Le Kazakhstan se rêve en puissance pétrolière en attendant Kashagan

Le Kazakhstan s’est imposé depuis son indépendance comme une puissance régionale grâce notamment à ses ressources naturelles. Cependant, la mise en production sans cesse retardée du gisement stratégique de Kashagan freine son développement en tant que producteur pétrolier de premier plan.

Cet ancien satellite de l’URSS peuplé de 17 millions d’habitants enclavé entre la Chine et la Russie a connu son indépendance en 1991. Après son passage à une économie de marché fondée sur la privatisation du secteur des hydrocarbures, l’économie du pays s’est rapidement développée, devenant même la plus importante d’Asie centrale. Le Kazakhstan possède en effet un sous-sol très riche en matières premières, notamment à l’ouest, où se trouvent de nombreuses réserves de gaz naturel et de pétrole. L’exploitation des importants gisements de Karacaganak et Tengiz, découverts dans les années 1970, a contribué au développement de l’industrie des hydrocarbures au Kazakhstan.

La découverte du champ de Kashagan, déclenchement de fortes mutations structurelles

C’est réellement grâce à la découverte du gisement de Kashagan en juillet 2000 en mer Caspienne que le Kazakhstan va connaître une profonde mutation de son secteur énergétique. Avec des réserves potentielles estimées à 38 milliards de barils – dont 9 à 13 milliards récupérables – ce gisement, dont le nom est un hommage au poète kazakh Kashagan Kurzhimanuly est considéré comme l’un des plus importants trouvés ces dernières décennies. D’ailleurs, si sa production maximale atteignait les 1,5 m bpj prévus après 2015, elle en deviendrait la troisième au monde, derrière celle de Ghawar et de Burgan, en Arabie Saoudite et au Koweït. C’est dans ce contexte que, pour faire du Kazakhstan l’un des principaux producteurs d’hydrocarbures mondiaux, le gouvernement a créé en 2002 l’entreprise nationale KazMunaïGaz.

Malgré une mise en service initialement prévue pour 2005 et un coût estimé à 10 milliards de dollars en phase 1, le projet dont le gisement est exploité par le consortium North Caspian Oil Company (NCOC) et détenu par de nombreuses majors occidentales (ENI, ExxonMobil, Royal Dutch Shell, Total) ou asiatiques, telles que l’opérateur japonais INPEX (avec 7,56%) et le chinois CNPC (8.33%), a accumulé huit ans de retard et coûté 40 milliards de dollars de plus, du fait de la grande complexité technologique et logistique du gisement. Situé à une profondeur de près de 5000 mètres, celui-ci a en effet nécessité la construction de dix îles artificielles (dont « A Island » et « D Island ») dans les eaux pourtant peu profondes de la mer Caspienne (4 mètres de profondeur), en plus gelée une bonne partie de l’année. On y trouve même du sulfure d’hydrogène, à un taux de 20% de son réservoir, si bien qu’après deux tentatives infructueuses en septembre et octobre 2013 à cause de fuites de ce gaz mortel, le champ devrait finalement rentrer en production à l’horizon 2014.

Réappropriation des ressources mais influence accrue de la Chine

Le Kazakhstan s’efforce depuis plusieurs années de se réapproprier les richesses nationales auparavant concédées à des sociétés étrangères suite à l’effondrement du pouvoir soviétique. Une loi de juin 2010  dispose à ce titre que, pour tout contrat conclu avec les sociétés pétrolières étrangères sur l’utilisation du sous-sol offshore, KazMunaïGaz devra participer à hauteur de 50% minimum. De nombreux règlements prévoient pour leur part la primauté locale concernant les fournisseurs et l’achat de marchandises, ou imposent une proportion de citoyens kazakhs dans la main d’œuvre.

Mais, afin de s’affranchir de sa dépendance à l’égard de la Russie, où transite la grande majorité des hydrocarbures, le Kazakhstan voudrait aussi développer de nouveaux pipelines, notamment vers l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie, l’Iran ou la Chine. La Chine, premier consommateur mondial d’hydrocarbures, tend d’ailleurs à accroître son influence au Kazakhstan à travers la conclusion de nombreux accords sur les ressources pétrolières. En visite en septembre dernier, Xi Jinping a conclu 22 accords pour un total d’une valeur de 30 milliards de dollars. Il a également annoncé le rachat, à travers la société CNPC, de l’intégralité des parts de ConocoPhillips dans le consortium NCOC pour un total de 3,8 milliards d’euros, qui était initialement promise à l’opérateur indien ONGC, mais le gouvernement kazakh avait exercé son droit de préemption en juillet 2013.

Le développement économique du pays repose « uniquement » sur les ressources naturelles

Malgré la volonté du gouvernement de faire du pays une puissance pétrolière de premier plan, le Kazakhstan reste particulièrement sensible aux marchés internationaux. Cet Etat dirigé depuis 1990 par l’autoritaire Noursoultan Nazarbaiev devra à l’avenir affronter la corruption encore très présente dans le pays mais également s’ouvrir aux revendications des travailleurs, notamment suite aux répressions politiques consécutives à la tragédie de Janaozen. Enfin, la pérennité économique du pays passera par le développement d’autres secteurs puisque 83% des exportations kazakhs provenaient des ressources minières et pétrolières en 2012, rendant ainsi celui-ci particulièrement vulnérable aux incertitudes, d’autant plus que le gouvernement a énormément misé sur le gisement de Kashagan qui tarde à confirmer son potentiel…

Alexandre HARIRA