailleurs intéressant d’analyser cet amendement comme le point de départ d’une définition légale d’un NFT. Après examen du projet de loi de finance par le Sénat, l’Assemblée Nationale devrait confirmer cette nouvelle approche.  

La Commission européenne a publié le 24 septembre 2020, le règlement sur les marchés Crypto-assets (MiCA), qui propose de réglementer les crypto-actifs hors de leur champ d'application et de leurs fournisseurs de services dans le cadre d'un régime d'autorisation unique. Il est prévu que le MiCA entre en vigueur en 2024, il s'appliquera à toute personne émettant ou fournissant des services de crypto-actifs dans tous les États membres. Si les pays occidentaux s’essayent à en réguler l’usage, il convient de rappeler qu’en Chine, les activités liées aux crypto-monnaies et les crypto-actifs sont strictement réglementés et contrôlés. Il n'existe pas de définition précise de la crypto-monnaie ou du crypto-actifs dans la législation de la RPC.

Selon une étude menée par nonfungible.com et l’Atelier BNP Paribas, le montant des transactions sur le marché mondial des NFTs s’élèverait à 250 millions de dollars en 2020, contre 63 millions en 2019. Nous ne sommes qu’à l’orée d’un marché d’avenir. En effet, selon le site Cointelegraph, le volume total des ventes de NFT a atteint 2,5 milliards de dollars au premier semestre 2021, soit près de huit fois le montant total de toute l'année 2020. Historiquement, il était difficile pour les artistes numériques de monétiser leurs travaux. Au-delà du fait qu’elle permet tout simplement de monnayer des œuvres réalisées par des crypto et digital artists, cette technologie donne aussi à ces derniers la possibilité d’avoir une relation plus directe avec les collectionneurs. Mais le plus important est certainement le fait que les créateurs captent la majorité du produit de la vente de leurs œuvres et que des royalties sont incluses dans le code de celles-ci (selon certaines conditions). 

Malgré toutes les voix annonçant les NFTs comme « le futur de l’art », il n’est pas garanti que les NFT soient un phénomène durable. L’emballement récent du marché est à prendre avec des précautions, aussi bien pour les galeries que les collectionneurs. Car le principal problème des objets non fongibles, réside dans le fait que leur valeur ne soit indexée sur rien. Leur stabilité est constamment menacée et leur valeur peut s’écrouler à la moindre secousse, faisant d’eux des objets purement spéculatifs. La valeur d’une monnaie fiduciaire fongible (comme les billets et les pièces, en euros ou en dollars, par exemple) est indexée par les banques centrales. Des valeurs immenses peuvent être atteintes, mais la bulle peut éclater à tout moment. La méfiance est de mise autour de tous ces phénomènes de bulle et d’engouement pour les produits non-fongibles et dématérialisés. 

 

Adam Behillil pour le Club Droit & IE AEGE

 

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