L’Inde offre aujourd’hui des opportunités économiques extraordinaires. Avec 1,2 Milliards d’habitants dont la moitié a moins de 25 ans et une croissance supérieure à 8% le pays est en passe de devenir une superpuissance où pourtant tout reste encore à faire.
Quelques minutes de recherche sur internet permettent de trouver des dizaines de rapports de sociétés de conseil ou de fonds d’investissement dépeignant l’Inde comme un relais de croissance incroyable pour les économies occidentales. Et si ces possibilités sont bien réelles elles ne sont pas pour autant aisées à concrétiser.La grande transparence des investissements et résultats financiers jouxte un protectionnisme économique exacerbé. La main d’œuvre bon marché et qualifiée accuse un turnover annuel dépassant souvent les 100%. La démocratie stable au système judiciaire indépendant n’empêche pas une corruption importante aux rouages complexes. L’immense bassin de consommateurs aux revenus toujours plus hauts adopte des comportements d’achats difficiles à cerner. La société indienne est aussi généreuse et accueillante qu’aguerrie à la guerre économique moderne.Les success story y côtoient donc des échecs d’une violence inouïe.
En collaboration avec le portail de l’IE j’amorce donc aujourd’hui une série d’articles visant à appréhender les problématiques de ce pays vertigineux.J’aborderai donc des composantes culturelles, économiques, spirituelles, légales, sociologiques, mafieuses, diplomatiques, militaires, technologiques ou même de la pure prospective. Toujours en les mettant en perspective avec les applications en termes d’intelligence économique qui en découlent.Ce corpus de publications a pour vocation de constituer une boite à outils permettant de faciliter la collaboration, sous-traitance, conquête de marchés et protection de ses positions avec l’Inde.
Le système des castes
Puisqu’il faut bien un premier sujet penchons-nous sur une spécificité indienne, celle d’une société de castes. Je me servirai d’elle pour expliquer la manière dont doit être organisé un rendez-vous d’affaires en Inde.
Pour commencer, et même si l’exercice pourrait être utile tant sa compréhension par le monde occidental est insaisissable, je n’ai pas vocation d’expliquer ici la genèse de ce système ou même de détailler ses forces et faiblesses.
Il s’agit d’une stratification que l’esprit cartésien et humaniste aimerait pouvoir juger, pouvoir influencer. Mais à moins de consacrer quelques années à son étude je pense sincèrement que le système des castes doit être accepté tel quel. Car les castes forment la structuration sociétale millénaire de l’hindouisme, seul lien qui uni le sous-continent indien, terre de toutes les diversités. Ce système est donc une donnée à prendre en compte et non une variable. De plus cela insupporte au plus haut point les indiens qu’on leur parle (souvent sur un ton moralisateur d’ailleurs) de leur modèle de société.
Pour autant il est aisé d’en expliquer (très) succinctement le fonctionnement, sa hiérarchie et d’en tirer un enseignement fonctionnel pour travailler avec des indiens.
Les castes sont une organisation héréditaire et immuable de la société basée sur le dépassement de soi. Il considère comme respectable le fait de transcender son esprit et de s’éloigner du monde matériel. Au sommet de la société on retrouve donc les brahmanes. Composés des prêtres, érudits et enseignants ils dédient leur vie à préserver ce que la société indienne considère primordial, la religion hindoue. Ils sont aussi les garants de la stabilité religieuse du pays en fédèrent les innombrables cultes de l’hindouisme mais aussi les autres religions. Vient ensuite la caste des guerriers et anciennement des rois, les kshatriyas. Leur don de soi passe par le fait qu’ils se considèrent à la naissance comme déjà mort sur un champ de bataille. Nettement en dessous on retrouve les vaishyas qui manipulent les biens matériels. Ils sont composés d’une part des agriculteurs et artisans qui créent les biens. De l’autre, et beaucoup moins bien considérés, des commerçants, marchands et banquiers qui utilisent le travail des premiers à fin purement pécuniaire.
Ces trois premières castes ne constituent qu’un peu plus de 10% de la population indienne.La dernière des castes est celle des sudras, les serviteurs et travailleurs non qualifiés, dépendant du monde matériel.Près de la moitié des indiens sont des sudras.En marge de ce système, le reste de la population, est constitué d’intouchables, les dalits, n’appartenant à aucune caste. Ils exercent les métiers dits impures : travail du cuir, gestion des déchets, boucher…
Aujourd’hui, la notion de métier est de moins en moins rattachée au système des castes. Il existe par exemple des dalits tout comme des brahmanes chefs d’entreprise. Il est maintenant facile de comprendre que contrairement à la croyance populaire, le système des castes n’établit pas un niveau de richesse. Beaucoup de brahmanes sont des prêtres vivant dans le dénuement le plus total et nombreuses sont les personnes des basses castes à avoir fait fortune à partir d’un métier rentable.Comparativement, et même si les règles sont plus floues, la France est pour eux une aristocratie, les Etats-Unis une ploutocratie.
Application
Au regard de ces explications on comprend facilement pourquoi les indiens ont une propension à rarement remettre en cause leur hiérarchie. Mais aussi pourquoi ils témoignent d’une résistance au changement extrême. Mais pour revenir à notre problématique, celle du rendez-vous d’affaires, on voit surtout qu’il est logique qu’ils ne se construisent pas du tout de la même façon en France et en Inde.
Quelle démarche adoptons-nous en France pour se faire ?
Les personnes les moins valorisées que nous dépêchons sont les ingénieurs ou technico-commerciales. Ils sont l’épine dorsale des processus d’avant-vente, de vente et de recherche de partenariats lorsque l’on souhaite faire du volume.
Viennent ensuite les différentes couches de cadres de l’entreprise. Ils gèrent le travail des techniciens et les cadres dirigeants sont donc en charge des négociations importantes.
En cas de projet exceptionnel on mobilise un homme politique incarnant l’engagement du pays dans celui-ci.Il s’agit d’un modèle éprouvé du monde occidental utilisé pour les négociations, colloques et voyages d’affaires.
Mais si l’on regarde la pyramide des valeurs indiennes, basée sur l’attachement au monde matériel, on s’aperçoit que cette hiérarchisation en est le parfait inverse.
La politique est en effet considérée comme impure en Inde. Dans l’esprit indien il s’agit d’une profession où l’on se travestit pour plaire au plus grand nombre et où l’on est corrompu par quelques puissants pour les aider dans leurs quêtes de possessions. Il y a quelque chose à mi-chemin entre le phénomène de foire et la prostitution dans la perception très noire qu’a la société indienne du monde politique.Les cadres sont quant à eux considérés comme exploitant le savoir des autres. Et c’est bien la dépendance qui définit le fait d’être dans une basse caste.
Enfin, les ingénieurs sont affiliés aux créateurs. Ce sont les seuls à générer une valeur ajoutée sur l’existant. On comprend donc qu’avant même d’engager une rencontre, beaucoup de projets partent sur de mauvaises bases.
Un chef d’entreprise indien n’est souvent qu’un ingénieur ayant gagné en responsabilités et il jugera offensant de dialoguer avec un homme politique.
Prenons l’exemple du salon du Bourget qui se tient en France actuellement. La personne à placer en première ligne d’une négociation est celui qui a créé l’avion, pas celui qui gagnerait de l’argent en le vendant. Et pour les projets militaires, il est aussi indispensable de les aborder… avec des militaires.