Un commissariat à la stratégie et à la prospective, et après ?

Lors du Conseil des ministres du 17 avril dernier, le Premier ministre a présenté un décret portant création du commissariat général à la stratégie et à la prospective. La semaine dernière, le Conseil des ministres a nommé Jean Pisani-Ferry, au poste de commissaire

Quatre mois après le rapport défendant la création de ce commissariat et trois mois après la déclaration du Président Hollande réclamant cette nouvelle institution, qui remplace le Conseil d’Analyse stratégique, le commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) voit enfin le jour.

Les missions et le fonctionnement du commissariat

Dominique de Villepin avait supprimé, en novembre 2005, le Commissariat général au Plan, le Centre d'analyse stratégique (CAS), qui lui avait succédé, en mars 2006, est apparu comme un simple outil de veille, un think tank des pouvoirs publics, ne parvenant pas à s'impliquer ni dans la préparation ou l'évaluation des stratégies publiques ni dans la réforme de l'Etat. Selon le décret, ce commissariat, rattaché au Premier ministre, participera à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental. Le CGSP devrait être doté de cinq missions : « prospective, stratégie, évaluation, centre de ressources sur les concertations et débats publics et comparaisons internationales et territoriales ». A ce titre, il définira des stratégies d’action et le développement des études prospectives, des pratiques d’évaluation des politiques publiques, des bonnes pratiques de concertation et des comparaisons internationales et territoriales. Il travaillera en réseau avec les conseils spécialisés. Le commissariat général établira un rapport annuel. Ses rapports et avis seront rendus publics et des publications sur internet permettront de suivre l’évolution de ses travaux en commission. Il pourra également organiser des consultations publiques sur internet.

Le nouveau commissaire

Jean Monnet parlait de la «  la fonction indéfinissable de Commissaire au Plan », le rapport Moreau dessine le profil d'une personnalité rare : « Une personnalité de grand talent », sachant pratiquer « l'ouverture à l'international » et « établir des liens solides avec le monde de la recherche » et ayant « la capacité à prendre la parole en public et à s'exprimer en son nom propre ». Jean Pisani-Ferry a été nommé, cette semaine, en Conseil des ministres,  commissaire à la stratégie et à la prospective. Européen convaincu, proche du gouvernement actuel, l'économiste fondateur du think tank Bruegel est favorable à plus de fédéralisme européen. Jean Pisani-Ferry est proche du gouvernement actuel, ancien membre des cabinets de Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter, au ministère de l’Economie. Recalé de la présidence de Sciences Po, Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale l'a nommé au Haut Conseil des finances publiques en février.

Quelle ambition politique pour le commissariat ?

Le 8 janvier, lors de ses voeux aux corps constitués, le président de la République défendait la création d'un commissariat général à la stratégie et à la prospective, pour permettre à l'Etat, non pas de revenir à la planification du temps de Jean Monnet, en 1945, mais d'anticiper. Son rôle sera de prévoir les mutations de la France et du monde, dans les années à avenir. Associant les partenaires sociaux et les meilleurs experts de la société, il devra porter « une vision cohérente de l'avenir. Nous avons besoin de connaître, non pas ce qu'il va se passer, a assuré M. Hollande, mais ce que nous devons faire en tant qu'Etat, en tant que nation, pour nous mettre  en avant. » Le CGSP devrait être doté de cinq missions : « prospective, stratégie, évaluation, centre de ressources sur les concertations et débats publics et comparaisons internationales et territoriales ».

Le 8 janvier, M. Hollande a déjà préconisé plusieurs thèmes de travail, comme « les nouvelles technologies, les promesses de la biologie, les défis climatiques, les déséquilibres démographiques, les évolutions géostratégiques, les changements culturels ». Ce vaste programme pourrait affaiblir la cohérence du nouveau commissariat qui devrait insister sur la détermination d’une stratégie économique nationale pour la France. Le décret de création du commissariat au plan, en 1946, fixait des objectifs très larges, mais s’inscrivait dans une logique de redressement national, le plan se devait :

  • D’accroître la production de la métropole et des territoires d’outre-mer et leurs échanges avec le monde, en particulier, dans les domaines ou leur position est la plus favorable ;
  • De porter le rendement du travail au niveau de celui des pays où il est le plus élevé ;
  • D’assurer le plein-emploi de la main d’œuvre ;
  • D’élever le niveau de vie de la population et d’améliorer les conditions de l’habitat et de la vie collective.

L’ambition du nouveau commissariat apparait plus limitée, et se pose en réalité à travers ce nouveau commissariat, la place de l’Etat dans l’économie du pays, et de la vision stratégique dont il doit être porteur. Le conflit récent sur la stratégie de la Banque publique d’investissement, opposant Nicolas Dufourcq, et Ségolène Royal sur le rôle de la BPI dans le soutien apporté à Florange et à Petroplus. La BPI n’a pas agi dans ces deux dossiers, conformément aux choix de Nicolas Dufourcq, mais Ségolène Royal et Arnaud Montebourg auraient souhaité que la Banque publique participe à la reprise de ces deux sociétés.

Cette confusion révèle une fracture qui divise les dirigeants politiques sur le rôle de l’Etat. Dans ce contexte, le nouveau commissariat pourra-t-il trouver sa place ? La réussite de ce nouvel outil dépendra aussi de sa relation avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) : le rapport Moreau préconise d'articuler sans les opposer les fonctions des deux institutions. Cette complexité institutionnelle et politique rend déjà difficile la mission de ce commissariat qui devrait soutenir une réelle ambition économique pour la France.

Rémy Berthonneau