La domination du secteur bancaire suédois dans les pays baltes

La caractéristique principale du secteur bancaire des pays baltes est qu’il est majoritairement détenu par des fonds et des acteurs étrangers. La Suède en est un acteur majeur ce qui lui permet d’être influente dans une zone qu’elle a toujours considéré sienne.

Le secteur bancaire balte sous pavillon suédois

Avec la Swedbank et la SEB (Skandinaviska Enskilda Banken), la Suède compte les deux banques les plus puissantes de la Baltique (la banque Nordea, autre acteur majeur de cette région n’est plus suédoise mais son siège reste à Stockholm).

Selon les estimations, faites en 2010, de Stefan Ingves, gouverneur de la Sveriges Riskbank (banque centrale du royaume de Suède, plus ancienne banque centrale du monde), « Swedbank et SEB, à travers leurs filiales et leurs branches locales dominent les marchés dans la Baltique et couvrent 80% du marché estonien, 55% du marché lituanien et 60% du marché letton. » Ces tendances continuent comme le soulignent les statistiques de la SEB et de la Swedbank.

Quelques chiffres permettent d’appréhender ce que représente la part du marché balte pour une banque comme la Swedbank: 4,1 millions de clients suédois pour 4 millions de clients baltes. Un nombre de clients « corporate » supérieur dans les pays baltes  à ce qu’il est en Suède. Pour les banques suédoises, les marchés baltes sont considérés comme des « home markets » essentiels à leur activité et centraux dans leur positionnement.

Des raisons historiques

Cette situation est le résultat d’opportunités historiques particulières. En effet, la disparition de l’URSS et son système communiste fut pour les pays baltes un évènement fondateur qui eut des conséquences dans toutes les structures de ces pays, et en particulier dans la formation de nouveaux systèmes bancaires (bien que ceux-ci aient été déjà amendés dès 1988 avant l’indépendance).

Venant d’un modèle mono-bancaire soviétique, les marchés furent ouverts et des monnaies nouvelles furent créées, se séparant du rouble (kron estonien en 1992, lats letton et litas lituanien en 1993). Cependant ces nouveaux marchés firent face à des crises sévères au début des années 90 qui entrainèrent de profondes restructurations aboutissant à des fusions entre banques et à des acquisitions par des acteurs étrangers. Le résultat fut un marché concentré et tourné vers l’étranger. Ce marché était dominé par deux acteurs au tournant des années 2000: SEB et Hansabank (qui était déjà passée sous majorité suédoise, pour devenir plus tard Swedbank). C’est dans ce contexte que les pays baltes se sont fortement développés dans les années 2000 alors qu’ils allaient rentrer dans l’Union européenne. Avec leur croissance à deux chiffres, cette zone représentait un potentiel relais de croissance pour l’économie suédoise dans son ensemble, et en particulier pour le secteur financier. Le ralentissement dû à la crise de 2008 fut intense, mais il ne perturba pas la structure intrinsèque de ces marchés.
Cependant la crise mit à jour la baisse des exportations de biens industriels suédois et l’importance encore plus grande de préserver un tel moyen de puissance dans une zone d’opposition stratégique.

La dépendance des états baltes face aux banques étrangères (Source: FMI)

Une politique suédoise d’influence

La zone baltique est le point d’achoppement entre deux puissances: la Russie et la Suède. De tout temps ces puissances se sont affrontées pour la maîtrise de cet espace, notamment lors de la Grande guerre du Nord (1700-1721), ou pour imposer leur influence dans cette zone. Cette lutte s’incarne aujourd’hui sous des formes moins directes.
Si les Etats baltes dépendent de la Suède au niveau financier, ils sont soumis à une forte influence russe dans de nombreux autres domaines, comme le poids démographique des populations russophones ou la dépendance énergétique profonde des pays baltes.

Ainsi la Suède utilise les moyens classiques de sa puissance pour contrer la géopolitique russe, à savoir une influence culturelle et commerciale. On notera, pour exemple, la création d’une Stockholm School of Economics à Riga dans les années 90 au moment où le secteur bancaire balte s’ouvrait aux acquisitions étrangères. Ce « soft power » suédois se retrouve dans les initiatives du Swedish Institute pour prendre le leadership sur les projets du programme européen « Baltic Sea Region », visant à une plus grande intégration de la zone et excluant de fait la Russie. Stockholm étant aussi le siège du Council of the Baltic Sea States.

Après la chute de l’URSS, la Suède a pu redevenir une puissance influente dans une zone qu’elle a toujours considérée comme son pré carré. Elle a ainsi utilisé une proximité géographique, historique et culturelle pour saisir l’opportunité que représentait l’ouverture du marché bancaire des pays baltes pour en faire un relais de puissance.
Cette géopolitique suédoise de l’influence et du commerce obéit finalement à l’injonction de la statue de Charles XII (1682-1718) à Stockholm qui, de sa main gauche, pointe l’Est tout en tenant son épée.

Pierre Coussy