La Chine constitue aujourd’hui le premier consommateur mondial en énergies et sa croissance nécessite une diversification de ses approvisionnements en énergie. L’Afrique suscite depuis plusieurs décennies l’intérêt de Pékin. Aujourd’hui, le Tchad constitue un exemple d’application de la stratégie énergétique chinoise sur le continent noir.
Une demande énergétique chinoise croissante
Depuis 2011, la Chine constitue le premier consommateur mondial d’énergies. Le secteur pétrolier représente aujourd’hui l’un des fleurons de l’économie chinoise. Il constitue l’une des 10 priorités stratégiques de Pékin pour répondre à une demande énergétique croissante et soutenir le développement économique national. Depuis plusieurs décennies, la Chine s’est donc intéressée aux gisements pétroliers situés en dehors de ses frontières, et notamment en Afrique. Deux chiffres illustrent l’intérêt chinois pour l’Afrique et l’influence croissante de Pékin sur le continent noir : en 2000, le commerce sino-africain atteignait 10 milliards de dollars ; il s’élevait à plus de 100 milliards dix ans plus tard. La stratégie développée par Pékin répondait à trois objectifs majeurs : renforcer l’influence chinoise en Afrique, améliorer le contrôle des ressources énergétiques, diversifier les approvisionnements et ainsi limiter la dépendance à l’égard des pays du Moyen-Orient. Dès lors, des états africains instables, gangrenés par la corruption et très gourmands en devises étrangères, ont suscité un vif intérêt pour le géant asiatique. Ainsi, de grandes entreprises comme CNCP ont multiplié leurs achats et investissements au cours des 30 dernières années en Angola, au Soudan, en Algérie, etc. Producteur et exportateur de pétrole depuis 2003, le Tchad a suscité un intérêt du géant asiatique qui s’est manifesté par une change de la donne géopolitique dans la région, ainsi qu’une implication croissante des industriels chinois dans l’ancienne colonie française.
Des relations sino-tchadiennes marquées par une forte instabilité
Depuis 40 ans, relations politiques et diplomatiques entre Pékin et N’Djamena ont été marquées par de fortes fluctuations, les stratégies d’alliance suivies par l’une ou l’autre des parties venant fortement impacter les relations économiques entre les deux pays et le développement tchadien. Les relations diplomatiques entre le Tchad et la République Populaire de Chine commencèrent en 1972. Au-delà de certains faits marquant, comme la coopération pour construire le plus grand hôpital tchadien dans les années 1980, les échanges entre les deux pays resteront mineurs jusqu’au milieu de la décennie 2000. Jusqu’en 2006 et sur le continent asiatique, N’Djamena aura pour allié Taïwan et traitera en particulier avec le géant de l’énergie CPC pour effectuer des prospections sur le sol tchadien, tandis que Khartoum nouera d’étroites relations avec Pékin. Les relations conflictuelles sino-tchadiennes se traduiront par une rupture des relations diplomatiques en 1997, et indirectement sur le terrain pendant le conflit au Darfour durant lequel des groupes rebelles comme celui du FUC (défait en 2006 à N’Djamena) disposeront d’un armement chinois. En 2006, une convergence d’intérêts fut à l’origine d’un changement important dans les rapports officiels sino-tchadiens. Bien que le Soudan ait jusqu’alors constitué une source importante d’hydrocarbures pour la Chine, Pékin souhaitait diversifier ses approvisionnements ; le régime tchadien cherchait quant à lui à gagner en stabilité sur le territoire national. Les tentatives de rapprochement du régime tchadien avec Pékin aboutirent en 2006 à la rupture de N’Djamena avec Taïwan et une reprise des relations politiques et économiques avec le régime chinois.
Un rapprochement polymorphe correspondant à la stratégie chinoise initiale
D’un point de vue purement diplomatique, cette reprise sera illustrée par l’ouverture d’une ambassade chinoise et la visite du Premier Ministre chinois Li Zhaoxing en janvier 2007, puis celle d’Idriss Déby en Chine en septembre 2007. Au niveau des infrastructures publiques, ce rapprochement s’est concrétisé avec des grands chantiers comme celui du Palais du peuple, l’Hôpital de la liberté aujourd’hui appelé « L’hôpital de l’amitié Tchad-Chine, ou encore le stade Omnisport de la capitale tchadienne. Les infrastructures industrielles comme la cimenterie de Baoaré, ou raffinerie située à 50km au nord de N’Djamena, furent également développées en coopération avec l’Etat chinois. Progressivement, Paris Washington ont ainsi perdu de leur influence à N’Djamena au profit de Pékin. Du point de vue énergétique, le géant chinois CNPC, via sa filiale China National Petroleum Corporation International Chad (CNPCIC), racheta les parts du canadien Encana en janvier 2007 pour exploiter le pétrole tchadien, le permis concerné couvrait une superficie d’environ 220.000km². Les investissements dans ce secteur stratégique furent marqués par une ambition chinoise de dépasser la logique occidentale de production/exportation aux profits des grandes compagnies : en s’impliquant dans le projet Rônier, les chinois permirent aux tchadiens d’être également bénéficiaires de leurs propres ressources en hydrocarbures. Afin de raccourcir considérablement la chaîne d’approvisionnement en pétrole depuis le Tchad, les chinois ont aussi pour objectif de réorienter l’oléoduc tchadien jusqu’à la mer rouge. L’exportation depuis la mer ne se ferait ainsi plus depuis l’océan Atlantique. Enfin, les permis d’exploitation et d’exploration accordés aux sociétés chinoises, ainsi que la construction du second oléoduc reliant le site pétrolier de Mougo à la raffinerie de Djemaya, ont permis à Pékin de constituer progressivement un partenaire majeur de N’Djamena, au grand dam des américains lorgnant sur le pétrole de la région, et de Paris souhaitant rester un acteur influant auprès de son ancienne colonie. Au final, la coopération sino-tchadienne aboutit pour la Chine à une diversification de ses approvisionnements énergétiques et à une progression de l’influence chinoise auprès de l’ancienne colonie française, conséquence de la stratégie lancée depuis 2006 par les autorités de Pékin, précisée dans leur livre blanc sur la politique africaine : « La Chine œuvre à établir et développer un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l’égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant sur le plan économique ».
Pierre Bertin