Force est de constater que malgré la bonne volonté de la loi Barnier, le principe de précaution tel qu’il est appliqué en France, et au-delà en Europe, est un frein au progrès. Alors que nos genoux s’entrechoquent à la moindre idée de risque, les autres nations du monde reconnaissent cette vérité qui tient du bon sens : risque ne signifie ni folie, ni menace, mais progrès.
Le principe de précaution est apparu dans un sens qui se veut universel lors du Sommet de la Terre organisé par les Nations unies à Rio en 1992. Il est ainsi formulé : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »
Il a été transposé en France par la loi Barnier (1995) et modifié en 2005 par la Charte de l’Environnement qui a ajouté que les autorités publiques sont les seules à pouvoir appliquer ce principe en tentant de lui donner une dimension plus « active » : en cas d’incertitude, les mesures à adopter sont des programmes de recherche pour lever les incertitudes.
Ainsi exprimé, le principe de précaution est une excellente chose. Malheureusement, il est dévoyé par son application systématique et extrême.
La recherche demande du temps et aboutit rarement à des certitudes. Or le principe de précaution est une excellente excuse pour s’abstenir, dans le doute… Entre-temps, l’opinion publique, cible des médias qui savent que la peur est un bon amplificateur des ventes, sera devenue totalement averse au risque présenté. Et le principe de précaution, qui se veut pourtant principe d’action, devient le meilleur vecteur de l’inaction.
Lorsque le principe de précaution sert de protection indirecte pour notre économie, c’est une excellente arme d’intelligence économique. Par exemple, le principe de précaution est un outil merveilleux pour bloquer sur le marché européen l’arrivée de produits d’importation qui ne respectent pas les mêmes règles que celles imposées à nos entreprises. Étant donné que nous n’avons aucune maîtrise sur leur production, il semble parfaitement normal d’appliquer la précaution, n’est-ce pas ? Il y a là une logique qui sert autant à préserver nos intérêts économiques que sanitaires, et tant mieux : dans la guerre économique, tous les moyens sont bons pour remporter des victoires.
En revanche, lorsque le principe de précaution sert à freiner nos avancées –et Dieu sait que le nombre des champs de recherches laissés-pour-compte du simple fait de la peur est élevé– il est fatal. Or la mort du progrès a des conséquences multiples, dont le retard économique n’est pas le moindre.
Ce principe, si pratique à court terme contre nos concurrents, dessert nos intérêts à long-terme. Car il est 100% français, et tandis que nous l’imposons à nos entreprises, leurs compétiteurs, eux, ne s’embarrassent pas de telles questions. Ils innovent.
La prise de risque est la condition de notre liberté
La prise de risque est fondamentale pour évoluer. Elle intervient dès notre plus jeune âge : l’enfant prend des risques pour apprendre. De la douleur de l’échec naît la sagesse. De même qu’un enfant qui se brûle saura qu’une bougie doit être attrapée par son corps et non par sa flamme, une entreprise qui échoue sur un marché saura réadapter sa stratégie.
Finalement, le risque amène l’apprentissage, et l’apprentissage amène le succès. La prise de risque, c’est la condition de notre liberté. L’absence de risque, au contraire, signifie la mort de l’évolution.
Il est une vérité qu’il faut que chacun accepte comme telle : le risque zéro n’existe pas. Il est indéniable que nos sociétés en rêvent, que nous cherchons par absolument tous les moyens possibles à limiter les dangers, et c’est une bonne chose que de lutter contre l’irresponsabilité des chauffards ou la toxicité des cigarettes. Mais on ne pourra jamais tout maîtriser, tout contrôler, ni même tout mesurer. Attendre de savoir mesurer exactement le risque de l’action, et pire, ne plus prendre de risques sous prétexte que ça semble la seule solution pour limiter le danger… Là est le vrai danger pour notre société !
Auriez-vous eu l’avion si quelques têtes brulées n’avaient pas risqué leurs vies au nom d’une conquête qui les dépassait ? Auriez-vous pu imaginer prendre le risque de laisser un chimiste inoculer la rage à ses patients pour vérifier que cela les immuniserait ?
Le principe de précaution, comme toute chose, est nocif si on l’utilise immodérément. Il conduit à des aberrations, notamment sur le plan économique, comme cet artisan « made in France » obligé de mettre la clef sous la porte parce que la résistance de ses jouets en bois ne correspondait pas aux normes générales.
Le principe de précaution s’applique à vous en tant que personne, mais pas seulement. Dans votre entreprise, lorsque vous décidez de prendre un risque pour tenter de faire avancer les choses, vous avez un N+1, un N+2, etc. jusqu’au N+n dont l’aversion au risque s’ajoute à la vôtre.
Or, ce sont eux qui valident la décision. Et plus ils sont élevés dans la hiérarchie, plus ils ont à perdre, et donc plus ils seront averses au risque. C’est une chaîne qui multiplie de façon exponentielle les pièges induits par le principe de précaution. Autrement dit, cumulez aversion au risque, hiérarchie –et la paperasse qui va avec– et vous avez le pouvoir de tuer une civilisation. C’est malheureusement ce qui se passe au quotidien dans notre pays où l’administration est reine.
Plus le principe de précaution s’ancre dans nos mœurs, plus notre aversion au risque grandit. Dans un contexte de « déclin », son inscription dans la Constitution est mortelle.
Principe de précaution : principe de peur
Le ressort du principe de précaution, c’est la peur. Luc Ferry explique avec beaucoup d’humour que « nous avons peur de tout : du sexe, de l’alcool, du tabac, de la vitesse, de la côte de bœuf, des poulets, des délocalisations, de la Turquie, des OGM, de l’effet de serre et de mille choses encore. On pourrait ajouter dix, vingt, trente autres concepts à cette liste, qui augmente chaque année (…). Après tout, Astérix avait peur que le ciel ne lui tombât sur la tête, ce qui n’était pas plus intelligent que d’avoir peur des OGM ».
Selon lui, la vraie nouveauté, c’est que la peur est devenue déculpabilisée. Elle n’est plus une étape mi-lâche, mi-honteuse, à vaincre pour grandir. Elle est socialement acceptée.
L’idéal d’aujourd’hui, ce n’est plus le courage ou la témérité. C’est la volonté de tout contrôler.
On retrouve le mythe de Frankenstein dans notre peur des OGM : l’idée que l’être humain créé une créature néfaste qui échappe à son contrôle. Pourtant la seule victime que les OGM aient faite est un agriculteur qui s’est suicidé à cause de la pression que les faucheurs anti-OGM faisaient peser sur sa plantation !
Ce qui fait peur en soi, ce n’est pas tant la dangerosité de la chose (que ce soit l’agriculture, la finance, les robots ou les médicaments). C’est la perte de contrôle. C’est l’inconnu.
Le corollaire de cela est que nous vivons dans un diktat des orateurs. Alors que notre société mondialisée est bombardée d’informations et de discours, c’est celui qui obtiendra le plus de soutiens publics qui l’emportera… Or pour y parvenir, jouer sur les peurs et les doutes est le meilleur des moyens ! Il est plus aisé de faire admettre à l’opinion publique la nécessité de ne pas bouger, plutôt que prendre un risque pour évoluer.
Ajoutez à cela que les scientifiques sont rarement des experts de la rhétorique, et vous créez une société où règne l’apologie de l’inaction.
Hélas, le principe de précaution institutionnalisé est un concept typiquement français, que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Or quand une société stagne, les autres évoluent, et la laissent derrière… Jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
Pour remédier à cela, nous pouvons méditer la phrase de ce grand et spirituel chef d’Etat… « N’ayez pas peur ! »
Athénaïs Delacour
Pour aller plus loin:
– Ce qui s’est dit sur le principe de précaution lors de la Conférence parlementaire du 13 février 2014
– Le cas du Bisphénol A
– Les stratégies de manipulation de l’information dans le cadre du principe de précaution