Les nouvelles armes dégainées par les Parlementaires pour contrer les ingérences étrangères

Dans son rapport parlementaire annuel du 2 novembre, la délégation du renseignement ne s’est pas contentée de pointer du doigt les faiblesses françaises face aux ingérences étrangères : plusieurs recommandations audacieuses ont été faites afin de parer ces opérations d’influence sur le territoire national.  Retour en détail sur ces nouvelles armes.

« Naïveté » et « déni », ce sont les mots chocs récemment employés par les parlementaires afin de lancer un appel au réveil national sur la souveraineté. Au-delà d’un simple état des lieux critique, le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement propose cinq solutions de parades aux nombreuses lacunes de la France face à « la menace protéiforme, omniprésente et durable » de l’espionnage sur le territoire.

Ces opérations d’influence sont désormais considérées comme une urgence nationale : « le concept de souveraineté doit primer sur toute autre considération […]. Les services de renseignement sont en effet confrontés à des tentatives d’ingérences politiques étrangères visant à tisser des relations personnelles avec des agents publics et des acteurs politiques, pour faire avancer des intérêts étrangers qui n’entrent pas dans le cadre juridique existant. » De ce fait, le rapport promeut la création d’un dispositif législatif ad hoc de prévention des ingérences étrangères.

Protéger les savoir-faire militaires opérationnels rares

On constate depuis de nombreuses années qu’un certain nombre de personnels militaires disposant de savoir-faire opérationnels rares, tels que d’anciens agents de renseignements, ex-marins ou anciens pilotes de chasse, font face à diverses approches de puissances étrangères. Il est ainsi estimé que ces dernières années au moins une dizaine de pilotes de chasse ont été approchés par les services de renseignement chinois, en raison de de leur maîtrise du décollage via catapulte ou d’appontage sur porte-avions. Certains pilotes acceptent de livrer une partie de leur savoir-faire lors de séminaires généreusement rémunérés en Chine. Cette pratique était encore entièrement légale dernièrement, puisqu’aucun dispositif juridique ne permettait d’encadrer le transfert de savoir-faire opérationnel d’un militaire vers une puissance étrangère.

Désormais, une recommandation de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 propose l’inscription auprès du ministère des Armées, des militaires souhaitant travailler pour un État, une entreprise ou un organisme ayant son siège en dehors du territoire français ou étant sous contrôle étranger. Le ministère pourra ainsi s’il l’estime nécessaire, s’opposer au recrutement d’un ancien militaire par une puissance étrangère.

Si ce régime préventif de contrôle des départs est inédit, et laisse présager une meilleure protection des savoir-faire, il peut néanmoins paraître quelque peu compliqué d’estimer par quels moyens le ministère des Armées serait en capacité de contrôler chaque militaire à la sortie de son contrat, et ce pendant dix ans après son départ ; «cette durée correspondant à la durée moyenne au terme de laquelle le savoir-faire des intéressés est présumé devenu obsolète»… Étant donné le nombre de personnel concerné, il est tout à fait possible qu’un spécialiste réussisse à dissimuler son activité en passant sous les radars.

Par ailleurs, ce régime préventif réduisant les perspectives de reconversion en fin de carrière militaire pourrait diminuer l’attractivité de certains postes sensibles. Les sanctions prévues pour le non-respect de cette nouvelle condition restent néanmoins assez dissuasives : des retenues sur la pension de l’intéressé ou le retrait des décorations obtenues, ainsi qu’une peine pouvant aller jusqu’à de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Mise en place d’un dispositif législatif spécifique aux ingérences étrangères

Des pays comme la Turquie, la Russie, la Chine ou l’Iran sont plusieurs fois mentionnés comme ingérant de manière directe dans la vie publique française, et ce malgré l’existence de la loi Sapin 2. En cela, le rapport souligne une nécessité de compléter cette loi, qui aujourd’hui se limite seulement aux activités de lobbying économique.

Les parlementaires proposent ainsi de distinguer clairement l’action de lobbying économique de celle de l’action d’influence étrangère. De ce fait, il serait possible d’intégrer « dans le champ du nouveau registre, un nombre plus important d’agents d’influence que ceux qui relèvent du champ du registre actuel de la loi Sapin 2 ».

L’enregistrement obligatoire des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère, permettait dans un premier temps de soumettre ceux-ci « à une série d’obligations déontologiques ». Il permettrait par la suite de limiter les ingérences étrangères dans la vie publique, et de renforcer les dispositifs d’information des responsables publics et des élus dans leurs fonctions. Cela permettrait aux personnes politiquement exposées d’être mieux informées sur les risques que représentent certains individus ou organismes.  Le rapport recommande également que soit instauré en complément de ces propositions un régime de sanctions pénales en cas de non-respect de l’obligation de déclaration.

L’inspiration des parlementaires dans la proposition de cette solution est ici clairement assumée puisqu’elle provient du National Security Bill britannique, entré en vigueur le 11 juillet 2023. Le National Security Bill permet notamment  le renforcement du champ infractionnel et des pouvoirs d’investigation en matière de contre-espionnage et de contre-ingérence avec la création de nouvelles juridictions. Cette nouvelle loi permet également l’encadrement  d’individus soupçonnés d’influencer pour le compte de puissances étrangères.

Un nouveau contrôle numérique élargi au-delà du terrorisme

Dans l’objectif d’améliorer les capacités de détection et de modélisation des méthodes de renseignement des services étrangers sur le territoire français (habitudes de communication, de déplacement, de recherches internet, etc.), le rapport parlementaire recommande, pour une durée de 3 ans à titre d’expérimentation, d’élargir le champ d’application de la technique de l’algorithme alors aujourd’hui limité aux questions de terrorismes. Cette technique permet un traitement automatisé des données de connexion et de navigation sur Internet, grâce à la coopération des fournisseurs d’accès. De cette façon, il est plus aisé pour les services de repérer et de surveiller les profils d’individus au caractère dangereux ou préjudiciable. Il est donc ici question d’étendre la technique de « l’algorithme » non plus seulement à des notions de contre-terrorisme, mais aussi à des à des notions de contre-ingérence et de contre-espionnage.

Ainsi, selon les recommandations du rapport, cette extension du champ d’application s’effectuerait donc aux finalités 1 et 2, touchant respectivement aux notions d’« indépendance nationale, intégrité du territoire et défense nationale » ainsi qu’« aux intérêts majeurs de la politique étrangère, exécution des engagements européens et internationaux de la France et prévention de toute forme d’ingérence étrangère ».

Élargir le périmètre de la procédure des gels d’avoirs réservés à l’anti-terrorisme 

Dans le but de pouvoir prendre des mesures concrètes face à des actions menées par des individus ou organismes se livrant à des actions préjudiciables aux intérêts nationaux ; le rapport recommande de manière claire l’élargissement de la procédure des gels d’avoirs.

De ce fait, les prérogatives du groupe interministériel d’action sur le gel des avoirs à but antiterroriste (GABAT), ne se limiteraient plus seulement aux questions de terrorisme, mais aussi bien sur des personnes morales ou physiques qui agiraient de manière à contourner la réglementation d’enregistrement précédemment abordée. Par cette mesure, les parlementaires souhaitent ainsi pouvoir directement restreindre par des mesures financières concrètes, les ingérences de puissances étrangères sur le sol français en frappant directement sur la corde sensible du portefeuille.

Apporter une réponse européenne aux tentatives de déstabilisation  

Les parlementaires abordent ici la question des déstabilisations liées aux ingérences étrangères dans le domaine du système démocratique et de la cybersécurité européenne, en s’appuyant notamment sur le scandale du Qatargate. Depuis de nombreuses années, les instances européennes sont en effet sujettes à de nombreuses actions d’influences d’États non-européens dans leur fonctionnement, nécessitant une réponse européenne telle que la  « la mise en place d’instruments juridiques européens contraignants assortie d’un régime de sanctions [ainsi que] l’amélioration du dispositif européen de cybersécurité ».

Il est donc clair que l’Union Européenne aura son rôle à jouer dans les années à venir dans le domaine de la lutte contre les ingérences étrangères au sein la vie publique des pays de l’union. Peut-être sera-t-il possible d’envisager dans l’avenir une politique d’intelligence économique européenne commune entre les États ?

Des recommandations qui se veulent ambitieuses

Le rapport met ainsi en lumière la volonté de créer des moyens défensifs, et de contre-attaque aux opérations étrangères d’ingérences dans la vie publique française et européenne. Néanmoins, si ce rapport se veut innovant, le secteur privé reste encore en marge des recommandations, bien que largement confronté aux vols de technologies, aux lobbying ultra agressifs de certaines industries étrangères étatiques, ou encore aux captations des innovations. Peut-être que le rapport sur la prédation technologique commandé le mois dernier par l’Élysée, complétera ce nouveau dispositif juridique pour protéger les intérêts français.

Harold Mertens, pour le Club Droit de l’AEGE 

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