« Il faut une diplomatie économique en faveur des PME », Rencontre avec Hervé Séveno, Président d’i2F

A l’occasion de la sortie de son livre « Le diplomate et le marchand », un plaidoyer pour une diplomatie économique plus rationnelle en faveur des PME, nous avons rencontré Hervé Séveno, Président du Cabinet de conseil en stratégie i2F.

Bonjour Hervé Séveno, pourriez-vous nous rappeler en quelques mots votre parcours professionnel et nous détailler les raisons qui vous ont poussé à fonder votre cabinet, i2F?

Après des études de droit, j’ai entrepris une carrière au service de l’Etat, à la Division Nationale Anti-Terroriste (DNAT) puis à la Brigade Financière jusqu’en décembre 1999. En tant que juriste et passionné de géopolitique, j’ai retiré de ces années un immense enrichissement professionnel au plan international.

Parallèlement, j’ai toujours été tenté par l’aventure entrepreneuriale. J’ai donc choisi de quitter la fonction publique non pas pour intégrer un grand groupe comme le font nombre d’anciens fonctionnaires, mais pour fonder, en janvier 2000, mon propre cabinet, i2F. Nos prestations s’articulent autour de quatre axes : la due diligence et la compliance, l’accompagnement stratégique et l’aide à la décision, les affaires publiques, le lobbying et la stratégie d’image, et enfin la lutte contre la fraude, la corruption et les escroqueries. Nous sommes spécialisés en intelligence économique. La totalité de notre production est juridiquement opposable et a vocation à être exploitée de manière formelle par nos clients qui sont des entreprises cotées au CAC et au SRD.

A sa création en 2000, i2F proposait des prestations de prévention du risque pénal aux dirigeants d’entreprises et aux mandataires sociaux. A travers mes fonctions antérieures à la brigade financière, j’ai relevé que le défaut d’appréhension des arcanes de la procédure judiciaire et de ses acteurs conduit souvent les mandataires sociaux et dirigeants d’entreprise à se trouver déstabilisés, désemparés, commettant ainsi des erreurs de comportement qui hypothèquent la stratégie de fond qu’ils ont mise en place avec leurs avocats. Comme beaucoup d’autres secteurs, le droit pénal des affaires est un milieu fermé qui obéit à une culture et à des codes spécifiques, indépendamment de l’application du code pénal et du code de procédure pénale.

Je me suis donc attelé à mettre en place des dispositifs de prévention du risque pénal au sein des entreprises : validation de la chaîne de décision et des délégations, examen et réforme des processus et schémas de responsabilité etc…

Nous nous sommes concentrés sur cette activité jusqu’en 2003 et, progressivement, nos clients ont sollicité un accompagnement pour leurs projets internationaux : validation des contacts, des partenaires, analyse du risque politique au sein des pays cibles sous divers angles, cartographies et accompagnement stratégique. Après deux opérations de croissance externe, mon cabinet s’est donc orienté vers le conseil en stratégie et l’intelligence économique.

Dans ce cadre, votre démarche participe de l’intelligence économique. Mais malgré l’expansion de la discipline, beaucoup l’assimilent toujours au renseignement, à l’espionnage. Que leur répondez-vous ?

La discipline intelligence économique est régulièrement confrontée à tort à cet amalgame. Je regrette que cette confusion ridicule entre l’espionnage et l’IE perdure, à mon sens pour deux raisons majeures :

La première est d’ordre culturel. Bien qu’elle soit solidement ancrée chez nos amis anglo-saxons, la culture de l’information stratégique et de l’anticipation est absente des processus de décision en France : la formule célèbre d’Emile de Girardin « gouverner c’est prévoir » devrait s’imposer à tout chef d’entreprise avec cette variante : « diriger, c’est savoir et anticiper ». Cette carence est conséquente, beaucoup d’entreprises françaises sont vulnérables face aux nouvelles technologies de communication, aux réseaux sociaux dans un contexte ultra-mondialisé : les mafias, les escrocs et aigrefins de tout poil eux, se sont adaptés. Bon nombre de dirigeants d’entreprise français continuent à faire confiance au bon vieux « bouche à oreille », à une information obtenue de manière aléatoire et artisanale par un réseau de copains et de coquins ou quelques collaborateurs zélés. Ils ont le sentiment que l’information stratégique à forte valeur ajoutée, juridiquement opposable, est du temps et de l’argent perdus : ce comportement qui fait la part belle aux rumeurs et aux manipulations expose la réputation et la compétitivité d’un grand nombre d’entreprises, il est préjudiciable aux actionnaires, aux dirigeants, aux salariés et parfois même aux clients.

La deuxième raison est liée à un défaut de visibilité des acteurs de l’intelligence économique : ce secteur souffre d’un manque de reconnaissance évident en France. La recherche du sensationnel et les amalgames inappropriés répandus par quelques medias ne font qu’ajouter à cette opacité : des sujets qui doivent être abordés comme des sujets de droit commun sont traités et marqués à tort du sceau « intelligence économique », ce qui mène à diaboliser cette discipline pourtant cruciale pour la compétitivité des entreprises, en amont et en aval de toute stratégie.

Pourtant, s’il est besoin de le préciser, la différence avec les techniques dites d’espionnage est fondamentale : lorsque « l’espion » emploie des moyens illégaux, les professionnels en intelligence économique s’appuient sur une méthodologie conforme à la loi.

Vous parlez à juste titre d’un manque de visibilité. Peut-être existe-t-il aussi un manque de transparence de la part des acteurs l’intelligence économique ?

Certes, visibilité ne va pas sans transparence !

Une Fédération Professionnelle (FéPIE) et un Syndicat Professionnel  de l’Intelligence Economique (SynFIE) témoignent d’une volonté de transparence.

A i2F, nous disposons également d’une Charte Ethique que nous respectons à la lettre.

J’ai été membre fondateur de la FéPIE, sous l’impulsion du HRIE Alain Juillet. Président de la FéPIE à la suite de Jean-Bernard Pinatel, j’ai alors proposé aux administrateurs de la FéPIE et aux adhérents de transformer cette association loi 1901 parmi d’autres en un véritable syndicat professionnel, plus représentatif, ils ont approuvé cette mutation.

D’autres associations d’IE coexistent en France, mais le SynFIE est le seul syndicat du secteur, à stricte représentation professionnelle, conforme à la loi Waldeck Rousseau.

Pour autant, je vous accorde que le silence du SynFIE est parfois assourdissant, par exemple sur la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires déposée par l’ancien député Bernard Carayon, texte laissé en jachère. Pourtant, les textes existants ne suffisent pas à protéger le nécessaire secret des affaires dans le contexte concurrentiel  que les entreprises françaises connaissent. La stratégie de l’entreprise, ses sous-traitants, ses clients sont des données stratégiques essentielles qui ne sont pas protégées. C’est le rôle d’un syndicat professionnel en IE de prendre position sur ce type de sujet.

Le SynFIE devrait également permettre le développement de synergies entre les différents acteurs et spécificités du secteur de l’IE : en Grande-Bretagne, il existe des structures dédiées à une conception pro bono de l’IE, en relation avec les pouvoirs publics.

Enfin, le SynFIE devrait être beaucoup plus présent en matière de communication et d’évènementiel. Je me souviens du temps et de l’énergie que je mettais aux relations avec la presse : on ne peut pas reprocher aux médias d’avoir une approche erronée de l’IE si les représentants du secteur ne les sollicitent pas. 

Prenons votre ouvrage, « Le diplomate et le marchand » disponible chez Voronwe. Pourquoi avez vous décidé de prendre la plume ?

 « Le diplomate et le marchand » se situe au carrefour de mon métier et de mon engagement politique. Le thème est d’actualité : le manque de soutien des PME, notamment à l’international. Pour y remédier, il faut des mesures concrètes et un véritable courage politique.

Vous évoquez dans votre livre l’idée de développer un French power pour faire face à nos lacunes. Pourriez-vous revenir sur cette notion ?

Il s’agit tout simplement du « soft power » à la française. La France a une image culturelle forte qui permet de développer notre compétitivité à l’étranger. Cette dimension est insuffisamment exploitée, pardonnez l’euphémisme.

Nous vous remercions, Hervé Séveno, d’avoir accordé votre Interview au Portail de l’IE.

C’est un plaisir. Je soutiens sans réserve le Portail de l’IE, une initiative qui apporte de la visibilité au secteur de l’intelligence économique. Le référencement est bon, les articles sont variés, de qualité, et on y découvre la réalité de la discipline « intelligence économique ». 

Anais FERRADOU & Mathieu PIEROTTI

i2F, Conseil en stratégie opérationnelle et management du risque, www.i2f.fr