Galileo: entre nécessité économique et impératif stratégique

Chine, Russie, Inde, Japon… En ce début de XXIème siècle les programmes spatiaux se multiplient, présage d’une nouvelle forme de « course aux étoiles » : l’espace confirme ainsi sa vocation stratégique, tant d’un point de vue économique que militaire. Face aux défis qui s’annoncent dans les années à venir, l’Europe se doit de garantir sa souveraineté politique, économique et militaire en commençant par mener à bien le projet Galileo.

Fruit de travaux menés par le Département de la défense américain dès la fin des années 1970, le GPS (Global Positioning System) a été initialement développé comme un outil militaire. Cependant, les années 1990 vont voir se développer un usage civil de cette technologie à tel point qu’en 2001 seulement 2% des usages concerneront le domaine militaire.

Constatant la dépendance de l’Europe à la solution américaine, l’Union européenne décide en 2001 de lancer Galileo, programme européen de géo-positionnement par satellite, afin de renforcer l’indépendance spatiale européenne. Cette dernière doit se manifester sous la forme de cinq services distincts de nature civils : service ouvert, service commercial, service sauvegarde de la vie, service public réglementé, service recherche et sauvetage. Pourtant, en 2014, Galileo accuse de nombreux surcoûts et retards.

Malgré la multiplication de la concurrence dans le domaine spatial, et les errements qui ont caractérisés la gouvernance et le pilotage du projet, il n’en demeure pas moins que ce dernier est primordial pour garantir une liberté d’action optimale des européens. Du fait de ses implications économique et militaire, Galileo est un des enjeux majeurs pour préserver la souveraineté du vieux continent.

Une concurrence internationale croissante dans le secteur spatial

A l’heure actuelle, il n’existe que deux systèmes de navigation satellite fonctionnels sur l’ensemble de la planète : le GPS développé par les américains, et le système GLONASS russe. Si le GPS américain est actif depuis les années 1990, le GLONASS Russe n’est pleinement opérationnel pour un usage civil que depuis 2011. L’agence Roscosmos continue d’ailleurs de recevoir des fonds publics significatifs pour améliorer l’efficacité de son dispositif.

En dehors de ces deux solutions, et du projet Galileo, la Chine s’affirme également comme un futur acteur de premier plan dans le domaine spatial. Celle-ci a en effet décidé d’étendre son système régional de navigation par satellite « Beidou » pour en faire un système à vocation mondiale. Ce projet Compass, ou Beidou 2, devrait être pleinement fonctionnel d’ici 2020.

Enfin, des pays développent des systèmes à vocation régionale de façon à garantir leur indépendance : c’est le cas du Japon avec le Quazi-Zenith Satellite System (QZSS) – même si celui-ci s’articulera directement avec le GPS – et de l’Inde avec l’Indian Regional Navigation Satellite System (IRNSS). Ces deux systèmes devraient être effectifs dans la décennie.

La multiplication des programmes de systèmes de navigation par satellite indique le rôle structurant qu’aura cette technologie au XXIème siècle.

Les errements de Galileo, le « GPS européen »

L’échec le 22 août dernier du lancement des deux satellites du programme Galileo est venu relancer les interrogations autour de ce programme spatial européen dont les retards et surcoûts financiers ne cessent de s’accumuler.

Des financements complexes, sous forme de partenariats publics-privés, et un pilotage tricéphale entre l’European Space Agency  (ESA), l’Union Européenne et les Etats-membres, ont entrainé de nombreuses luttes de pouvoir et disfonctionnements organisationnels conduisant à ce retard de cinq ans sur le calendrier initial. En actant un financement uniquement public et un pilotage par la Commission européenne, Galileo a été rationnalisé en 2007 en devenant un programme purement européen. A ce titre, Galileo appartiendra à l’Union Européenne ce qui devrait permettre d’éviter les conflits inter-étatiques.

Initialement prévu pour disposer d’un avantage concurrentiel sur le GPS américain, Galileo a cependant perdu cette avance du fait de ses retards.  Initialement, des innovations technologiques liées à l’horloge atomique devaient permettre une rapidité et une précision accrue des satellites. Or, l’apparition de systèmes de seconde génération tels que GLONASS ou Compass et la mise à jour du GPS « GPS block III » vont relativiser l’avancée technologique de Galileo.

À  terme, le programme Galileo prévoit l’envoi de trente satellites dans l’espace, dont vingt-sept seront essentiels, ce qui relativise l’échec du dernier lancement. Au-delà de la fabrication des satellites et de leur envoi, il est également question de construire entre trente et quarante stations de capteurs,  cinq stations de télémesure, poursuite et commandement et enfin trois centres de contrôles. En vertu du droit communautaire, la phase de mise en œuvre du programme a été séparée en six lots répartis entre plusieurs acteurs de la filière spatiale européenne : Arianespace, Thales, AleniaSpace, OHB-System, SSTL…

Un enjeu stratégique pour l’Europe

La poursuite et l’achèvement du programme Galileo sont une nécessité stratégique pour les Etats européens tant d’un point de vue économique que militaire.

Sur le plan économique tout d’abord, la navigation par satellite est directement liée à 7% du PIB européen. En d’autres termes, 7% de l’économie européenne est dépendante d’un système sur lequel les autorités publiques n’ont aucun contrôle. Galileo garantira donc l’indépendance des Européens pour des services essentiels tels que la gestion des transports (routiers, maritimes, aériens), la protection civile, la téléphonie mobile, smart grids… Le déploiement de la constellation Galileo est également un moyen de maintenir un effort de R&D sur un secteur de pointe, dont les retombées sont importantes : 90 milliards d’euros de retombées pour l’économie européenne durant les vingt premières années d’exploitation, 20 000 emplois dont 1000 pour la gestion directe du système, et enfin des retombées indirectes susceptibles d’améliorer le bien-être des citoyens européens.

Bien que le programme ait été présenté comme ayant une vocation civile, le système de navigation par satellite est une technologie par nature duale et sera donc susceptible d’être utilisé dans un cadre militaire. Le regain de tension actuel sur les frontières Est de l’Europe, ainsi que les récents scandales d’espionnage démontrent tout l’intérêt pour les pays européens d’avoir leurs propres systèmes sécurisés pour garantir leur indépendance militaire.

Face à ses futurs concurrents chinois, russes et américains, l’Europe possède un argument différenciant dans la commercialisation de Galileo : son image. Stabilité politique, système juridique efficient, relative neutralité militaire, espace de paix… Autant d’atouts propres à l’Europe susceptibles de renforcer la puissance économique du continent et donc à terme sa capacité d’influence dans ce monde en devenir.

Hugo Lambert