Le lundi 10 février était organisée au MEDEF par l’Ecole de Guerre Economique une conférence rétrospective sur l’Intelligence économique en politique dix ans après le Rapport de Monsieur Carayon de 2003.
Diligentée par le Premier Ministre de l’époque, Monsieur Jean-Pierre Raffarin, l’étude avait pour objet de « dresser un état des lieux sur la façon dont notre pays intègre la fonction d’intelligence économique dans son système éducatif et de formation, dans son action publique et au sein du monde des entreprises ». A l’image du Rapport Martre, le Rapport « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale » ou « Rapport Carayon » jette les bases de l’intelligence économique en France aujourd’hui.
Entendue comme un « point d’étape » près de dix ans après la publication de ce fameux rapport, cette conférence était également l’occasion de revenir sur les avancées qui ont eu lieu depuis.
Animé par Bernard Besson, Expert en intelligence économique ayant œuvré plus de six ans aux côtés de Monsieur Alain Juillet, ce colloque avait l’honneur d’accueillir Messieurs Bernard Carayon, Dominique Lamoureux, Président de la commission Intelligence économique au MEDEF et Christian Harbulot, Directeur de l’Ecole de Guerre Economique et Directeur associé du cabinet SpinPartners.
Les échanges « passionnés » de ces trois protagonistes furent un moyen pour Monsieur Carayon d’admettre la naissance presque « hasardeuse » de son rapport puisque ses préférences tendaient initialement vers une étude relative à la coordination des services de renseignement. L’élaboration d’un tel document de référence aura finalement requis l’audition de plus de quatre cents personnes en moins de cinq mois.
En outre, Monsieur Lamoureux a évoqué la place majeure des entreprises puisqu’une démarche d’intelligence économique ne se conçoit pas sans ces dernières, vectrice d’emploi. Accepter l’idée de « 3 enterrements et un mariage » est donc impératif. Afin de mettre en œuvre une telle démarche les entrepreneurs doivent effectivement accepter de se conformer aux contraintes règlementaires en vigueur, se placer dans une démarche de transparence et accepter le nouvel ordre économique mondial dans lequel ils évoluent. A ce triple enterrement succèdera un mariage, celui de l’intelligence collective, fruit de la symbiose entre Etat et entreprises.
Pourtant, le cœur du débat était bien celui de la notion de « politique publique d’intelligence économique » dont la vocation est bien celle de la construction d’un destin. La tribune offerte aux intervenants laissa à chacun la liberté d’exposer ses vues. Si tous se sont accordés sur l’opportunité voire la nécessité d’une réelle démarche de politique publique axée sur l’intelligence économique dans un contexte de globalisation ultra-concurrentielle, plusieurs d’entre eux regrettent encore l’absence d’une véritable culture d’intelligence économique nationale. Ils dénoncent également les blocages dont elle souffre et en particulier la trop grande divergence d’intérêts entre pouvoirs publics et entreprises, ardemment soulignée par Monsieur Harbulot, ou même la position de l’Union européenne (UE) qui s’érige en principal obstacle à une politique nationale. En effet, la politique d’ouverture des frontières initiée par la Commission européenne à travers les articles 34 et 35 du TFUE[1] s’accompagne de l’interdiction formelle des aides directes et autres entraves commerciales, outils de protectionnisme évidents mais pratiqués de manière assez décomplexée par d’autres Etats.
La responsabilité des élus tant locaux que nationaux dans la définition d’une telle politique publique est par conséquent fondamentale. L’auditoire n’a donc pas manqué de louer l’action de Monsieur Carayon en ce domaine. Ce dernier a d’ailleurs habilement rappelé la distinction sémantique entre patriotisme et nationalisme économique par une citation d’un ouvrage de Romain Gary[2] : « Le patriotisme, c’est d’abord l’amour des siens, le nationalisme, c’est d’abord la haine des autres ». Cette différence sémantique est essentielle à la compréhension de la démarche de politique publique d’intelligence économique.
Cette conférence a eu en tout cas le mérite de mettre en valeur le processus d’intégration de l’intelligence économique dans la société civile, l’action publique et la stratégie des entreprises. Nul doute que l’intelligence économique, autrefois l’apanage de spécialistes, se « démocratise » et deviendra prochainement l’enjeu des préoccupations d’un plus grand nombre.
Anais FERRADOU
[1] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est, avec le Traité sur l’Union européenne, l’un deux traités actuels de l’Union européenne.
[2] Pour Sganarelle (1965), Romain Gary, éd. Gallimard, 1965, p. 371. Charles de Gaulle rappelait également que « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. »