Les entreprises américaines à l’assaut du secteur spatial

Le 22 mai 2012, soit trois jours après l’annulation d’un tir, la société SpaceX a lancé de Floride, sa fusée Falcon 9 avec sa capsule Dragon pour le premier vol d’un vaisseau privé vers la Station spatiale internationale (ISS) à 350 km d’altitude. En cas de succès, des tests et des manœuvres d’approches, la NASA pourrait l’autoriser à s’y amarrer vendredi, ce qui serait une première pour le vaisseau d’une société privée.

Cette réussite démontre l’essor important que l’industrie spatiale privée subit un aux États-Unis. Ce secteur, trop délaissé en Europe, est des principaux secteurs d’avenir, tant pour le tourisme que pour le transport de marchandises, de passagers, la recherche ou encore l’exploitation minière. Grand pourvoyeur d’emploi, on estime par ailleurs qu’un euro investi dans le spatial revient à 20 euros de retombées économiques.

Le marché du Fret
À la suite du retrait planifié de la navette spatiale américaine, la NASA a lancé un appel d'offres pour le transport d'une partie du fret puis des équipages jusqu'à la station spatiale internationale. Ils dépendent en effet pour le fret des vaisseaux automatiques russes Progress, européen ATV et japonais HTV, qui ne peuvent faire qu’un aller simple. L'offre de SpaceX, de son lanceur Falcon 9 et du cargo spatial SpaceX Dragon (capsule non habitée de 6 tonnes, de 5,9 mètres de hauteur et 3,6 mètres de diamètre), est alors retenue. SpaceX est une entreprise américaine travaillant dans le domaine de l'astronautique fondée en 2002 par le milliardaire Elon Musk, qui a fait fortune dans l’Internet. Le premier lancement de la fusée Falcon 9 a eu lieu le 4 juin 2010 depuis la base de lancement de Cape Canaveral, jusqu’au premier lancement réussi de la capsule Dragon qui transportera une petite charge utile d'une demi-tonne, constituée surtout de provisions pour l'équipage de l'ISS. A la clé, un contrat de 1,6 milliard de dollars avec la NASA contre douze missions de livraison de fret en quatre ans. Outre SpaceX, Orbital Sciences Corporation a bénéficié d’un contrat estimé au total 1,9 milliards de dollars pour une mission semblable.

La conquête spatiale doit encore passer par les vols habités
Concernant le vol habité, les États-Unis dépendent désormais des Soyouz russes au prix de 63 millions de dollars le siège. Dès lors, SpaceX, Boeing, Sierra Nevada et Blue Origin ont reçu des fonds de la NASA pour développer un vaisseau privé de transport de personnes vers la Station. La société privée SpaceX continue en effet de pousser ses pions sur l'échiquier des vols spatiaux habités américains et profite, encore une fois, des retards d’Orion, une capsule Apollo améliorée devant prendre la relève de la navette. Tout récemment, elle vient d'accomplir des tests sur sa capsule Dragon afin de vérifier qu'elle sera bien capable d'emporter des équipages, jusqu’à sept personnes, dans l'espace. Selon Christophe Bonnal, « Les problématiques techniques et les exigences de sécurité seront encore plus importantes pour ces taxis de l'espace, mais le dynamisme du secteur privé donne une impulsion à l'industrie spatiale ».
En effet, bien que les robots semblent être plus efficaces en matière d’exploration spatiale, certaines études tendent à montrer l’impact positif d’une exploration humaine. L’homme demeurera encore longtemps plus polyvalent et réactif qu’une machine, ce que les entreprises privées du secteur savent bien. En plus de la publicité et du prestige plus important que les Hommes renvoient (et donc davantage de financement), le vol habité fait de la résistance. Les Français ne se sont d’ailleurs pas trompé, au grand damne des austères Allemands en commandant des testes sur le cargo ATV possiblement convertible afin d’envoyer des astronautes dans l’espace.

Le tourisme spatial, un secteur prometteur
De nombreux acteurs tentent de se positionner sur le marché du tourisme spatial. Les premiers touristes furent envoyés par le biais d’un partenariat public privé en utilisant l’ISS et les moyens de l’agence spatiale russe.
Mais parmi les espoirs 100% privé, et suite à l’arrêt du partenariat précédemment cité, des milliardaires tels Paul Allen pour Scaled Composites et Richard Branson pour Virgin Group semblent particulièrement bien positionnés. Déjà, le SpaceShipOne fut le premier avion expérimental privé américain ayant volé dans l'espace à plus de 100 km d'altitude remportant cinq jours plus tard l'Ansari X-Prize lors de son second vol. Le SpaceShipTwo devra être construit à six exemplaires afin de  transporter six passagers fortunés dans un bref vol suborbital. 200 000 $ pour deux heures de vol, dont 5 minutes d’impesanteur à 110km d’altitude. La société Virgin Galactic annonce avoir déjà recueilli 300 réservations et 40 millions de dollars d'avance. Les profits des premiers vols seraient réinvestis pour rendre plus abordable le prix des billets, aux alentours de 30 000$.
Une autre entreprise américaine, Bigelow Aerospace, s’intéresse particulièrement au tourisme spatial. Fondée en 1999, elle vise à utiliser des stations spatiales flexibles et configurables à des fins commerciales. Un prototype d’une échelle de 1/3, Genesis I, a été mis en orbite avec succès le 12 juillet 2006 par un lanceur russe Dnepr et s'est gonflé à près de deux fois son diamètre une fois en orbite. Un second a été lancé le 28 juin 2007. L’objectif serait de proposer des séjours orbitaux de plusieurs semaines pour plusieurs millions d’euros.  L’entreprise réfléchirait à un partenariat avec SpaceX pour le transport vers ses stations.

L’urgence de la récupération des déchets spatiauxLa NASA estimait à 22 000 le nombre de déchets de taille moyenne ou grosse (supérieure à 10cm) dérivant autour de notre planète et constituant un risque pour nos satellites, l’ISS et les équipages humains qui l’habitent.  Ces débris sont essentiellement concentrés sur les orbites basses (moins de 2.000 km, où se trouve la Station spatiale internationale) ou géostationnaires (35.786 km). De plus en plus de pays dans le monde participent à l’envoi de fusées et de satellites dans l’espace. La Chine, de son côté, a fait exploser un satellite.  La NASA a déclaré que le nombre de débris spatiaux a atteint un point critique dans la deuxième moitié de l’année 2011. La probabilité qu’un de ces objets n’entre en collision avec un satellite ou l’ISS devient trop importante. Bien que les lois internationales restent marquées par la guerre froide et qu’il soit interdit à un pays de recueillir dans l’espace des objets appartenant à d’autres pays, la technologie de certains satellites restant sensible, la prise en compte de cette problématique et sa résolution deviennent  un marché d’avenir pour certaines entreprises ambitieuses.
Déjà, des chercheurs suisses ont lancé le projet CleanSpace One prévoyant la construction d’un prototype de satellite « désorbiteurs » prévu en 2015 ou 2016.  Son but : se saisir des satellites en fin de vie, et les précipiter dans l’atmosphère pour qu’ils s’y désintègrent sans laisser de débris en orbite.

L’espace : source illimitée de matière première
Enfin, le secteur le plus ambitieux, mais sans conteste le plus prometteur concerne le marché des matières premières et de l’extraction minière dans l’espace. Le 24 avril 2012, des hommes d'affaires influents et fortunés dont les plus connus sont le cinéaste James Cameron et le cofondateur de Google, Larry Page, ont dévoilé le projet
Planetary Resources ouvrant la voie à l'exploitation des ressources minières spatiales sur des astéroïdes croisant près de la Terre, ou à la récupération de l’eau qui s’y trouve.  « La société est prête à engager des missions de prospection ciblant des astéroïdes riches en ressources, facilement accessibles grâce au développement de technologies d'exploration rentables. » Ils définissent leur projet en ces termes : « L'extraction des ressources sur les astéroïdes apportera des avantages multiples pour l'humanité et les revenus économiques atteindront des dizaines de milliards de dollars par an. L'exploitation des richesses potentielles que l'on trouve sur les astéroïdes permettra de fournir un approvisionnement 'durable' pour la population en constante augmentation sur Terre. »
« Un seul astéroïde de 500 mètres de long contient une quantité de platine équivalente à toute la quantité de ce métal extraite dans l'histoire de l'humanité » précisent les responsables de la firme. « Un grand nombre de ces métaux et minéraux qui sont rares sur notre planète se trouvent en quantité quasi illimitée dans l'espace », ajoutent-ils.

Par ailleurs, pour le cofondateur et co-président de « Planetary Resources », « L'eau est certainement la ressource la plus précieuse dans l'espace. Le fait d'accéder à des astéroïdes qui en contiennent devrait faciliter l'exploration de notre système solaire ». En effet, séparer l'oxygène et l'hydrogène qui la constituent, pour respirer et pour servir de carburant aux moteurs des vaisseaux permettrait de faciliter l’exploration spatiale. L'eau est ainsi l'une des ressources les plus chères à transporter depuis la Terre, à cause de son volume. Un litre d'eau dans l'espace couterait 15.000 euros à transporter.
L’entreprise emploie pour cela plusieurs ex-Nasa dont Chris Lewicki, ancien responsable du programme d'exploration de Mars. D'ici 2015 des télescopes devraient être mis en orbite afin de cartographier certains astéroïdes «géocroiseurs». 9000 ont été identifiés, mais des millions existeraient dans le voisinage de la terre. Dès 2017-2018, des sondes devraient explorer le voisinage de la Terre. Mais c’est à plus long terme que l’extraction devrait commencer. Planetory Resources n'a pas donné de date, précisant simplement qu'elle espérait avoir identifié la cible idéale d'ici une dizaine d'années. En effet, les couts astronomiques devraient être échelonnés sur du long terme pour être amorti. De quoi remettre au goût du jour l’état d’esprit d’une lointaine époque, lorsque les visions à long terme existaient, et rappeler le programme de plantage de forets de Colbert sur du long terme, afin que la marine française de l’an 2000 ait des mats.

Alexandre Mandil