Dévoiement du système juridique, le copyright trolling expose les entreprises à des litiges coûteux et à des concessions financières forcées. Cette pratique abusive de la protection du droit d’auteur s’insère dans les failles du systèmes juridiques, fragilisé par certaines notions subjectives telle que l’originalité d’une création.
Le copyright trolling, un abus de la protection des droits d’auteur
Émergeant dans le contrôle sophistiqué des droits d’auteur, le copyright trolling exploite l’intelligence artificielle pour menacer d’action en justice des internautes de manière abusive. En d’autres termes, une société de photographes A par exemple, va faire appel à une autre société B afin de gérer ses droits d’auteurs. Cette dernière va donc scruter le web au moyen de l’intelligence artificielle afin de débusquer toutes les entreprises qui utilisent sans autorisation une des photographies appartenant à la société A susmentionnée. Puis la personne ou la société utilisant cette photographie, pour un site internet par exemple, devra payer une compensation afin d’éviter toute poursuite judiciaire pour contrefaçon.
Le copyright trolling se distingue ici de la pure violation d’un droit de propriété intellectuelle par l’IA, comme ce fut le cas récemment sur l’affaire opposant le New York Times à Open AI. Le journal avait attaqué l’entreprise américaine pour violation des droits d’auteurs, dans le sens où la société Open AI utilisait sans l’accord du journal ses articles pour entraîner son algorithme.
Plutôt qu’une protection authentique des droits d’auteur, cette pratique vise à générer du profit en forçant des concessions financières par des lettres de mise en demeure intimidantes, compromettant ainsi l’équilibre entre la protection des créateurs et les risques de manipulations juridiques. Les limites de cette approche résident dans la nécessité de prouver la légitimité du mandat et l’originalité de l’œuvre, soulignant les failles potentielles de cette manipulation opportuniste du système juridique.
L’IA, arme redoutable dans la bataille pour les droits d’auteur
Le phénomène du copyright trolling, marqué par le contrôle sophistiqué de l’exploitation des œuvres, notamment les photographies, s’inscrit dans une ère où l’intelligence artificielle devient une arme redoutable. L’émergence de cette pratique a été évoquée dans un arrêt isolé de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 17 juin 2021 (C-597-19), marquant ainsi la première reconnaissance officielle de cette problématique par les instances judiciaires. Ce concept emprunte son principe au modèle des patent trolls, bien connus dans le domaine des brevets. À l’instar de ces derniers, les acteurs du copyright trolling adoptent une approche stratégique visant à générer des revenus en initiant des litiges pour contrefaçon de copyright. Avant de menacer formellement les victimes, les trolls opèrent en coulisse, cherchant à placer les entreprises incriminées dans une situation de hold-up. Cette tactique vise à provoquer le litige au stade le plus avancé possible, lorsque l’entreprise accusée a déjà engagé d’importants investissements irréversibles sur leur site internet par exemple en utilisant une photographie protégée par le droit d’auteur, la rendant ainsi plus encline à consentir à des concessions financières. Les entreprises titulaires de droits d’auteur délèguent cette tâche à des entreprises, par exemple la société suisse Picrights ou une entreprise belge comme Permission machine, qui, à l’aide de l’intelligence artificielle, scrutent le web pour identifier les utilisateurs des images de ces agences.
Cela rappelle la stratégie bien documentée des patent trolls, qui manœuvrent pour maximiser les concessions des entreprises en tirant avantage de leur position stratégique. L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle dans ce contexte souligne la nécessité d’une réflexion approfondie sur la protection des droits d’auteur et la régulation de ces pratiques, afin d’assurer un équilibre entre les intérêts des créateurs et les risques de manipulations juridiques.
Un piège financier qui menace la créativité et exploite les failles du système juridique
Cette pratique du copyright trolling, loin de viser une réelle protection des droits de l’auteur, s’inscrit plutôt dans une stratégie visant à réaliser une plus-value financière en exploitant la menace de poursuites judiciaires. Plutôt que de véritablement préserver les intérêts créatifs des auteurs, l’objectif premier est d’envoyer des lettres de mise en demeure intimidantes aux utilisateurs de photographies, les contraignant ainsi à payer des indemnités sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la société gestionnaire des droits d’auteur. Cette démarche mercantile repose sur la vulnérabilité des entreprises ou individus ciblés, qui, pour éviter des litiges coûteux, se retrouvent contraints de verser des sommes substantielles.
La Cour de justice de l’Union européenne a souligné les dangers inhérents à cette sur-utilisation du droit d’auteur, mettant en garde contre une instrumentalisation qui détourne l’essence même de la protection des intérêts de l’auteur. Dans ce contexte, la véritable motivation du droit d’auteur, à savoir encourager la création et valoriser l’œuvre, se trouve compromise au profit d’une exploitation du système juridique à des fins lucratives. Cette pratique illustre ainsi une forme d’abus du droit d’auteur, dévoilant les limites et les dérives possibles de cette législation lorsque détournée de ses véritables desseins.
Les obstacles juridiques et les risques d’abus révélés
La pratique du copyright trolling, centrée sur l’envoi de mises en demeure et la menace de poursuites judiciaires, expose ses limites au moment de prouver la validité des prétentions des sociétés gestionnaires des droits d’auteur. Tout d’abord, il est impératif de démontrer l’existence d’un mandat légitime, attestant que la société a bel et bien reçu la mission de gérer les droits de l’auteur. Cette exigence juridique rigoureuse est cruciale pour éviter des abus et s’assurer que les actions en justice sont menées par des entités dûment autorisées.
De plus, la validité du copyright repose sur la preuve de l’existence d’un droit d’auteur effectif sur l’œuvre en question, comme une photographie. Ceci nécessite que l’œuvre présente un caractère original, une condition soulignée par la jurisprudence. L’originalité, définie comme le reflet de la personnalité de l’auteur, implique une empreinte tangible du talent créateur personnel. Cette notion a été consacrée par la Cour de cassation, chambre commerciale, dans un arrêt du 25 mars 1991. Elle a également été évoquée par la Cour de cassation, civile 1re, dans un arrêt du 13 novembre 1973, soulignant que l’originalité se manifeste par « l’expression ou l’empreinte de la personnalité du créateur ».
Dans les cas où l’œuvre ne reflète pas la personnalité de l’auteur, comme c’est souvent le cas pour une photographie, cette originalité est perceptible dans les choix artistiques tels que la composition des prises de vue, l’utilisation de la lumière, les angles sélectionnés, etc. Cette notion est rappelée dans un arrêt rendu récemment par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 25 mai 2022 (n°2022/813), mettant en avant l’importance des choix distinctifs de l’artiste dans la création photographique.
Vers un encadrement du copyright trolling à échelle européenne ?
La pratique du copyright trolling se heurte ainsi à des critères stricts de validation des droits d’auteur et de légitimité du mandat, soulignant les failles potentielles de cette approche opportuniste qui repose sur des menaces juridiques. Ces arrêts jurisprudentiels définissent clairement les contours de l’originalité et renforcent la nécessité d’une démarche éthique dans l’application du droit d’auteur, tout en mettant en garde contre les abus susceptibles de détourner la finalité protectrice de cette législation.
La question du traitement du copyright trolling mérite d’être traitée à la lumière du nouveau règlement de l’UE, l’AI Act, qui vient encadrer l’utilisation de l’intelligence artificielle en identifiant les systèmes dits « inacceptables ».
Pierre-Alexandre Bévière et Yannis Akif, pour le Club Droit de l’AEGE
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