Le fait que l’armée de l’Air américaine, l’US Air Force (USAF), choisisse pour le programme LAS (Light Air Support) un appareil développé à l’étranger (ici au Brésil) ne peut être pleinement présenté comme « une rupture ».
Pas si simple…
Il n’est pas possible de conclure hâtivement que la clause de préférence nationale, quasi traditionnelle en matière économique pour les États-Unis, est donc contournable si facilement. Même si Embraer semble l’avoir emporté, à première vue, contre son concurrent américain, Hawker Beechcraft.
Rappel de l’affaire : le 30 décembre 2011, l’USAF notifiait un contrat de 355 millions de $ pour l’acquisition (dans un premier temps) de 20 appareils A-29 Super-Tucano. Le contrat incluait aussi le soutien (en particulier pour la formation et l’entraînement) et les opérations de maintenance. Ce biplace léger dôté d’un unique moteur à hélices et développé par l’avionneur brésilien Embraer est principalement employé pour des missions d’appui-feu au sol et de reconnaissance ou renseignement.
Au moins, trois remarques peuvent venir contredire à l’heure d’aujourd’hui la description un peu trop simpliste d’un passeur de commandes, les États-Unis, enfin pleinement libéral dans les discours et dans les faits. Et cela, d’autant plus que nous ne connaissons pas encore pleinement l’issue du contrat.
Premièrement, si Embraer a développé cet appareil dont plus de 150 exemplaires sont déjà en opérationnels (en particulier en Colombie), c’est via une entreprise américaine basée en Floride et au Nevada que le contrat sera en grande partie réalisée. En effet, Sierra Nevada Corporation assurera au minimum l’assemblage des appareils (sans doute à Jacksonville) et la majorité des opérations de maintenance. Les emplois américains sont donc bien, en partie, protégés via ce montage. Et cela malgré le fait que le principal concurrent, Hawker beechcraft, avait développé et souhaitait produire son appareil aux Etats-Unis.
Deuxièmement, le concurrent direct, Hawker Beechcraft qui proposait l’AT-6 Texan 2, n’a pas renoncé. Peu de temps avant l’officialisation de l’annonce, une plainte avait été déposée auprès de l’US Court of Federal Plaints pour contester les conclusions des étude des offres. L’US Air Force a alors été obligé de prononcer un « stop-work order » contraignant Sierra Nevada à ne pas lancer la production de l’appareil avant une décision qui pourrait intervenir en mars 2012. Escarmouche juridique (et lobbying politique) à suivre…
Troisièmement, ce contrat s’inscrit dans un processus particulier de passation de contrats par le Departement of Defense (DoD). En effet, ces appareils sont destinés à équiper l’Afghan Air Force (AAF) en cours de récréation. Via des « Pseudo-FMS » (ou « Pseudo-Foreign Military Sales »), le DoD acquiert des équipements pour l’AAF qui sont ensuite transmis de gouvernement à gouvernement grâce à des fonds gérés par le Congrès (et non par une agence spéciale du DoD comme pour les FMS traditionnelles). Le cas est donc bien particulier.
Ainsi, ce contrat est bien spécifique et ne peut donc être généralisé à des contrats passés (le cas emblématique, u moins par le montant, des avions-ravitailleurs opposant Boeing à EADS). De plus, Hawker Beechcraft n’a pas encore baissé les bras, multipliant les recours et développant un lobbying offensif pour faire annuler la décision. Enfin, les clauses contractuelles sont loin de représenter la rupture des « lois » écrites (mesures de distorsion de concurrence) et non écrites (défense prioritaire des intérêts nationaux) orientant historiquement les décisions économiques des États-Unis.
MAJ 1 : pour rappel, plusieurs avionneurs ont déjà par le passé réussi à rendre non recevable la clause de préférence nationale en matière économique. En 2006, l’hélicoptériste Eurcocpter (grâce à une coopération avec Sikorsky Aerospace Services) avait rempoté un contrat pour son hélicoptère EC145 en version militarisée, le UH-72 Lakota.