Si pendant de longues décennies Londres ou Paris ont été synonymes de grandeur et de rayonnement à l’échelle mondiale, l’attention se porte désormais sur les villes d’Asie et d’Amérique du Sud, de plus en plus modernes, dynamiques, innovantes et agréables à vivre.
A l’heure de la « métropolisation » de la planète, le risque de voir décliner l’influence des grandes villes européennes est réel, à moins que leurs dirigeants ne parviennent à réinventer de véritables politiques de croissance, pensées sur le long terme.
En France, on connaît le Grand Paris, Eurométropole Lille-Tournai-Courtrai, ou encore le Grand Lyon, mais quid des programmes développés au delà de nos frontières ? Bruxelles par exemple, située à moins d’1h30 de Paris en Thalys, est finalement assez peu connue en dehors de l’image institutionnelle qu’elle renvoie en général. Le 3ème symposium « Brussels Metropolitan – Business Route 2018 » proposait récemment de faire un état des lieux, trois ans après le lancement de cette initiative. En 2008, celle-ci est née sous l’impulsion de décideurs bruxellois, conscients de l’impérieuse nécessité de développer des approches volontaristes, pragmatiques et collaboratives pour positionner leur capitale de façon offensive sur l’échiquier international.
Dans un contexte d’urbanisation intense, le rôle des métropoles est crucial
Un coup d’œil à quelques chiffres permet de prendre la mesure de l’incroyable transition urbaine qui s’opère dans nos sociétés : « A 90% rurale au milieu du XIXe siècle, (l’humanité) sera urbanisée à 70% au milieu du XXIe siècle. Or sur cette même période, la population sera passée d’environ 1,3 milliards à 9 milliards d’habitants » (Atlas des futurs du monde – Virginie Raisson – Robert Laffont).
Cette observation illustre une tendance forte et explique à elle seule pourquoi les villes européennes ne peuvent rester passives, ou compter exclusivement sur leur longue histoire – certes souvent prestigieuse – pour résister. Afin de conserver leur capacité d’influence, elles doivent apprendre à développer un état d’esprit réellement conquérant car les défis qui les attendent laissent peu de place aux illusions. Le rééquilibrage mondial qui se traduit par la montée en puissance spectaculaire de villes comme Shanghai, Buenos Aires, ou Mumbay est à prendre au sérieux.
Objectif « taille critique »
Pour les métropoles du vieux continent, la question de la taille critique se pose très vite du fait d’un facteur démographique penchant clairement en leur défaveur. Paris, avec ses 11 millions d’habitants, parait en effet bien petit aux côtés de Tokyo, Mexico, ou Séoul, qui comptent chacune plus de 20 millions d’habitants. Cette faiblesse – encore plus criante dans le cas de Bruxelles avec son million d’âmes – souligne combien il est important pour elles de concevoir des approches innovantes destinées à préserver leur avantage compétitif, voire à l’accentuer.
Une possibilité consiste, par exemple, à imaginer des rapprochements entre les grandes villes d’une même région, voire entre grandes régions européennes. Des modèles de développement peuvent être envisagés sur base du principe de « coopétition », néologisme dérivé du concept de « compétition coopérative ». Une grande métropole peut ainsi continuer à combattre ses rivales tout en redéfinissant sa stratégie à une échelle plus large avec ces mêmes rivales. Cela permet d’aborder ensemble des problématiques plus vastes et plus complexes. Autrement dit, les menaces communes doivent être combattues à plusieurs, car les rivalités régionales, nationales ou européennes ne peuvent continuer à exister si c’est au détriment de la compétitivité sur un plan mondial.
Notons que ce type de stratégie n’empêche pas de réfléchir en parallèle à des formes de coopération internationale. En effet, il ne s’agit en aucun cas de s’enfermer dans une logique exclusivement européenne, mais bien de faire naître des atouts qui donneront plus de poids lors de négociations dépassant le cadre des frontières européennes.
Les enjeux de l’urbanisation
Que l’on recherche à atteindre cette taille critique à travers une croissance organique, à travers la constitution d’un réseau urbain interconnecté regroupant plusieurs grandes villes, où à travers les deux à la fois, la priorité doit être la même : le travail pour tous. Car c’est lui qui est le garant de la cohésion sociale. Il est évident qu’un tissu urbain dense au taux de chômage élevé est un creuset propice aux pires dérives. Et c’est pourquoi le deuxième enjeu est celui de l’attractivité économique : il faut parvenir à séduire les milieux d’affaires pourvoyeurs d’investissements et créateurs d’emplois. Pour attirer ces acteurs indispensables, les universités sont l’un des leviers essentiels dans la mesure où elles sont sources de dynamisme et représentent un terreau fertile pour la recherche, l’innovation, et l’entrepreneuriat. Attirer les meilleurs étudiants et les faire rester est donc l’une des clés de la réussite. Les incitations fiscales, la simplicité des processus administratifs, ou encore la performance des services financiers ont eux aussi une fonction capitale. Vient enfin la question de la qualité de vie, directement associée aux performances du territoire en termes d’accessibilité internationale, mais aussi de mobilité, de qualité environnementale, et bien sûr de valorisation du patrimoine culturel et social.
Seul la maîtrise de ces grands chantiers permettra à une métropole de rester compétitive. Du fait de la complexité de la tâche, les grandes agglomérations n’ont pas d’autre choix que de mettre en place des structures souples et ajustables. C’est ce qui leur permettra de maîtriser leurs coûts tout en rendant la réflexion plus collaborative. Or l’adhésion de toutes les couches de la population – à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville – est un facteur de succès indiscutable. Dans cette optique, think-tanks et opérateurs privés sont des partenaires intéressants car au delà de leur expertise, ils sont en mesure de gérer des projets de manière impartiale.
Des plateformes collaboratives pour de nouvelles formes de gouvernance
Puisqu’il est évident qu’on ne peut pas tout attendre de la politique, il faut savoir inventer de nouveaux modes de gouvernance pour booster l’attractivité des villes et des régions. C’est cette dynamique que « Brussels Metropolitan 2018 » tente de créer en Belgique.
Aux Etats-Unis, c’est aussi ce que recommande Bruce Katz, de la Brookings institution, think-tank spécialisé depuis très longtemps sur les questions de société, de politique urbaine et de gouvernance. Cette institution participe à la réflexion menée dans la région des Grands Lacs dans le cadre de la redynamisation des anciens territoires industriels. Lors du symposium d’octobre à Bruxelles, Bruce Katz a ainsi expliqué comment le « Fund for Our Economic Future » fournit des aides financières aux organisations qui cherchent à renforcer la compétitivité économique du nord-est de l’Ohio. Ce groupement d’une centaine de membres tente de ré-industrialiser la région autour de projets liés à l’industrie verte, ce qu’ils appellent le « re-tooling » de Cleveland. L’analyse est par ailleurs conduite à travers un prisme régional, de manière à optimiser les processus de développement et assurer un maximum de cohérence. Ainsi, toujours dans la région des Grands Lacs, à Minneapolis plus précisément, c’est le MOJO – groupe formé par des dirigeants, avocats, investisseurs et entrepreneurs – qui est actif et cherche à casser les barrières à l’innovation ou à la création d’entreprise. L’objectif est de transformer la métropole en un vrai pôle de dynamisme économique.
Avec ces deux exemples, Bruce Katz – qui regrette la désindustrialisation menée par les élites car « un pays innove moins s’il produit moins » – illustrait comment cette volonté de jouer collectif peut se traduire dans les faits. Alors bien sûr, la spécialisation des métropoles sur des niches spécifiques est un axe de réflexion intéressant puisqu’il joue à fond la carte des complémentarités. En revanche, un danger existe : celui de perdre une certaine forme de diversité à l’intérieur d’un territoire (trop) spécialisé. Or cette diversité, source d’enrichissement mutuel, est souvent l’étincelle qui favorise l’innovation. C’est pourquoi l’hyper-concurrence, si elle incite au réalisme et à l’hyper spécialisation, ne doit pas pour autant faire oublier que seule la recherche du bon point d’équilibre apportera des résultats en phase avec les particularités locales.
Bruxelles : city marketing, regional branding, et intelligence territoriale
En Europe, si Paris est considérée comme la ville du tourisme et de la culture, Londres celle du business et de la créativité musicale, Bruxelles est sans aucun doute celle des institutions et de la politique, du fait de la présence de l’U.E., de l’OTAN, et de toute la communauté journalistique et lobbyiste associée. Une conséquence négative est perceptible dans bien des régions d’Europe, où Bruxelles ne renvoie que l’image froide et lointaine d’une nébuleuse d’eurocrates, surpayés pour rédiger des textes aussi contraignants qu’inutiles. D’ailleurs, le clivage qui existe localement entre la population belge et ce microcosme politique illustre parfaitement cette forme de décalage.
Bruxelles, lorsqu’elle n’est pas réduite à ce cliché technocratique, est souvent victime d’une autre caricature, allant dans un sens totalement opposé, et qui consiste à considérer la ville comme un bric-à-brac tranquille et folklorique mêlant joyeusement les références aux frites, aux moules, à la bière, au chocolat, au manneken pis ou à Tintin : c’est dire le chemin qui reste à parcourir pour donner l’image d’une métropole innovante, entreprenante, ambitieuse et ouverte sur l’avenir ! Cela est d’autant plus vrai que ce chaos apparent se retrouve sur un plan architectural : les conséquences de la « bruxellisation » sont effet encore nettement visibles, et dures à gommer.
Lorsqu’elle n’est pas dépeinte par le biais de l’un de ces deux raccourcis, Bruxelles souffre d’un troisième mal : celui d’être au cœur des luttes intestines entre flamands et wallons. L’image renvoyée est là encore loin d’être étincelante. Or comme le soulignaient les trois présidents de régions Charles Picqué, Rudi Demotte et Kris Peeters le 17 octobre, chacune de ces régions a réellement besoin de Bruxelles. Cela implique le dépassement des querelles partisanes qui sont forcément sclérosantes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est toutes tendances régionales confondues que l’initiative Business Route 2018 a vu le jour (grâce aux quatre principales organisations patronales : FEB, BECI, VOKA, UWE) !
Heureusement, pour faire face à ces difficultés, Bruxelles dispose de nombreux atouts qui vont au delà de sa simple puissance politique ou de sa position centrale en Europe : diversité, humanité, ouverture d’esprit, et bien d’autres encore. Les leviers à mettre en place pour davantage exploiter ces richesses cachées sont très certainement ceux de l’intelligence territoriale. Les savoir-faire à mobiliser sont ceux du city marketing, et le tout doit s’intégrer avec harmonie dans les politiques régionales pour que l’image de l’une s’accorde parfaitement avec la réputation de l’autre. In-fine, l’objectif est de favoriser une très grande lisibilité depuis l’extérieur, afin de booster l’attractivité. Il s’agit donc de manipuler avec professionnalisme et savoir-faire tous les outils à disposition : perception management, storytelling, guerre des savoirs, guerre de l’information, techniques d’influence, et bien d’autre encore. Le champ de réflexion est pluridisciplinaire, rendant les stratégies à inventer passionnantes. Leur déploiement le sera tout autant.