La relation entre la Russie et l’UE connaît un réchauffement qui profite à la pénétration des compagnies énergétiques russes sur le marché européen. Mais cette liaison reste emprunte d’incertitudes mutuelles qui pourraient devenir l’objet de crispations commerciales.
Début novembre 2010, l’UE a invité la Russie à coopérer à la stratégie énergétique européenne à l’horizon 2050, signe de bonne volonté en soi. Dans la définition de sa sécurité énergétique, les intérêts de l’UE rencontrent ceux de la Russie dans le domaine de la viabilité et de la fiabilité des livraisons, c’est-à-dire que les deux entités se préoccupent autant l’une que l’autre des capacités productives du secteur et de l’acheminent des fruits de celles-ci. Malgré la crise, des progrès ont été enregistrés. Gazprom a effectivement annoncé qu’elle serait en mesure d’exporter 180 mds de m3 par an jusqu’en 2020. Si ces prévisions sont exactes, les besoins européens devraient pouvoir être comblés par la Russie — à condition que les investissements prévus dans le secteur gazier, qui sont aux fondements de leur calcul, soient bel et bien réalisés. Cette hypothèse écarterait le problème de la viabilité de la production russe sur le court terme, d’autant que la demande européenne n’est censée retrouver son niveau d’avant la crise qu’en 2015. En outre, la Russie a fait figure de bon élève à la faveur des troubles en Lybie, se proposant de substituer son gaz à la diminution des exportations gazières libyennes.
Au mois de décembre 2010 s’est tenu à Bruxelles un sommet Russie-UE qui a permis aux deux acteurs de faire le point sur leurs rapports après la difficile année 2009, émaillée par la crise du gaz russo-géorgienne. A l’approche du 1er janvier 2011 date traditionnelle dʼentrée en vigueur des nouveaux tarifs de lʼénergie russe dans les pays de la CEI, les 27 s’inquiétaient de l’éventuelle répétition d’une crise et de ses effets sur les livraisons. Le Premier Ministre russe, Vladimir Poutine, a donc tenu à les rassurer sur l’amélioration des rapports de son pays avec l’Ukraine. Il a énoncé que la meilleure garantie à la fiabilité du transit à travers l’Ukraine était le paiement des livraisons en temps et en heure, que ce soit pour les Européens ou les Ukrainiens.
Ceci n’écarte pas l’éventualité d’une crise qui naîtrait d’un différend commercial sur le paiement mais à considérer que l’Ukraine ou la Biélorussie ne soient pas en défaut de paiement, ni que leur gouvernement ne change, le risque d’une nouvelle rupture l’approvisionnement est peu probable. Le thème de l’acheminement entre l’UE et la Russie semble donc lui aussi appelé à se résorber. Ce qu’avalise la signature d’un mémorandum sur le mécanisme de prévention et de règlement des crises énergétique le 24 février 2011.Si la probable résolution des questions de viabilité des fournitures et de sécurisation des voies de transit promet un apaisement de la relation énergétique russo-européenne, il est en revanche un terrain nouveau où les intérêts de la Russie et de l’Europe pourraient frontalement se heurter et donner lieux à des tensions. Il s’agit du thème de l’aval gazier.
Les compagnies russes poursuivent leurs efforts pour pénétrer les marchés européens de transport et de distribution de l’énergie, stratégie qui s’oppose à la libéralisation en cours du marché énergétique européen dont les règles sont en passe d’être modifiées. Adopté en 2009, le Troisième paquet énergie est un ensemble d’actes législatifs, dont celui d’ éviter qu’un opérateur ne prenne le contrôle de l’ensemble de la chaîne de production et de distribution et ne soit en situation de monopole. Il est dès lors nécessaire de séparer les activités de transport d’un côté et les activités de fourniture et de production de l’autre, séparation qui si elle n’est pas respectée, serait sanctionnée par une interdiction d’activité commerciale pour la compagnie fautive.
Une telle disposition protège le secteur énergétique des excès liés aux positions de monopole et amoindri le champ d’investissement d’entreprises verticalement intégrées comme Gazprom. Celles-ci étant déjà présentes sur les marchés, l’entrée en vigueur du troisième paquet (étalée graduellement entre 2011 et 2013) les obligerait à faire un choix entre l’une ou l’autre des activités et, par conséquent, à restructurer leurs investissements à perdre des parts de marché, en plus de limiter le champ d’acquisition des actifs.
Vladimir Poutine a alerté les Européens à de nombreuses reprises sur les complications qu’engendrerait l’application de cette législation. Arguant que l’UE n’avait pas intérêt à un tel changement, la Russie estime que la limitation des activités de leurs compagnies énergétiques en Europe (qui y réalisent la majeure partie de leurs revenus) entraînerait mécaniquement une baisse de leurs investissements dans les infrastructures et in fine une baisse de la production — donc des possibilités de satisfaire la demande.
La Lituanie a adopté le Troisième paquet énergie, ce qui a poussé Gazprom à ne pas inclure le pays dans la diminution des tarifs du gaz décidée pour les pays baltes. La Lituanie a porté plainte pour abus de position dominante auprès de la Commission Européenne le 25 janvier 2011. Mais au mois de février suivant, le président de la Commission a déclaré comprendre les préoccupations de la Russie face au Troisième paquet et discuter avec elle d’une solution acceptable pour les deux parties.
La Russie continue donc de profiter de l’incapacité des Européens à mettre en place une politique et un marché énergétique commun. Dans le même temps, les dirigeants russes promeuvent depuis peu l’idée d’une grande Europe, héritière du projet de maison commune européenne de Gorbatchev, au sein de laquelle se trouverait un complexe énergétique unique. Nul doute qu’une telle organisation profiterait à un pays dont la production de pétrole et de gaz représenterait la majorité de l’ensemble et lui permettrait d’influence un peu plus ses consommateurs.
R.B