Les Etats-Unis sont le principal contributeur à l’aide alimentaire internationale. En 2012, leur participation au Word Food Program (WFP) était 4 fois supérieure à celle de l’UE. Cela s’explique par les intérêts économiques, industriels, politiques et culturels qu’ils y trouvent.
L’organisme qui s’occupe de la mise en œuvre de l’aide extérieure des Etats-Unis, directe ou via ses participations aux programmes internationaux, est l'US Agency for International Development (USaid). Localisé à Washington, il travaille en lien direct avec le Département des Affaires Etrangères et doit rendre des comptes au Congrès. Plusieurs fois menacée de fermeture, l’agence doit justifier son existence par la profitabilité de son action, ce dont elle fait publiquement preuve, dévoilant les retours sur investissement attendus par les Etats-Unis de leur assistance.
Elle travaille en étroite relation avec la Directrice du WFP, Ertharin Cousin (photo ci-dessus), dont les antécédents sont révélateurs des enjeux pour les Etats-Unis : américaine, elle a travaillé pour deux importantes entreprises agro-alimentaires aux USA avant d’entrer dans l’administration Clinton, puis Obama.
Historiquement, l’aide alimentaire est pour les Etats-Unis un outil économique, servant à écouler les surplus agricoles au service de la conquête de nouveaux marchés.
Les Etats-Unis ont institué leur programme d’aide alimentaire par une loi de 1954, période où les surplus agricoles étaient abondants. Cela permettait aux agriculteurs américains de les écouler tout en accédant à de nouveaux marchés. Cet objectif n’a pas changé, comme le prouve l’existence au sein de la Food and Agriculture Organization (FAO) du Consultative Sub-Committee on Surplus Disposal localisé non pas à Rome (comme le reste de la FAO)… mais à Washington. De fait, le rôle principal de cet organisme est de s’assurer que les aides ne diminuent pas les importations des pays récipiendaires.
Les Etats-Unis utilisent l’aide pour soutenir leur agriculture et conquérir de nouveaux marchés. Les 4/5 de l’aide américaine sont des transferts directs provenant de producteurs nationaux et 91% de l’aide est constituée de céréales américaines, contrairement aux préconisations des organisations internationales puisqu'acheter les céréales localement permet de soutenir l'agriculture des pays aidés. D'ailleurs, la stratégie globale s’appuie sur un arsenal juridique qui favorise d’autres secteurs que l’agro-alimentaire, comme le transport maritime, puisqu’en vertu du Farm Bill de 1985 au moins 75% du transport de l’aide alimentaire doit être attribué à des entreprises américaines.
En outre, l’agriculture locale des pays récipiendaires est étouffée par l’apport de denrées quasi-gratuites. Ce phénomène conduit à une perte durable de l’autonomie alimentaire, ouvrant ainsi de nouveaux marchés pour les produits agricoles américains. La Corée du Sud est un exemple d’une telle politique. Dans les années 1950, elle faisait partie des bénéficiaires principaux de l’aide américaine. Elle est à présent un gros acheteur de produits agricoles « made in USA ». De même, les Philippines ont bénéficié de dons de soja dans les années 90 et sont devenues depuis le troisième plus gros importateur de soja américain.
Lorsqu’en 2003, des pays africains ont refusé d’accepter des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) comme aide alimentaire, les Etats-Unis se sont adressés à l’Organisation Mondiale du Commerce pour attaquer le moratoire contre les OGM déposé par l’Union Européenne, qu’ils accusaient d’influencer les Africains. L’aide alimentaire procède moins de l’humanitaire que du commercial, car elle est un outil marketing capital pour l’acquisition de marchés. Dans cette idée, l’influence par les ONG est efficace : Consumers International a ainsi joué un grand rôle dans la conclusion du débat. Présidée par un Américain, présente dans 22 pays africains, elle prône l’acceptation des OGM s’ils sont labellisés par des organismes indépendants.
Par ailleurs, l’aide sert les intérêts stratégiques des Etats-Unis. Dans le cadre de l’accord « pétrole contre nourriture » (1995-2003), une idée du Président Bill Clinton, l’Irak était autorisé à vendre son pétrole –denrée vitale pour les Etats-Unis, premiers bénéficaires des ventes– en échange d’une aide alimentaire qui dérogeait à l’embargo imposé par l’ONU.
L’aide alimentaire n’apporte pas seulement des profits économiques aux Etats-Unis, c’est également un levier d’influence politique, car elle est à la fois une carotte et un bâton.
Carotte lorsqu’il s’agit de récompenser les alliés des Etats-Unis, ou rallier leurs opposants. Lors de la famine de 1984 en Ethiopie, par exemple, les Etats-Unis ont envoyé leur aide alimentaire avec l’intention d’inciter ainsi la junte marxiste à rallier le camp occidental.
Bâton lorsqu’il s’agit de sanctionner un Etat réfractaire. Ainsi le Chili s’est vu privé de livraisons de vivres lors des nationalisations de Salvador Allende en 1971 ; et lors de la famine de 1974, les Etats-Unis ont tardé à répondre aux demandes du Bangladesh en raison de ses relations avec Cuba.
Les évolutions de l’attribution d’une aide alimentaire à la Corée du Nord par les Etats-Unis sont l’exemple récent le plus marquant de l’aide alimentaire utilisée comme signal diplomatique. Des livraisons de nourriture ont été négociées en échange d’un arrêt du programme nucléaire militaire de Pyongyang en février 2012. Lorsque le mois suivant la Corée du Nord a envoyé un missile et repris un discours belliciste, les Etats-Unis ont immédiatement menacé de couper ces livraisons.
Plus qu’un simple outil diplomatique, le programme alimentaire est une arme dans la guerre psychologique. Ainsi, l’aide a dès ses débuts été pensée comme un outil pour contrer l’expansion du communisme. Par exemple, en Thaïlande et aux Philippines, la stratégie mise en œuvre par des ONG financées par USAid a permis de marginaliser les mouvements communistes insurrectionnels, tout en attirant leurs cadres vers de nouvelles organisations. CARE est la principale de ce type d’ONG. Proche du Pentagone, elle assiste la politique étrangère américaine sous des couverts humanitaires. Ainsi, pendant la guerre du Vietnam, elle a contribué à regrouper les populations rurales dans des « Peace Villages » afin de priver les Viêt-Cong de leur soutien (1963). CARE est présente aujourd’hui en Irak et en Afghanistan, pour empêcher l’essor de mouvements extrémistes islamistes nés de la pauvreté. L’aide alimentaire fait partie de la guerre contre le terrorisme menée par les Etats-Unis.
Dans cette optique d’utilisation offensive des structures d’aide alimentaire, il est intéressant de noter l’interdiction d’USAid en Russie en septembre 2012, sur des accusations d’espionnage, et de Bolivie en mai 2013 par le Président Morales qui l’a accusée de servir des intérêts politiques et non sociaux.
Pour terminer, l’aide alimentaire participe également à l’extension du soft power américain. Le logo "USAid – From the American People" et le drapeau américain bien en évidence sur les cartons de vivres, ainsi que les aliments parfois symboliques du mode de vie occidental (le chocolat envoyé en Russie dans les années 1990…) sont autant d’attraits qui permettent aux Etats-Unis d’étendre leur aura internationale. Dans cette logique d’influence et de démonstration de puissance, il est intéressant de constater que l’aide au développement se concentre de plus en plus sur les interventions les plus visibles, car "en termes de relations publiques, la distribution de sacs de riz au milieu d'une famine paie beaucoup plus que des forages de puits dans le Sahel" (M-A. Pérouse de Montclos, 2005). C’est pourquoi l’aide ne se concentre pas seulement sur des pays stratégiques mais également sur des interventions médiatiques, comme la Somalie en 1992.
Qu'en conclure?
Les Etats-Unis interviennent avant tout dans les pays qui servent leurs intérêts économiques, diplomatiques, et politiques. C’est évidemment un constat dont sont conscients les autres pays, notamment l’Union Européenne, deuxième contributeur du WFP. Pourtant, l’Agence Française de Développement travaille très peu avec le Ministère de la Défense, et n’a pas de comptes à rendre au Parlement. En fait, c’est même la seule agence de développement occidentale à financer des organismes multilatéraux sans poser aucune condition. Il y a là des éléments de réflexion politique pour l’intérêt de notre pays.
Athénaïs DELACOUR