Méconnu, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon – pied à terre français en Amérique du Nord – est aujourd’hui au cœur de toutes les attentions, puisque les perspectives d’extension de son plateau continental révèlent de nouvelles opportunités. Ce sont les richesses qu’offre le sous-sol – notamment en ressources halieutiques – qui suscitent les intérêts régionaux et notamment ceux du voisin canadien.
Madame la Sénatrice, le 8 mai 2009, la France a déposé auprès de la Commission des limites du plateau continental, une lettre d’intention selon la procédure «simplifiée» de dépôt de demande d’extension en faveur de Saint-Pierre-et-Miquelon. Peu de temps après, le Canada manifestait sa réprobation. Depuis lors, le dossier semblait bloqué concernant l’archipel. Quelles en sont les raisons?
Le dossier n’était pas bloqué. La France disposait de quatre ans pour effectuer les études nécessaires au montage et au dépôt d’un dossier complet. La lettre d’intention a déclenché l’hostilité du gouvernement canadien qui rejetait d’emblée toute revendication de l’État français. Le Canada a de son côté déposé un dossier en décembre 2013. La France déposera le sien en avril 2014.
L’enjeu est de taille pour la France, comme pour le Canada. La Commission ne gérant pas les conflits, dès lors qu’un pays émet une objection à l’extension du plateau continental formulée par l’Etat voisin, les deux pays vont devoir négocier pour trouver un terrain d’entente sur ce sujet.
L’extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon rencontre un large soutien parmi la population locale, quels sont les enjeux économiques pour l’archipel et la France?
Au niveau local, les enjeux ne sont pas seulement économiques. Le dépôt du dossier par le gouvernement français représente tout d’abord une reconnaissance : reconnaissance de l’importance du territoire aux yeux de la France, et reconnaissance aussi d’un arbitrage international mal préparé en 1992. Il est également symbole de la volonté de la France de faire valoir ses droits –nos droits – en Amérique du Nord.
Sur un plan économique, les enjeux sont importants dans la mesure où la zone concernée est riche en hydrocarbures. On peut donc imaginer un développement économique de l’archipel en lien notamment avec l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles maritimes. On a vu par exemple ces dernières années l’essor fulgurant de la province de Terre-Neuve grâce à l’extraction des hydrocarbures.
D’autre part, cela nous donnerait de nouvelles perspectives dans le domaine de la pêche, qui reste une activité traditionnelle.
Enfin, tout cela pourrait être pensé dans le cadre d’une meilleure intégration de Saint-Pierre-et-Miquelon dans son environnement régional, avec par exemple une cogestion des richesses de la zone concernée.
La France, par ses territoires ultramarins, est la 2ème puissance maritime mondiale, derrière les Etats-Unis, et la première puissance maritime européenne. L’extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon – ainsi que celui des autres outremers – lui permettra d’affirmer son rôle de 2ème puissance mondiale et de trouver, via la mer, de nouvelles perspectives de développement économique.
C’est aussi l’occasion d’affirmer la place qui est la sienne en Amérique du Nord et celle qu’elle pourra jouer dans l’ouverture de nouvelles routes maritimes.
D’autre part, des intérêts scientifiques, géostratégiques, environnementaux et sociaux sont également en jeu. La puissance maritime de la France lui donne une responsabilité face à la mer.
Le Président de la République et le Ministre des Affaires étrangères vous ont affirmé, il y a quelques mois, leur pleine mobilisation sur ce dossier. Avez-vous noté des avancées depuis?
Nous avons eu en 2013 de nombreux rendez-vous, tant avec les ministères concernés (Outre-mer, Secrétaire Général à la Mer et Affaires étrangères), qu’avec le Président lui-même. En janvier 2014, nous avons fait un nouveau point d’étape. Le dossier est en cours de finalisation, et sera déposé, conformément à l’engagement du Président Hollande, courant avril. Cet engagement a été réaffirmé lors d’une rencontre avec les parlementaires en juillet dernier.
Quelles sont les marges de manœuvre de l’Etat français sur cette question selon vous?
Comme je vous l’expliquais plus tôt, la demande de la France bloque toute future demande canadienne. Les marges de manœuvre sont donc intéressantes. La France ne devra rien lâcher.
Un récent rapport au Conseil économique, social et environnemental pointe les retards du programme scientifique Extraplac visant à étayer auprès de l’ONU les demandes françaises d’extension de son plateau continental. Partagez-vous cette inquiétude?
Les dossiers prennent du temps, parfois un peu plus que prévu, pour autant, je ne pense pas qu’il y ait de raisons de s’inquiéter.
Il me faut rappeler ici que des dossiers de demande d’extension ont été déposés pour plusieurs outremers, et ceux de la Guyane, des Antilles françaises, des Îles Kerguelen et du Sud-Ouest de la Nouvelle-Calédonie ont d’ores et déjà été validés pour une extension globale de 584708 km².
D’autre part, des négociations sont déjà entamées –et en bonne voie –suite aux recommandations de la Commission des limites du plateau continental sur les dossiers de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.
Après le dépôt du dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon, un dossier sera également déposé pour la Polynésie française, courant 2015.
Les autorités françaises prennent-elles selon vous assez en compte l’importance stratégique pour le pays du milieu maritime?
Les choses évoluent dans le bon sens mais tous les esprits ne sont pas encore complètement ouverts sur l’extraordinaire potentiel qui découle de la deuxième place de la France. Les français restent le dos tourné à la mer encore trop souvent.
Les consciences s’éveillent néanmoins et de plus en plus de voix s’élèvent afin que la puissance maritime de la France soit mieux prise en compte et ses atouts mis en valeur.
Anaïs FERRADOU, Jean-Maxime DICK