La construction navale : enjeux de puissance en Asie orientale

La Corée du Sud fait partie des nations leader mondiale de l’économie maritime. Elle a su se spécialiser dans le domaine de la construction maritime depuis une vingtaine d’années. Cela explique l’investissement des « chaebols » comme Samsung ou Hyundai dans un secteur qui est sujet à une concurrence de plus en plus rude avec les autres pays de l’Asie de l’Est.

Un pan industriel coréen qui s’est imposé comme leader mondial

La géographie de la péninsule coréenne lui impose une nécessaire ouverture sur la mer. Ne disposant que de peu de ressources naturelles, le commerce extérieur relève d’une importance vitale. Le secteur naval, et en particulier la construction navale, est un des piliers de cette économie. Ce territoire se positionne sur tous les pans de l’activité maritime : ports, transport et construction. La quatrième économie d’Asie est devenue le leader mondial de la construction de navire en 1998 du fait de prix bradés par rapport à l’augmentation du carnet de commandes. Elle possède cinq des principaux constructeurs dont le leader mondial : Hyundai Heavy Industries. A titre d’exemple, Daewoo a construit le porte conteneur Jules Verne de la CMA-CGM, armateur français, inauguré en grande pompe à Marseille par le président François Hollande en juin 2013. Les treize constructeurs coréens se concentrent tous au sud du pays, au plus proche de l’activité maritime.

Le rapport de l’année 2014 de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement montre que 93% des navires sont construits par la Chine, la Corée du Sud et le Japon. La Chine construit essentiellement des navires de transport de vrac, la Corée réalisant essentiellement des navires à plus forte valeur technologique ajoutée comme des portes conteneurs géants, des tankers, ainsi que des navires offshore : navires de forage, plateformes.

Prenant son essor dans les années 80 et 90, la Corée a rattrapé son retard sur son voisin nippon, en atteignant son niveau de livraison. A partir de 2006, suite à l’augmentation des commandes mondiales, les chantiers coréens dépassent les japonais. Mais c’est aussi à partir de ce moment là que l’on a vu le développement des chantiers navals chinois. L’accroissement des commandes à pousser les armateurs à rechercher les chantiers les plus compétitifs.

Une concurrence exacerbée dans un secteur en mutation

C’est dans ce contexte qu’est mise à mal cette domination sectorielle. De nouveaux acteurs sont apparus et rivalisent de plus en plus la primauté coréenne. Face à une concurrence régionale, la Corée du Sud se place face au Japon et plus récemment face à la Chine. Les conséquences de la crise de 2008 dans le secteur maritime ont particulièrement touché ce secteur hyper-mondialisé et changé la position des acteurs. Le leader mondial, Hyundai Heavy Industries, a connu une perte record de profit entre janvier et juin 2013. Le renvoi de 81 de ses 260 dirigeants en octobre 2014 a constitué un geste fort et est une illustration du malaise de l’entreprise. Entre janvier et septembre 2014, les constructeurs chinois ont remporté 45% des commandes mondiales en volume contre 20,7% pour les Coréens, selon l’agence londonienne Clarkson. Cependant, les pouvoirs coréens ont multipliés les plans d’aide en soutien au secteur alors en crise.

La Chine a du développer des chantiers navals afin de soutenir son commerce international et notamment l’exportation du « made in China ».Les Coréens ont subi les contrecoups des annulations de navires, alors que l’activité chinoise a pu profiter d’un faible coût de production.

Le Japon a su également tirer son épingle du jeu. Par une politique monétaire de baisse du yen fin 2012, les chantiers nippons ont vu leurs commandes bondir de 75,9 % en 2013. Face à un won très fort, ils ont réussi à capter des commandes, en délocalisant également la construction vers des pays asiatiques encore moins cher que la Chine, comme les Philippines.

Ainsi, la réorientation des chantiers navals coréens passent par la construction de bâtiments à hautes valeurs ajoutées. Les coréens gardent une longueur d’avance sur ces segments: les méthaniers, ou encore les plateformes de forage en haute mer dont la demande ne cesse d’augmenter. Ces types de navires nécessitent un savoir faire technologique qui permettent aux chantiers coréens de décrocher de lucratifs contrats. A contrario, l’interventionnisme étatique chinois en matière de commerce extérieure a poussé à une multiplication très rapide des chantiers navals. Les constructeurs de petite et moyenne taille risquent la disparition à long terme dans un contexte maritime de surcapacité et de forte baisse des ordres d’achat. Cependant, l’environnement mondial dégradé joue contre la Corée. Avec un ralentissement économique global, une monnaie, le won, qui reste très élevé par rapport à son concurrent chinois, le secteur naval du pays au matin calme doit se réorganiser.

Face à la Chine, la réorientation des chantiers coréens se porte vers la construction de bâtiments à hautes valeurs. Une embellie apparait pour les chantiers coréens qui ont pris conscience de cette nécessité. Dernier exemple en date : la livraison du plus grand porte conteneur du monde le 20 novembre. Cependant, par une spécialisation sur certains types de construction navale, la Corée pourrait alors constituer une menace pour les parts de marché européennes qui étaient jusqu’alors préservées. Ainsi la crise de 2008 a fait apparaître une nouvelle répartition des acteurs les plus puissants, les entreprises, mais surtout les pays.

Julien Randoin