C’est maintenant fait : même sans atteindre le consensus politique sur la forme, le parlement français, vient, au nom du principe de précaution d’interdire l’exploitation des réserves de gaz de schiste du sous-sol français.
Même si le texte est volontiers ambigu, ne parlant que du procédé de « fracturation hydraulique » et pas du gaz de schiste lui-même, ouvrant la voie à une réévaluation de la question en cas de progrès technologique, la France a néanmoins, dans une atmosphère post-Fukushima, choisi la voie du contentement populaire.
Au-delà de la polémique engendrée dans notre pays, et alimentée par l’exemple canadien, un autre Etat européen se prononçait sur la même question : la Pologne. Le choix effectué par le pays d’Europe Orientale se révèle opposé à celui fait en France puisque la Pologne accepte sans réserve et avec réjouissance l’ouverture de l’exploitation de cette richesse du sous-sol. Ces deux postures différentes sont révélatrices de deux stratégies mais surtout de deux positions énergétiques différentes, au cœur des enjeux de puissance actuels.
La possibilité d’exploiter les réserves de gaz de schiste polonais qui a soudainement tourné les intérêts des industriels du secteur vers un pays jusqu’ici délaissé, rencontre au sein du pays un écho très favorable. En effet la possibilité de voir s’accomplir pour la Pologne un scénario économique proche de celui de la Norvège – dont les réserves s’amenuisent toutefois assez vite depuis quelques temps – laisse espérer un changement d’importance du pays sur la scène continentale.
Jusqu’ici ballottée dans les luttes d’influence entre Union Européenne et Russie sur la question énergétique, prise au piège de la guerre gazière russo-polonaise des années 2006-2009, la Pologne pourrait, du jour au lendemain se trouver en position d’autosuffisance. Alors que la construction du Nord Stream menaçait son rôle stratégique dans le transit gazier Russie-Europe et signifiait sans doute la fin des facilités accordées selon le bon vouloir de Moscou, l’exploitation du gaz de schiste pourrait, si les prévisions se révèlent exactes, donner plus d’un siècle de réserves énergétiques au gouvernement de Varsovie.
Dans un pays où le mix énergétique est encore très largement tourné vers le charbon et les centrales thermiques, cet apport serait non négligeable du point de vue de la richesse nationale comme de celui de son indépendance diplomatique. L’exemple des Etats-Unis, sur le domaine économique, est ainsi frappant puisqu’à partir du début de l’exploitation en masse des gaz de schiste nord-américains en 2009, le pays a très largement divisé son recours aux sources extérieures (Mexique, Trinidad & Tobago). En outre l’impact économique a été tel qu’il a provoqué une très importante chute des cours du gaz et a assuré aux Etats-Unis une forme d’indépendance énergétique sans avoir recours au charbon des Appalaches dont la technique d’extraction par arasement n’a rien à envier à la fracturation hydraulique en termes d’impact environnemental.
De grandes différences existent, économiquement, énergétiquement et diplomatiquement entre la Pologne et la France. Là où la France connait un mix énergétique nucléaire-gaz et trouve ainsi le gaz de schiste extrêmement polluant, pour la Pologne et son recours massif au charbon apparait presque comme un moindre mal. Là où la France a réussi à diversifier ses sources d’approvisionnement, la Pologne reste enchainée, coute que coute, à la Russie et les différences économiques entre France et Pologne les placent quasiment aux deux extrêmes de l’échiquier européen.
Cette divergence stratégique nous prouve qu’en matière énergétique il n’existe pas de solution miracle mais un équilibre propre à trouver pour chaque Etat qui prenne en compte tant ses possibilités financières que le coût politique de ces choix car, répétons le, l’énergie est l’arme du XXIe siècle et certains l’ont déjà très bien compris.