On ne joue pas avec le jouet

Quelques semaines après Noël, les jouets ont regagné leurs corbeilles dans la chambre des enfants. Pour autant, l’évolution du marché se joue entre les fêtes, un marché du jouet concurrentiel violent, fortement normé mais où les règles peinent à être respectées.

Un marché mondial largement dominé par les jouets chinois

Le marché mondial du jouet pèse environ 80 milliards de dollars. 70% des jouets vendus dans le monde sont fabriqués en Chine. La production chinoise est concentrée dans la province méridionale du Guangdong. L’industrie y est très fragmentée, avec plus de 8.000 fabricants de jouets et peut-être jusqu’à 20.000 (non déclarés), selon certaines estimations. Ce sont 4 millions d’ouvriers chinois qui travaillent dans ce secteur. L’UE compte environ 80 millions d’enfants de moins de 14 ans et quelques 2 000 entreprises employant directement plus de 100 000 personnes dans le secteur du jouet et du jeu. La majorité des entreprises sont des PME. Actuellement, les principaux partenaires commerciaux de l’Europe demeurent les États-Unis pour les exportations et l’Extrême-Orient (principalement la Chine) pour les importations.

En France, selon NPD Group, fournisseur de données sur le marché du jouet, le secteur a réalisé un chiffre d’affaires de 3175 millions d’euros en 2012 en retrait de 2% par rapport à 2011, qui avait été en forte croissance (+6%). La France est au 2ème rang européen. L’essentiel des ventes émane des spécialistes du jouet (45% de parts de marché) et 36% pour la grande distribution pour une dépense annuelle par enfant d’environ 270€. Les jouets sont vendus à 60% pour les enfants de moins de 6 ans. Au moins 58% des achats de jouets sont réalisés lors de la période de Noël. Les ventes de cette année ont été bonnes avec une croissance de 2% sur le mois de décembre et des recettes de 635 millions sur les trois dernières semaines. Le secteur français est constitué d’une vingtaine de fabricants de plus de 10 salariés (60 entreprises de moins de 20 salariés en 1995) qui réalisent 450 millions d’€ de CA annuel global. Il comprend également une quinzaine de filiales françaises de commercialisation de grandes marques internationales employant en France plusieurs centaines de salariés et un grand nombre de très petites entreprises de design ou de fabrication de jouets.

Un secteur fortement normé et contrôlé : un enjeu sociétal

Les jouets et les jeux sont essentiels au développement de l’enfant. Aussi la sécurité de leur utilisation doit-elle être garantie. C’est à la fois un enjeu de société et un enjeu économique. Force est de constater que le coût faible prévaut sur la qualité et la sécurité sur les marchés.

“Le fabricant, qui se trouve souvent en Chine, l’importateur et le vendeur : tout le monde est désormais responsable. Si un consommateur en France a un problème avec un jouet, il peut se retourner contre le magasin qui le lui a vendu”, explique Elisabeth Chesnais, journaliste à UFC-Que choisir. De fait, la Direction générale des douanes a détecté en 2011, 829 000 jouets qui n’étaient pas conformes aux normes européennes, soit plus de 16 % des 5,1 millions contrôlés. Parmi eux, 53 600 (1 %) étaient à la fois non conformes et dangereux. Selon les données annuelles publiées par Bruxelles, plus d’un produit sur deux notifié comme dangereux dans l’Union Européenne (UE) est d’origine chinoise.

Les écarts normatifs entre producteurs déséquilibrent les échanges. C’est pourquoi de nombreuses normes européennes ont tenté d’entraver l’importation de jouets peu sûrs. Ces normes s’appliquent désormais à « tous produits qui sont conçus pour être utilisés, exclusivement ou non, à des fins de jeu par des enfants de moins de quatorze ans ou destinés à cet effet » (décret du 22 février 2010). Outre les exigences que ces textes préconisent déjà, le dispositif sera renforcé à compter du 20 juillet 2013 par des exigences chimiques portant notamment sur les vernis, la peinture, la composition des matériaux. Contrairement aux idées reçues, les fabricants étrangers sont soumis à des règles identiques aux règles européennes, et en première ligne, les jouets chinois. En 2007, les nouvelles normes européennes et étasuniennes relatives à la sécurité des jouets, et la certification chinoise obligatoire pour la production des jouets, ont pris effet.

Un secteur chinois à fort potentiel mais qui s’essouffle.

Aujourd’hui, les fabricants chinois bénéficient de leur position de « sous-taitants » des grandes marques étrangères. Leur production est vendue sous label étranger. Ils n’ont pas à verser des brevets chinois aux coûts élevés. En contrepartie, les prix sont fixés par les grands distributeurs étrangers. Les entrepreneurs chinois adaptent leur rendement et leur masse salariale en fonction de ces contraintes. L’industrie chinoise du jouet, qui semble jouer un rôle principal sur le marché international, est en fait une industrie dont les profits sont dérisoires et à faible valeur ajoutée, et qui affronte actuellement de nombreux problèmes épineux. « Les distributeurs étrangers sont les principaux bénéficiaires », s’est plaint Zhan Wanlin, sous-directeur général du groupe de jouets Tiantianwan ( Anhui Daily-Play Toys Co., Ltd).

3700 fabricants ont mis la clé sous la porte, victimes de la hausse des coûts de production et du yuan, pour l’essentiel des sous-traitants de plus grosses entreprises. Une majorité écrasante d’entreprises n’innovent pas suffisamment sur le plan technique et pêchent par leur manque de capacités réformatrices. Malgré un grand nombre de fabricants de jouets, leur compétitivité n’est pas suffisante et il n’existe pas d’acteurs professionnels influents pour le développement des jouets. Les exportations de jouets chinois ont globalement continué à croître de 1,3 %. Mais les distributeurs réorganisent leurs approvisionnements afin de tenir compte des normes environnementales. Les enseignes privilégient des fournisseurs européens plus proches. La grande quantité des jouets renvoyés pour non-conformité aux nouvelles normes européennes et étasuniennes et l’adaptation à ces normes ont augmenté de 8% le prix de revient pour les entreprises de jouets chinoises, d’autant plus que le niveau de la revalorisation du yuan (RMB) a dépassé 7% ces deux dernières années. Malgré l’augmentation des salaires (plus de 7% annuel), les conditions de travail sont encore pointées du doigt par les ONG et les instances sociales. 

Un marché chinois, objet de convoitises

Les 400 millions de chinois de moins de quatorze ans (20% de la population chinoise), représentent un potentiel énorme pour l’industrie du jouet, confirme Liang Mei , vice-président et secrétaire général de l’association chinoise des jouets. La dépense moyenne en (20-30 yuans, entre 2,4 et 3,6 dollars différenciée entre les zones rurales et urbaines) est largement inférieure à celle des enfants des autres pays asiatiques (13 dollars), d’autant plus à la moyenne mondiale (34 dollars). Avec la hausse des revenus dans les zones urbaines, le secteur du jouet connaît une croissance annuelle vertigineuse, de 30% à 40% ces dernières années. Des entreprises étrangères entrent en action, car elles ont constaté le potentiel de développement du marché chinois du jouet. C’est le cas de Toys R Us par exemple qui vient de s’implanter à Shangaï avec succès.

Marie-Christine Michel