L’Afrique dans la guerre économique

Le bavardage normatif sur l’amélioration du climat des affaires, la danse du ventre faite aux investisseurs internationaux, le saupoudrage des mesures de bonne gouvernance et la courbe ascendante des classes moyennes ont fait de l’Afrique un vrai terrain de guerre économique.

Pas de justice sociale dans les business plans

Il a fallu une décennie (2000-2010) pour que l’Afrique passe du statut de continent désespéré à celui de marché espéré. 10 ans de croissance à 5,5 % en moyenne, durant lesquels le continent a absorbé les pandémies, déjoué les pronostics les plus pessimistes, et gonflé sa natalité malgré l’adversité. Mais si l’Afrique fait figure de « nouvelle frontière de la croissance mondiale », elle ne rassure pas encore tous les grands acteurs internationaux. Pour exemple, la dernière conférence annuelle de Bank of America-Merrill Lynch et la première de l’ère Meryll-Lynch/Julius Baer, tenue le 28 janvier 2014 à Paris, n’a pas cité une seule fois l’Afrique… Trop peu de visibilité sur ce continent encore turbulent aux yeux des investisseurs dits normaux.

Dans le monde réel, le dirigeant d’une entreprise – et pas qu’en Afrique – n’a qu’une seule responsabilité : maximiser les profits. Le prix Nobel Milton Friedman est sans nuance sur la question : « l’unique responsabilité des actionnaires, écrit-il, est de rémunérer les actionnaires. » Et malgré les bons mots d’un Bill Gates sur l’entreprise et le bien-être social, l’heure où les multinationales intégreront la justice sociale dans leur business plan n’a pas encore sonné. L’Afrique sous-normée attire encore principalement les acteurs au comportement guerrier. Ainsi, dans la bataille pour le contrôle du tantale africain (75% des réserves mondiales viennent de RDC et 70% vont à l’industrie électronique), Apple, Celestica, Cisco et IBM ont créé le 10 décembre 2010 une sorte de bouclier antimissile nommée Conflict-Free Smelter. Objectif : faire attester que le tantale acheté par ces entreprises ne contribue pas aux conflits en RDC…

Des sangsues qui s’agrippent au continent

Alors que l’Afrique aurait besoin de tripler sa production alimentaire d’ici 2050 pour nourrir sa population en croissance, la course aux surfaces agricoles  – achetées ou louées pour produire du biocarburant au profit des puissances étrangères – constitue l’un des fronts stratégiques de la guerre économique en Afrique. Sur ce continent qui pèse 1,2 milliard d’habitants, et compte 60% des terres arables dont à peine 10% de superficie exploitée, la bombe des terres arables risque d’exploser à tout moment, d’après les experts en intelligence économique et stratégique de Knowdys. En 2009 déjà, la tentative du Coréen Daewoo d’acquérir 1,3 million d’hectares avait provoqué la chute du président Marc Ravalomanana.

Il ne s’agit pas de dire que l’Afrique a le monopole de la vertu et les entreprises étrangères celui du vice. Loin s’en faut. Les retours d’expérience de Knowdys montrent d’ailleurs que l’Afrique reste, hélas, plus risquée pour les investisseurs éthiques que pour les investisseurs véreux. Adossée à l’industrie minière, pour ne citer qu’elle, une mise à jour du logiciel du commerce extérieur africain suffirait à montrer, avec de Montchrestien, que les dealers internationaux sont des pompes qui tirent hors d’Afrique la pure substance africaine. Ils agissent comme des sangsues qui s’agrippent au continent, telles des lamproies, et le saignent pour s’en gorger. Une étude GFI n’a-t-elle pas démontré que les économies africaines ont perdu entre 597 millions USD et 1,4 milliards USD en transferts nets de ressources durant les trois dernières décennies ?

Gagner les guerres sans combattre

L’existence de monopoles et/ou d’oligopoles ayant une vraie stratégie d’influence permet de gagner des guerres sans combattre, comme le stipulait Sun Tzu. A titre d’exemple, lorsque le 07 février 2012, le géant minier Xstrata et le courtier Glencore annoncent leur rapprochement dans le cadre d’un échange d’actions de 90 milliards USD, l’entité en vue, Glencore Xstrata International, vise 130 000 salariés dans 33 pays, 101 mines et une cinquantaine d’installations métallurgiques. A l’époque, les experts en due diligence de Knowdys estiment le chiffre d’affaire cumulé du nouveau groupe à 209 milliards USD, soit 28 fois le budget du Congo, 36 fois celui du Cameroun et 41 fois celui du Gabon. Aucun régulateur africain ne se penchera sur les transactions ayant donné naissance à cette hydre de guerre économique dont les sept têtes vont de l’extraction minière au négoce, en passant par la logistique et le transport.

Même continent, même réalité, mais autre lieu, et autre exemple. Le 23 janvier 2014, Deloitte, leader mondial de l’audit et du conseil, annonce l’ouverture d’un nouveau bureau à N’Djamena. Pour y arriver, le Cabinet américain a dû faire faire le ménage dans un marché contrôlé au ¾ par un acteur camerounais, transfuge de l’un des « Big Four » concurrents, Jerôme Minlend. Suite à la mort programmée, au Tchad, de CAC International, ancien Ernst & Young Cameroun, Deloitte installe un quasi-monopole sur l’un des marchés les plus juteux au sud du Sahara. La cible : un pays jugé à « risque très élevé » par les analystes de Bretton Woods. La mission : « accompagner au plus près les acteurs du pays qui contribuent à son émergence économique. »

Les gardiens de la révolution économique

Dépassés par les nouvelles armes de la guerre économique, de nombreux gouvernements ne peuvent répondre efficacement à l’emballement qui déferle sur le continent.  Regardez le match Areva/Niger avec, en première ligne, des officiels nigériens qui furent autrefois employés d’Areva… Trop occupés à juguler les menaces de politique intérieure, inquiétés par l’islamisme radical, ferrés par les alliances de réseaux, les politiques africains opposent le bambou à l’épée. La nouvelle grammaire des relations internationales convoque pourtant un dérèglement dont l’interprétation des signaux pourrait placer le citoyen africain au cœur du système économique.

Le continent a dû attendre 50 ans pour atteindre la puberté économique. A la fois discutable et incontournable, cette réalité est plus facile à décrier et à décrire qu’à faire évoluer. Dans le cas d’Areva au Niger, cité plus haut, ce sont des accords signés au lendemain des indépendances qui sont opposés au gouvernement actuel… Les vrais gardiens de la révolution économique – en cours depuis le début de la décennie 2000 – viendront donc inéluctablement de la société civile. C’est eux qui obligeront les multinationales à passer du « Doing good to look good everywhere » au « Doing well by doing good in Africa » par la surveillance et la mobilisation permanentes.

Dans ce monde travaillé par les antagonismes, l’Afrique doit impérativement changer de logiciel afin d’apprendre du passé. Déjà, pour faire la différence aujourd’hui, elle doit s’appuyer différemment sur des investisseurs différents. Ainsi, lorsque demain, on lui demandera « comment vas-tu ? », l’Afrique pourra répondre comme John Maeda : « j’apprends ! »

Guy GWETH

Conseil en intelligence économique chez Knowdys

Plus d’infos sur: www.knowdys.com