Fondé par Patrice Allain-Dupré et Henri Martre en 1989, ESL&Network est un cabinet pionnier en matière d’intelligence économique. Sa naissance marque une prise de conscience, celle qu’il est désormais nécessaire, dans un monde de plus en plus complexe, d’aider les décideurs à maîtriser l’information stratégique.
Résolument axé vers la sphère entrepreneuriale, la plupart des associés du cabinet sont français. Parmi ces associés, se trouve Alexandre Medvedowsky. Ancien élève de l’ENA (Promotion Denis Diderot) et Conseiller d’Etat honoraire, Alexandre Medvedowsky a été nommé Président du Directoire d’ESL&Network Holding le 1e janvier 2013. Il a accepté de répondre aux questions du Portail sur la démarche d’ESL&Network et l’état de l’intelligence économique en France aujourd’hui.
Quelle est la méthodologie d’ESL&Network ?
Nous voulons être un outil pour les décideurs publics ou privés mais principalement pour les chefs d’entreprise. Pour ce faire il faut être capable d’aller chercher l’information pertinente partout où elle se forme . Il nous a donc fallu compléter notre plate-forme parisienne par un réseau de filiales ou de correspondants dans le monde . A partir de là, notre méthodologie de collecte, de tri, de validation et de restitution de l’information peut être appliquée à tous les secteurs d’activités. Nous avons un pôle important à Bruxelles et des filiales à Londres, Francfort, Rome, Madrid ou encore Moscou.
Votre manière de travailler a-t’elle évoluée depuis votre arrivée en 2001 au sein du cabinet ?
Notre manière de travailler a effectivement changé en 12 ans. En une décennie, le monde a changé et s’est internationalisé. Les groupes français se sont ouverts à l’Europe quand les groupes européens se sont ouverts au monde. Il nous a donc fallu être encore plus international en ouvrant notre réseau. Dans les années à venir, nous continuerons d’élargir ce réseau, particulièrement en Afrique. Un autre facteur de changement est l’Europe. Elle est devenue chaque année plus importante qu’elle ne l’était auparavant. Bruxelles a changé. Par exemple, des comités techniques se sont mis en place en avant de l’élaboration des normes. Les canaux d’information ont eux aussi profondément évolué. Les presses écrite et audiovisuelle ont bien moins d’influence de nos jours. Les véhicules principaux sont devenus les véhicules numériques.
Cependant, malgré cette complexification du monde, nous faisons toujours du sur-mesure pour nos clients qui sont tous des décideurs. Notre business model reste de s’adresser aux grands patrons.
Quelle est la sphère de l’intelligence économique ?
Nous avons trop réduits l’intelligence économique en la confinant dans un coin spécifique. L’information est ouverte, l’intelligence économique aussi. Tous les décideurs doivent passer leur journée à faire de l’intelligence économique sans même le savoir et pas toujours avec les bonnes techniques. On a trop donné à l’intelligence économique une connotation guerrière qui fait peur aux entreprises. Le rapport Carayon participe d’ailleurs de cette idée contrairement au rapport d’Henri Martre . Pour autant, il faut adopter la stratégie aux objectifs de l’entreprise. Si l’intelligence économique ne doit pas être guerrière, la stratégie, elle, doit être offensive. L’intelligence économique, plus justement l’intelligence stratégique, est avant tout et simplement le fait d’être intelligent. Il faut par conséquent populariser nos métiers et les confronter. Il y a des sujets importants, comme l’éthique, qui concernent les gens de la profession. Pour autant, il faut d’abord diffuser nos outils et élargir la sphère de l’intelligence économique.
Comment former des gens à ces métiers si particuliers ?
Nous avons besoin de former des gens, mais ne nous trompons surtout pas. Pour ma part, je ne cherche pas une formation spécifique en intelligence économique. Je veux des personnes avec une excellente formation générale et qui savent écrire. De plus, ils doivent connaître le monde de l’entreprise et avoir une ouverture internationale, car l’intelligence est désormais mondiale.
On parle beaucoup de la création d’un Haut Conseil ou un Haut Commissariat à l’Intelligence Stratégique au sein de l’Etat. Que pensez-vous d’une telle structure ?
Si les mots pour la définir importent peu, cette structure est, elle, absolument nécessaire. J’ai été dans la sphère publique et je suis aujourd’hui frappé de son appauvrissement stratégique. Nous voyons par exemple son incapacité à gérer la filière nucléaire. L’Etat est à la remorque des grandes entreprises privées. C’est nous qui sommes obligés d’aller parler des normes de Bâle III à l’Etat ! Sa capacité de mobilisation est faible. Nous avons perdu de grands appels d’offres internationaux à cause de ces défaillances et d’un manque de validation des informations des intermédiaires de l’Etat.
Sans accabler la Délégation Interministérielle à l’Intelligence Economique, quelque chose ne va pas. Le système d’intelligence stratégique est inopérant. La première des choses à faire est de rattacher la nouvelle structure auprès du Premier Ministre. Ensuite, cette structure doit être restreinte et légère. Faisons en sorte que les comités du renseignement soient autour de la table pour échanger et recouper l’information. Tout est aujourd’hui trop cloisonné dans les différents services des ministères. Avant tout, décloisonnons. De plus, l’outil public doit être au contact des outils privés. Sphère publique et sphère privée ne doivent pas être dissociées. Ce commissariat aurait dû être crée bien avant et l’ADIT aurait ainsi pu être son outil opérationnel, si elle n’avait pas été privatisée. Nous aurions même pu connecter le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI) à ce commissariat pour définir les filières stratégiques en France. Tel n’a pas été le cas. En somme, à travers la création de cette structure, l’Etat doit redevenir stratège et ne plus répondre au coup par coup.
Interview réalisée par Pierre-William Fregonese