De la Françafrique au Livre Blanc, la France et l’énergie en Afrique

Les potentialités énergétiques de l’Afrique sont enthousiasmantes. Pour le seul pétrole, encore source majeure d’énergie dans le monde, l’Afrique détient près de 10% des réserves de la planète. Et c’est la seule région ouverte aux investissements dont la production augmentera à l’avenir. Comment évolue la position de la France sur cette thématique ?

La production africaine de pétrole est équivalente à celles additionnées de l’Iran, du Venezuela et du Mexique, et 41% sont destinés à l’Europe. L’Afrique est propice aux investissements, et prend une importance grandissante dans les stratégies des « majors« , cette demi-douzaine de compagnies pétrolières mondialisées surpuissantes dont Total fait partie. Depuis la décolonisation, la France garde des liens privilégiés avec nombre d’Etats africains et y applique une stratégie bien précise en ce qui concerne ses intérêts énergétiques.

L’approche française se base sur deux principes fondamentaux :

– L’indépendance, par la création et le maintien d’une « chasse gardée »

– La diversification des sources d’approvisionnement, à la fois en Afrique et dans le reste du monde. La France ne veut pas dépendre d’un seul fournisseur. Cet objectif est partagé par nombre de nos concurrents, les Etats-Unis en première place, qui ne veulent pas dépendre de pays avec qui les relations peuvent rapidement devenir tendues selon le contexte géopolitique (Etats-Unis et Vénézuela, Moyen-Orient…).

Le contexte : une sécurité énergétique relative

Le mix énergétique français est composé d’électricité (à 75% issue du nucléaire), de pétrole (un tiers de la consommation française en énergie) et de gaz naturel. L’Afrique fournit près d’un tiers du pétrole consommé en France (face à l’Europe de l’Est 36%, le Moyen-Orient 1/5 et la Mer du Nord 14%), et 30% de l’uranium utilisé dans nos centrales. Enfin, la France compte l’Algérie en quatrième position de ses fournisseurs de gaz naturel, grâce à un contrat sur le long-terme, et le Nigéria ponctuellement.

Partant des deux lignes directrices de sa stratégie (indépendance et diversification des sources), la France n’a pas hésité dès les débuts de la Guerre Froide à adopter une politique interventionniste, en totale opposition avec la doctrine officielle de l’allié américain. En effet, l’Etat français a tissé des liens privilégiés avec certains pays africains producteurs de pétrole.

A la suite des décolonisations dans les années 1960, le général de Gaulle choisit de sécuriser les approvisionnements de la France en s’assurant un pré carré contraire à la doctrine américaine qui prône un libre marché des matières premières. Pour cela, De Gaulle créé le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) et met en place un réseau diplomatique et économique fort en Afrique, via Jacques Foccart et la Françafrique. La France tisse notamment des liens avec le Gabon, le Congo-Brazzaville et le Cameroun, pays francophones du très stratégique Golfe de Guinée.

L’approche initiale de la stratégie énergétique française en Afrique : Elf (Total) et Areva

Elf, compagnie pétrolière nationale, a été spécialement active dans le Golfe de Guinée dès ses débuts en 1966. Elle est alors directement liée à la diplomatie française. Cependant, avec la montée en puissance du libéralisme américain, Elf est privatisée en 1994 et fusionne avec Total en 1999. Le groupe recentre alors ses activités sur une perspective essentiellement commerciale et perd son rôle de bras diplomatique. Elle se détache de pays francophones, tels que le Gabon et le Congo, pour s’implanter au Nigéria et en Angola, anciennement britannique et portugais, car ce sont alors les deux plus gros producteurs africains et les opportunités et la compétition y sont les plus importantes.

Areva, autre groupe énergétique français d’importance, est présent au Niger depuis 1958 dans la même logique de liens privilégiés que pour le pétrole. Les approvisionnements en uranium sont hautement stratégiques pour la France qui possède des capacités nucléaires civiles mais aussi militaires. Or, les pays producteurs sont peu nombreux et moins encore à autoriser une utilisation libre de leur uranium – pas uniquement civile. Le Niger est le seul dans ce cas en Afrique.

Cependant, les privilèges diplomatiques et économiques que la France tirait de la Françafrique sont révolus. Dès le début des années 1990, la fin de la Guerre Froide a changé les règles du jeu. La libéralisation s’est accélérée avec la victoire du modèle américain, ce qui a accru la concurrence entre les compagnies pétrolières. C’est dans ces années que des fusions de grande ampleur s’effectuent avec Exxon et Mobil, BP, Amoco et Arco, Chevron et Texaco ou encore Total, Petrofina et Elf… et que les majors apparaissent.

Les nouvelles perspectives stratégiques de la France en Afrique

La France a dû repenser sa stratégie d’influence au niveau global en raison de la présence grandissante d’acteurs nouveaux en Afrique : la Chine avant tout, avec 50 milliards de dollars US investis au Nigéria en 2008 et 12 milliards en République Démocratique du Congo, mais aussi les Etats-Unis qui ont annoncé vouloir accroître la part de pétrole en provenance d’Afrique dans leurs importations à 25%, et les majors concurrentes.

La France s’attache à présent à renforcer son influence en Afrique via des aides au développement, des investissements directs à l’étranger, son soft power (éducation, promotion du français langue étrangère)… Cela doit faciliter l’accès des entreprises françaises aux marchés africains, y compris dans les pays non-francophones auxquels l’Etat français ne s’adressait pas précédemment.

En outre, afin de sécuriser ses approvisionnements, la France met en place des mesures de protection des axes de transport avec la répression de la piraterie dans le Golfe de Guinée, les investissements dans les ports au Sénégal, au Bénin, en Côte-d’Ivoire, au Cameroun… La présence militaire française et les accords bilatéraux jouent un rôle important dans la sécurisation de la région, comme l’ont montré les derniers évènements (crise au Sahel et interventions françaises dans la région).

Comme annoncé dans le Livre Blanc de la Défense (2008), la priorité est donnée à un repositionnement de notre hard power et à une approche concertée au niveau européen. En effet, si nous souhaitons créer des liens avec ces pays, il faut démontrer notre puissance économique et proposer des aides concrètes, ce dont nos concurrents ne se privent pas. Or la France manque des moyens de son ambition ; l’Union Européenne, en revanche, peut se doter d’arguments économiques et d’une politique d’influence conquérante. D’autant plus que renforcer ses liens avec l’Afrique comporte non seulement des enjeux économiques, mais aussi sécuritaires.

Cependant, en ce qui concerne les problématiques énergétiques, l’Union est divisée. Par exemple, l’Allemagne a unilatéralement choisi d’abandonner le nucléaire pour dépendre des importations de gaz russe.

Les intérêts des pays européens divergent. La France est de plus en plus isolée vis-à-vis de l’Afrique.

Pourtant, les résultats de la stratégie française sont appréciables, et apportent à nos entreprises – notamment Total et Areva – une position privilégiée sur ce territoire extrêmement prometteur. Le continent a les meilleures perspectives d’extraction pétrolière d’ici 2030, un sol riche, des taux de croissance à plus de 6%… Les raisons d’adopter une stratégie d’influence en Afrique au niveau européen ne manquent pas et dépassent de loin nos seuls intérêts énergétiques.

Athénaïs DELACOUR

Pour continuer sur le sujet:

« Tchad, le pétrole et la tourmente« 

« La diplomatie de l’éthanol à l’oeuvre en Afrique« 

« La vrai compétitivité du nucléaire« 

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