Les sanctions internationales, à l’origine d’un rejet des puissances occidentales

L’expiration des sanctions de l’ONU sur le programme de missiles de l’Iran le 19 octobre 2023 ouvrait un nouveau chapitre dans la géopolitique internationale. Les répercussions de cette évolution impactent les stratégies des hégémonies mondiales et poussent les puissances émergentes, menées par la Chine, au non-alignement. 

Le JCPOA de 2015 : un accord historique pour limiter le programme nucléaire iranien

Le plan d’action global commun (JCPOA), signé à l’origine en 2015, visait à limiter les activités nucléaires de l’Iran en échange d’un allégement des sanctions. Cependant, le retrait des États-Unis de l’accord en 2018 et les développements ultérieurs ont conduit à des tensions renouvelées et à des défis dans les négociations pour relancer le JCPOA.

Suite à l’expiration de certaines sanctions des Nations Unies (ONU) dans le cadre du JCPOA le 18 octobre, l’Union Européenne (UE) et les États-Unis ont adopté des approches différentes pour maintenir la pression sur l’Iran. L’UE a décidé de maintenir ses mesures restrictives contre l’Iran dans le cadre de son régime de sanctions sur la non-prolifération. Cette décision a été prise malgré le jour de transition du JCPOA, qui signalait la fin de certaines restrictions de l’ONU, y compris le gel des avoirs et les contraintes financières sur des individus et entités iraniens spécifiques liés aux activités de missiles et aux services et technologies connexes.

Cet accord visait à limiter les activités nucléaires de l’Iran, en échange de la levée de certaines sanctions. Parmi ces sanctions figuraient l’interdiction d’importer et d’exporter des missiles ou des drones d’une autonomie d’au moins 300 kilomètres, ainsi que des mesures financières ciblant des individus et entités iraniennes. Le JCPOA stipulait également que l’Iran s’engageait à ne pas entreprendre d’activités liées aux missiles balistiques pouvant porter des armes nucléaires.

D’un désengagement progressif à la fin de l’accord en octobre 2023

Cependant en mai 2018, les États-Unis se sont désengagés unilatéralement de l’accord. Cette décision a marqué un tournant décisif dans les relations avec l’Iran, et l’administration américaine a initié une politique de « pression maximale ». Cette nouvelle politique visait un changement de régime en Iran et a conduit à la réimposition de sanctions économiques globales, affectant profondément l’économie iranienne. En réaction à cette pression accrue, l’Iran a commencé à se désengager progressivement des contraintes du JCPOA, en dépassant les limites fixées par l’accord sur ses activités nucléaires.

Le 19 octobre 2023, surnommé le « Jour de Transition », est devenu un jalon important dans cette chronologie. Cette journée a marqué l’expiration des restrictions imposées par la résolution 2231 (2015) des Nations unies, qui soutenait le JCPOA. La fin de ces restrictions a signalé une nouvelle phase dans la dynamique des sanctions internationales contre le programme de missiles de l’Iran, ouvrant la voie à des développements ultérieurs en matière de sanctions unilatérales par les États-Unis.

Réactions à l’international

Dans la foulée, le département du Trésor américain a dirigé de nouvelles sanctions contre une vingtaine d’acteurs soutenant les programmes de missiles et de drones de l’Iran, via son bureau du contrôle des avoirs étrangers. Ces sanctions ne doivent pas être confondues avec celles prises en réponse aux attaques du Hamas sur Israël le 7 octobre, ciblant spécifiquement un responsable du Hamas en Iran ainsi que des membres du Corps des Gardiens de la Révolution islamique en Iran. Parallèlement, l’Union européenne a affirmé sa position ferme à l’égard de l’Iran. En octobre 2023, le Conseil de l’UE a décidé de maintenir les mesures restrictives sous le régime de non-prolifération, consécutives au JCPOA, illustrant une approche qui se veut ferme en l’absence d’accord.

En revanche, la Russie, par le biais de son ministère des affaires étrangères, a déclaré que le pays n’était plus tenu de respecter les restrictions du Conseil de sécurité des Nations unies en matière de technologie de missiles à l’Iran, signalant ainsi une intensification de la coopération militaire avec Téhéran. Cette annonce fait suite aux critiques antérieures de la Russie envers les tentatives occidentales de maintenir des sanctions sur l’Iran malgré la levée des sanctions onusiennes.

La souveraineté des États face aux sanctions unilatérales

Cette divergence de traitement, qui se fonde notamment sur des stratégies géopolitiques propres à chaque acteur, remet en question la légalité et l’efficacité des sanctions unilatérales comparées aux sanctions multilatérales. Ces débats récurrents se fondent sur le droit international, ancré dans le principe de souveraineté des États, qui reconnaît leur autorité suprême en matière de décisions politiques, économiques et sociales autonomes.

Les sanctions unilatérales peuvent être perçues comme une ingérence dans les affaires intérieures, en contradiction avec le principe de non-intervention. Cela est spécifiquement énoncé dans l’Article 2 alinéa 7 de la Charte des Nations Unies : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État, ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ».

Stratégies sous-jacente des lois extraterritoriales

Il est essentiel de considérer l’objectif souvent sous-jacent des sanctions unilatérales, qui va au-delà d’une réponse à des violations de lois spécifiques. Ces sanctions sont fréquemment utilisées comme un outil stratégique pour influencer ou même déstabiliser des gouvernements, en fonction de leurs politiques et orientations. Cette approche révèle une dimension politique profonde des sanctions. C’est également ce que rappelle la résolution A/RES/53/10 de l’assemblée générale demandant l’abrogation des lois à caractère extraterritorial, qui imposent unilatéralement des sanctions aux sociétés et ressortissants d’États tiers.

Néanmoins, des exceptions à la règle de non-intervention peuvent être invoquées dans des situations graves, notamment en cas de génocide, de crimes de guerre ou d’autres violations massives des droits de l’homme. Des concepts internationalement reconnus, tels que l’intervention humanitaire et la responsabilité de protéger sont souvent cités pour justifier des interventions dans ces circonstances extrêmes. Ces principes ont été établis pour guider la communauté internationale pour intervenir  dans un État souverain afin de prévenir ou arrêter des atrocités à grande échelle.

Plus qu’une question de légalité, le cœur des débats récurrents autour des sanctions unilatérales concerne la légitimité que certains pays s’attribuent. Ils influencent de la sorte la politique interne et extérieure d’autres nations, souvent guidés par leurs propres valeurs et normes.

Au-delà de l’intention : les limites inhérentes aux sanctions unilatérales

L’imposition consensuelle de nouvelles sanctions au sein même des Etats est devenue de plus en plus improbable en raison de plusieurs facteurs. Premièrement, de nombreux pays ont exprimé des réserves sur l’efficacité et la légalité des sanctions unilatérales, arguant qu’elles contreviennent aux principes du droit international, notamment le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Deuxièmement, les alliances géopolitiques de l’Iran se sont renforcées, notamment avec la Russie et la Chine, qui sont des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies avec droit de veto.

Dans le cadre de ces alliances renforcées, la coopération économique entre la Russie et l’Iran s’est intensifiée, notamment par l’ouverture de branches bancaires bilatérales et la synchronisation de leurs systèmes de messagerie bancaire. Ces mesures, prises en anticipation de l’adhésion potentielle de l’Iran à l’Union économique eurasiatique et aux BRICS, témoignent de la stratégie d’adaptation et de diversification de l’Iran face aux sanctions occidentales.

Des sanctions controversées dont profite la Chine pour accroître son influence

En maintenant une politique de sanctions unilatérales, les nations occidentales courent le risque de s’isoler progressivement sur la scène internationale. Cette approche, souvent perçue comme partiale et en désaccord avec les principes du droit international par une majorité de pays, pourrait inopportunément renforcer les alliances de l’Iran avec d’autres acteurs mondiaux majeurs. Ces nations pourraient interpréter les actions occidentales comme une ingérence et un manque de respect pour la souveraineté nationale, créant ainsi un front uni face à un ennemi commun.

Un exemple significatif de cette tendance est l’émergence d’un ordre plus soudé derrière les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud), mené notamment par la Chine. L’Empire du Milieu joue un rôle de plus en plus central au sein de l’ONU, cherchant à convaincre les autres membres de l’inadéquation des méthodes unilatérales occidentales et de la nécessité d’une approche plus équilibrée et multilatérale dans la gestion des affaires mondiales. Cette stratégie chinoise, axée sur le renforcement de la coopération et le respect de la souveraineté nationale, contraste fortement avec les politiques occidentales et attire de plus en plus l’attention des nations en quête d’alternatives aux méthodes traditionnelles d’intervention occidentales. Cette dynamique globale est également observable en Afrique, où de nouvelles alliances se forment en réponse aux politiques d’intervention des pays occidentaux.

Ainsi, des puissances émergentes telles que les membres des BRICS défient les pays occidentaux. Cette tendance actuelle révèle un basculement vers une réalité géopolitique où l’influence occidentale, souvent exercée de manière individuelle plutôt que collective, pourrait s’affaiblir. Les rapports de force traditionnels, caractérisés par des stratégies d’alliance avec des puissances hégémoniques telles que les États-Unis, sont désormais remises en question. Ce changement incarne un défi pour les modèles traditionnels dominés par les puissances occidentales, et une réorientation vers des stratégies de non-alignement, reflétant un désir croissant de diversification et d’autodétermination dans les affaires mondiales.

Arnaud Bossy Casteret pour le club Droit de l’AEGE

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