Avez-vous entendu parlé de patriotisme économique national? Certainement. Mais connaissez-vous le patriotisme économique européen ? Méconnu, ce concept devient une tendance, en ces temps de crise économique en Europe.
Tenant compte des enjeux de la mondialisation, le patriotisme économique européen se propose de réunir les nations européennes afin de protéger et d'armer le continent d'instruments indispensables à sa survie. Directrice du "Cursus droit" à l’ESSEC, co-directrice du Centre Européen de Droit et d’Economie (CEDE) de l’ESSEC, et experte en droit des affaires européen, Viviane de Beaufort est engagée sur ces réflexions . Elle a accepté de répondre aux questions du Portail au sujet du patriotisme économique européen.
Selon vous, un patriotisme économique européen est-il souhaitable et réalisable dans la conjoncture actuelle ?
Il est souhaitable oui, à 150%. Aujourd'hui, une action menée au nom du patriotisme économique à l'échelle d'un Etat, tel que la France ou l'Allemagne, ne peut aboutir pour deux raisons. D'une part, la dimension et la portée des problématiques liées à la mondialisation révèlent qu'une action nationale n'est plus le niveau suffisant. Par exemple, si la France décide d'introduire une taxe sur les transactions financières, cette initiative aura pour seule conséquence la fuite des capitaux du pays. Un Etat ne peut plus se permettre de mener une politique seul car cela l’arrange. Dans ce contexte, il faut agir au minimum à l’échelle européenne. D’autre part, il faut rappeler que l’un des principes fondamentaux de l’Union Européenne est le principe de coopération loyale qui se combine avec la logique du marché interieur. Une discrimination à l’égard de produits ou services européen par une politique de promotion de produits nationaux est contraire à l’esprit et à la philosophie du marché intérieur et est passible de sanctions.
Quelles solutions peut-on apporter ?
La solution doit faire en sorte que les Etats membres de l’Union Européenne (UE) élaborent ensemble une réflexion sur les intérêts stratégiques européens et soient capables de les défendre en utilisant notre système de droit, un système plutôt complet, voire sophistiqué. Cette solution pourrait, par exemple, permettre de concrétiser un contrôle européen des investissements direct étrangers pour disposer des mêmes instruments que les Etats-Unis, la Chine ou l'Inde. Ce patriotisme économique à échelle de l’UE est extrêmement difficile à élaborer en raison de réflexes étatiques nationaux encore ancrés dans les mentalités.
Comment voyez-vous l’avenir de l’UE dans ce domaine ?
Je crois à deux choses. Premièrement, je crois dans de nouveaux instruments juridiques à créer peut-être si nous ne sommes pas tous d’accord en coopération renforcée utilisé pour la première fois dans le cadre du brevet européen. Les Etats qui ont une volonté de s'associer dans un domaine (en ce moment la base fiscale de l’i/S ou les transactions financières) leur permet d'avancer plus vite tandis que d’autres Etats ne s’associent pas. Je crois également beaucoup dans le nouveau projet de règlement sur les marchés publics internationaux qui pose un principe de réciprocité. Autrement dit, ce règlement permettrait à l’Europe de ne pas ouvrir sans réserve aux entreprises des pays tiers, nos marchés publics européens si les entreprises européennes n'ont pas accès aux marchés publics des Etats en question. Il est en ce moment en discussion au Parlement européen. Ce texte est symbolique dans la mesure où c'est la première fois qu'on ose envoyer ce signal de reciprocité ou « avantages mutuels » aux pays tiers. Il n'y a pas de raison que l'UE soit ouverte et désarmée. Nous avons donc bien des moyens à utiliser, mais demeure la problématique de la volonté politique…
Interview réalisée par Manon Vermenouze