Fessenheim : entre risque et économie

L’Allemagne a choisi de sortir immédiatement du nucléaire, la Belgique d’en sortir progressivement, le Royaume-Uni de passer aux centrales de nouvelle génération tandis que les Etats-Unis prolongent la durée de vie des leurs. Au moment où les pays occidentaux s’engagent pour l’avenir de leur mix énergétique, la France semble également s’engager dans cette voie.

Le président de la République avait promis, le 14 septembre 2012, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Dans ce contexte, le projet de Loi en cours, relatif à la « transition énergétique pour la croissance verte » prévoit une réduction de la part du nucléaire de 78% à 50% dans le mix énergétique français d’ici 2025. Vingt centrales devraient alors être progressivement fermées. Aujourd’hui, Fessenheim concentre le débat autour des risques liés à la sécurité des installations nucléaire pour les populations qui paraît s’opposer à l’importance des enjeux économique représentés par le nucléaire français pour la compétitivité économique du pays.

Fessenheim, une vétusté dangereuse ?

Depuis l’accident de Fukushima en 2011, les risques nucléaires sont un point de cristallisation de l’opinion publique et de nombreuses associations comme Greenpeace ou sortir du nucléaire insistent sur les risques. Avec ses 37 ans, Fessenheim est la centrale nucléaire la plus vieille du parc français, ce qui la fait approcher de sa fin d’exploitation programmée, lors de sa conception, 40 ans.

En effet les incidents ont été nombreux ces dernières années. Ils sont classés sur l’échelle de gravité de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) entre 0 et 7, 7 ayant été atteint lors des accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Ainsi en 2011 Fessenheim a connu 24 incidents de niveau 0 et 4 de niveau 1, en 2013, 48 de niveau 0 et 2 de niveau 1.

Les ONG anti-nucléaire critiquaient une conception de la centrale incompatible avec les normes actuelles. La centrale est située en contrebas du grand canal d’Alsace et donc inondable. Elle est localisée sur une zone sismique moyenne, et l’enceinte de protection du réacteur était trop fine, ce qui fait qu’elle ne résisterait pas en cas de fusion.

Ces reproches découlaient principalement du rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), après les évaluations complémentaires de sécurité (ECS) post Fukushima. L’ASN a alors, dans son rapport de visite décennale, préconisé la réalisation d’études et de travaux sur la centrale de Fessenheim afin d’autoriser EDF à y poursuivre son activité.

EDF a alors mis en place après les ECS de 2012 un « grand carénage » de ses installations nucléaires. Ce chantier vise à réinvestir après la baisse des investissements dans ces installations de la fin des années 1990. A Fessenheim, le grand canal d’Alsace a été renforcé, des mesures de sécurité en cas d’inondation ont été prises, la structure de l’enceinte du réacteur a été épaissie et s’est vue adjoindre une sécurité supplémentaire provenant de l’EPR.

Selon EDF, 55 milliards d’euros seront investis jusqu’en 2025 pour la rénovation et l’amélioration de la sécurité, c’est à dire environ un milliard par centrale. Toutefois, dans son rapport de 2012, la Cour des comptes suppose que cet investissement vise à prolonger la durée d’exploitation de ces centrales jusqu’à au moins 2033. 2025 étant trop proche pour pouvoir amortir ces travaux, elle prévoit que presque 110 milliards d’euros seraient investis sur la période.

Des rénovations sont faites, mais avec quelques difficultés. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) note que les arrêts pendant lesquels les travaux sont effectués, ont duré en moyenne 26 jours de plus que prévu. Cela implique une mauvaise gestion du temps et une mauvaise surveillance de la qualité des travaux puisque ces retards sont souvent causés par le besoin de refaire le travail, mal effectué par les sous-traitants. M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN l’a souligné lors de son audition par des parlementaires le 13 février 2013.

Toutefois l’ASN et la commission parlementaire ayant produit le rapport du 5 juin 2014 font acte de la réorganisation en cours d’EDF qui doit faire face au départ en retraite de beaucoup de salariés qualifiés et salue l’effort de recrutement et de formation de l’énergéticien.

La sécurité dans le nucléaire civil pose le problème de la politique choisie. C’est ce que met en évidence le rapport WISE-PARIS de 2014 pour Greenpeace, rapport reconnu par l’ASN et EDF comme valable, avec quelques réserves. Ce rapport distingue deux visions possibles pour les centrales après 40 ans, compenser le vieillissement par des travaux de sécurité ou laisser le vieillissement faire chuter les critères de sûreté. Dans le cas de la mise à niveau des centrales, trois scénarios sont possibles : une sécurité dégradée, qui couterait 350 millions d’euros par centrale avec une marge de 150 millions, une sécurité préservée avec 1,4 milliard d’euros investis par centrale avec une marge de 600 millions et enfin une sécurité renforcée, de type EPR, avec 4 à 5 milliards d’euros investis par centrale. Fessenheim n’est donc pas un cas isolé dans le parc nucléaire Français.

La question de la sécurité est dépendante des choix économiques et politiques

Les investissements de sécurité sur la centrale de Fessenheim ont été lourds, 300 millions selon EDF, surtout dans l’hypothèse où la Loi nouvelle permettrait la fermeture en 2016. Ainsi les parlementaires Marc Goua et Hervé Mariton, dans leur rapport rendu le 30 septembre 2014 estiment qu’avec ces investissements, la centrale de Fessenheim tout comme les autres centrales françaises pourraient continuer leur activité jusqu’à 60 ans, si elles respectent les critères de sécurité de l’ASN.

Or les centrales nucléaires des Etats-Unis, qui sont les modèles sur lesquels nos centrales ont été basées, ont obtenu leur prolongation à 60 ans de durée de vie. Ce scénario semble donc possible.

Prolonger la durée de vie permet de profiter plus longtemps de l’amortissement des centrales anciennes et donc de dégager des bénéfices permettant d’investir. Ainsi, les centrales de type EPR dont le prototype n’est toujours pas fonctionnel et a coûté pour le moment 8,5 milliards d’euros nécessitent beaucoup de fonds, de même que la recherche sur les centrales de 4eme génération qui est nécessaire pour le futur de l’industrie. La charge de ces investissements risquant alors de se répercuter sur le coût final de l’énergie.

Ce coût de l’énergie, est fondamental dans le contexte d’énergies renouvelables chères. Un Mwh est entre 70 et 100 euros pour les centrales thermiques (charbon, gaz), 85 euros pour l’éolien et encore plus pour l’éolien offshore. Dans le cas du nucléaire : «  Nous garantissons dans la durée un coût de production de 55 euros valeur 2011, en euros constants, par mégawattheure, avec la réalisation du programme de grand carénage et une durée de fonctionnement de cinquante ans » déclarait Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, devant la commission parlementaire de juin 2014.

Les affirmations de M. Proglio sont toutefois à mesurer à l’aune des futurs choix politique français et de l’augmentation fulgurante du coût courant économique, c’est a dire le coût « tout compris », de 21% en trois ans selon le rapport de la Cour des comptes de 2014. Même si « le résultat du calcul est cependant très sensible au taux d’indisponibilité des réacteurs pour maintenance »

Prolonger les centrales actuelles implique de plus d’éviter des indemnités dues à EDF pour perte de chance d’exploitation, en cas de fermeture anticipée. La jurisprudence française et européenne rend très probable une indemnisation qui, par centrale, pourrait aller de 650 millions d’euros pour l’estimation la plus basse, 4 ans de perte d’exploitation reconnue avec une indemnisation faible, et, pour la plus haute, 7 milliards d’euros pour 24 ans de perte d’exploitation reconnue avec une indemnisation forte. Comme il est souligné dans le rapport parlementaire du 30 septembre 2014. Se rajouterait à cette indemnité une perte fiscale pour les collectivités locales ainsi qu’un une perte de 2000 emplois directs et impacterait 5000 autres personnes selon une étude de l’INSEE.

Les considérations quand à la décision de prolonger ou non les centrales nucléaires existantes, et en premier Fessenheim, impliquent un arbitrage du pouvoir politique. En effet, les énergéticiens ne peuvent mettre en place de stratégie efficace à long terme sans savoir si la Loi, qui prévoit la fermeture d’une vingtaine de centrales nucléaire, au titre de la transition énergétique et de la baisse prévue des consommations d’énergie, passera. Ou si la conjecture économique évoluera vers une augmentation de la consommation permettant le maintien des centrales nucléaires existantes. Car comme le note Pierre Bornard, vice-président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) dans le rapport sur le coût du nucléaire du 5 juin 2014 : « Pour RTE, donc, le mix énergétique de demain relève de la décision politique. Quoi que l’on décide, nous saurons le faire techniquement ». Mais « il y a néanmoins des précautions à prendre. Le choix d’un mix énergétique donné emporte des conditions précises […]. La seule cause d’échec, c’est le déni de réalité : il faut absolument envisager et traiter l’ensemble des conséquences de tel ou tel choix ».

Alexis Peigné