Le Tchad serait-il victime de ce que l’on appelle communément la « malédiction du pétrole » ? L’écart entre les attentes suscitées par la rente pétrolière et le développement du pays peut lever des interrogations quant à la gestion de l’exploitation d’une ressource qui constitue un enjeu stratégique majeur.
Les réserves tchadiennes de pétrole sont aujourd’hui estimées à environ 1,5 milliards de barils. Si l’histoire du pétrole tchadien remonte aux premières missions de prospection de 1931, son exploitation n’a commencé que 72 ans plus tard. La compagnie américaine CONOCO reprend les missions de prospections abandonnées par l’ancien colonisateur, ce qui aboutit notamment au forage du premier puit à Doba en 1973.
L’exploitation de l’or noir est devenue un véritable enjeu pour des firmes américaines comme ExxonMobil et Chevron qui fondèrent avec le malaisien Petronas un consortium en vue d’exploiter le bassin pétrolier de Doba. En intégrant ce consortium en 1992, et en s’en retirant en 1999, Elf-Aquitaine ne permit pas à l’ancien colonisateur de disposer d’une compagnie exploitant le pétrole tchadien.
Dès lors, bien que principal partenaire économique du Tchad, derrière le Cameroun concerné par le transfert du pétrole depuis le Tchad, la France perdit peu à peu de son influence auprès de son ancienne colonie, au profit des Américains. Ces derniers ont effectivement porté une attention particulière au Tchad au cours des 20 dernières années, notamment pendant la présidence Bush (entourage pétrolier du président, approvisionnements énergétiques, proximité avec la Libye et le Soudan). En achetant notamment un permis d’exploitation couvrant une partie ou l’ensemble de chacun des 7 bassins pétroliers du Tchad, le chinois CNPC est devenu un acteur influent de l’économie tchadienne.
Les investissements de grandes multinationales et le soutien financier apporté par la Banque Mondiale auraient pu suggérer une relève de l’économie tchadienne, meurtrie par des décennies de guerre civile ; de plus, le conflit entre tchadiens et soudanais, lié à celui du Darfour, baissa en intensité en 2007, année de l’installation de la CNPC au Tchad, la Chine étant l’alliée traditionnelle de Khartoum.
Néanmoins, malgré une rente pétrolière considérable à l’échelle de l’économie tchadienne avec l'augmentation des recettes totales liées aux exportations de 200% en 2004 par rapport à 2003, le Tchad a dû faire face à des crises internes qui sont venues miner les perspectives de développement économique. Des rébellions ou tentatives de coup d’Etat ont en effet déstabilisé le pouvoir central à N’Djamena ; ces troubles trouvent en partie leur source hors du territoire tchadien avec le débordement du conflit au Darfour en 2004.
La gestion de la rente pétrolière est problématique, la perfectibilité des politiques publiques et les problèmes de corruption viennent freiner un développement économique principalement urbain. Enfin, l’exploitation du pétrole a un impact non négligeable sur l’environnement et l’agriculture tchadienne. Face à une demande mondiale énergétique croissante et de réelles difficultés de gestion, il sera intéressant d’identifier la stratégie qu’adoptera N’Djamena dans les prochaines années, pour faire définitivement mentir la dite « malédiction du pétrole ».
Pierre Bertin